L’inextricable bourbier syrien et la crise humanitaire qui menace.
Plus on avance dans la reprise de tous les territoires perdus, par le régime syrien, et plus on se rend compte que la solution politique va être encore plus ardue que la conduite de la guerre. En effet, c’est une poupée russe à laquelle nous sommes confrontés en Syrie. On en vient presque à conclure que les USA ont eu partiellement raison de ne pas trop s’en mêler, donnant l’impression que les Russes étaient les seuls maîtres du jeu.
Aujourd’hui, on réalise que c’est bien plus compliqué que cela : certes, les Russes détiennent les principales cartes mais ils doivent, eux aussi, se plier à certaines servitudes inhérentes au bourbier syrien. Il se détache de plus en plus distinctement un jeu d’ombre et lumière entre des alliés de circonstance qui n’ont pas du tout les mêmes intérêts…
L’inextricable bourbier syrien et la crise humanitaire qui menace.
C’est ce même Bachar dont on ne donnait pas cher qui se révèle être un redoutable tacticien. Alors qu’il faisait figure de victime en sursis, abandonné de ses généraux, victime de défections quasi quotidiennes, voilà qu’il rebondit tel un phénix de ses cendres. Il a la capacité de jeter dans la bataille à la fois une redoutable aviation de guerre, sans oublier des divisions blindées dirigées par son propre frère. En règle générale, lorsqu’une armée attaque, il faut maintenir en réserve bien d’autres forces combattantes afin de ne pas se laisser surprendre par une foudroyante contre-attaque capable de tout changer. Or, Bachar a réussi à maintenir en grande forme toute son armée et ne donne aucun signe d’essoufflement. Mieux encore : lorsque Tsahal a réagi vigoureusement à la suite d’une intrusion d’un drone iranien sur son territoire, la heyl ha awir a dû faire face à une pléthore de missiles sol-air qui ont tout de même provoqué, directement ou indirectement, le crash d’un avion de type F 16. Il y a, encore quelques semaines, la défense anti-aérienne n’en faisait pas autant. Mais ce n’est pas tout.
Illustrant la thèse qui veut que le Proche Orient déjoue toutes les règles de la logique, les Kurdes autonomistes, retranchés dans leurs bastions à la frontière avec la Turquie, contrairement à toutes les prévisions, font appel à leur ennemi juré, Bachar et ses milices chiites afin que ces dernières se positionnent, non point au sein des villes libérées, mais sur la frontière même, afin de servir de tampon entre les assiégés et l’assiégeant turc… Et, nouvel étonnement, Bachar accepte le marché, au motif qu’il faut barrer la route à l’agresseur turc. C’est à se demander si au Proche Orient deux et deux font quatre, bien que ce soit le cas, y compris pour Dieu en personne, comme le notait avec humour le vieux chinois de Köngisberg, Kant.
On a vu qu’au terme d’une semaine particulièrement sanglante, les Russes ont fini par ne pas s’opposer à la résolution de l’ONU en faveur d’un cessez-le-feu temporaire et limité, de 9 heures à 14 heures… Mais contrairement à ce que voulait croire E. Macron, cette accalmie ne concerne qu’une seule région, la Ghouta orientale, la grande banlieue de Damas. Les Turcs poursuivent donc leurs opérations militaires, causant des victimes parmi la population civile et subissant eux aussi la mort de dizaines de leurs soldats. Mais ici aussi, l’oxymore règne en maître : dans la ville menacée par l’armée sont stationnés des conseillers militaires US… Le Pr Erdogan leur demande de partir de peut d’avoir à les bombarder ; mais n’avons nous pas là deux armées, toutes deux membres de l’OTAN ?
On le voit bien, car cela saute aux yeux, toutes les règles, tous les systèmes d’alliance sont pris en défaut. Qu’est ce qui retient les Russes sur place ? Leur intérêt d’avoir un accès stratégique aux mers chaudes, une ouverture sur le Méditerranée ; d’où leurs deux bases sur place, navale et aérienne.
Que cherchent les Iraniens ? Ils veulent un accès direct à Israël, l’ennemi juré des Mollahs, afin de mener à bien leur espoir d’éradication de l’Etat hébreu, en accord avec leur allié libanais et chiite, le Hezbollah. Or, la Russie ne cesse de dire qu’il faut trouver une issue politique au conflit et qu’à terme, toutes les forces étrangères devront quitter le territoire syrien. A quoi les Mollahs répondent qu’ils ont été invités par Bachar, lequel est la seule autorité légitime du pays. La question est : Bachar a t il encore les moyens de se faire entendre ? Il semble qu’il ait décidé de jouer les uns contre les autres : les Russes contre l’Iran ou l’inverse, les Kurdes contre les Turcs ou l’inverse.
Et qui risque de se trouver enlisé dans ce bourbier ? Ce sont les Russes ! Mais il ne faut oublier un autre acteur du conflit qui a bien fait parler de lui ces derrières semaines, l’Etat d’Israël. C’est, en réalité, la carte maîtresse détenue par Vladimir pour se faire entendre et imposer ses vues. Contre Bachar et aussi contre les milices iraniennes, il détient la possibilité de laisser le Heyl ha awir opérer à sa guise contre les installations iraniennes sur place et aussi contre les convois d’armes partant de Syrie vers le Hezbollah libanais.. C’est la meilleure carte dans un milieu où ne comptent que les rapports de force. Mais voilà, ces derniers évoluent sans cesse, d’où les fréquents déplacements de Benjamin Netanyahou à Moscou. Et aussi, le fameux samedi de l’incident aérien, le Premier Ministre israélien a fait état de sa conversation téléphonique avec V. Poutine , mais pas un mot, pas un seul, sur les USA. La réaction est venue bien après.
A quoi va ressembler la Syrie d’après guerre et y aura t il un arrêt définitif des hostilités ? Franchement, tout en le souhaitant, ne serait ce que pour les civils qui souffrent, j’en doute fortement tant les forces en présence n’ont pas vraiment d’intérêts convergents. Le clash viendra des Iraniens qui ont compris le double jeu de Poutine qui se méfie tant d’eux. Et en effet, cette alliance prétendue est celle de la carpe et du lapin.
En conclusion, tant Israël que les USA ont agi sagement en s’abstenant d’entrer trop délibérément dans ce conflit qui ne va pas s’arrêter demain. Au fond, les Israéliens ont raison de dire à qui veut bien les entendre que le Proche Orient est un endroit dangereux et que pour y survivre il faut être sur ses gardes