Dîner du CRIJF, Jérusalem, l’antisémitisme islamiste, Charles Maurras , Louis Ferdinand Céline et les autres…
Autant le dire d’entrée de jeu : sans aller jusqu’à demander sa suppression pure et simple, je ne suis pas un fan ni un inconditionnel de ce dîner annuel mondain qui constitue la grande sortie de vieilles personnes se succédant à la tribune pour dire un certain nombre de choses qui se lisent tout aussi bien dans la presse quotidienne. Pour certains -et on sait combien les dirigeants de la communauté juive, ceux d’aujourd’hui autant que ceux d’hier, sont sensibles aux honneurs et au fait de sortir du lot et de l’anonymat- c’est l’affaire du siècle : jouir enfin d’une couverture médiatique inespérée et qu’on n’aurait jamais eue sans une telle fonction dans la vie associative… Sic transit gloriam mundi
Pourtant, les Pirké Avot, nous mettent en garde contre la fugacité de la célébrité en ce bas monde et recommandent même de se tenir à l’écart d’une trop grande proximité avec les politiques (al titwadda ‘ la-Rashot)
Dîner du CRIJF, Jérusalem, l’antisémitisme islamiste, Charles Maurras , Louis Ferdinand Céline et les autres…
Pourquoi ce commentaire peu amène sur un dîner auquel tous se pressent pour pouvoir dire après qu’ils ont frôlé les plus hautes autorités de l’Etat… Cela me fait penser à certains dîners, hors de prix, où les organisateurs attiraient les curieux, curieux mais fortunés, capables de débourser quelques centaines d’Euros pour un repas peu gastronomique mais avec un appât irrésistible : une photographie avec le Premier Ministre d’Israël ou de l’Hexagone… Chacun de nous soigne sa vanité personnelle comme il peut.
J’ai écouté les discours et il est légitime de dire, sans colère ni prévention, ce qu’ils nous inspirent. Il est vrai que la situation des Juifs dans ce pays commence à être difficile, à devenir même préoccupante. Au moins deux orateurs, et non des moindres (je pense seulement au président Macron) ont désavoué le conseil ou la réplique d’un officier de police, face à un Français juif qui venait se plaindre de menaces et d’intimidations : vous devriez partie, ils (les islamistes) vous ont repéré (s)… Cruel aveu d’impuissance venant d’un membre des forces de l’ordre.
Après tant d’années, cette institution qui dit représenter les institutions juives les plus importantes de notre pays (même celles dont le congrès annuel pourrait se tenir dans une petite cabine téléphonique et dont l’assiette sociale n’excède pas les dimensions d’un timbre-poste) devrait nous épargner cette litanie des attentats qui se lit, hélas, dans tous les journaux. Cela fait réunion de vétérans de Grande Guerre. Ce qu’il faudrait, c’est en proposer une analyse raisonnée, accessible et parlant à tous, tant dans la grande communauté nationale dont nous sommes tous partie prenante, que dans la partie musulmane, invitée à faire enfin le ménage chez elle. Et cela commence, selon moi, par un principe intangible : le salafisme n’est pas l’islam. Toute attentat contre des juifs (voire des enfants !!) doit être condamné par tous. Nous ne sommes pas en train de stigmatiser collectivement tout une foi ou une catégorie de citoyens, mais nous disons que ces mêmes citoyens s’honoreraient à prendre leurs distances avec des terroristes qui portent gravement atteinte à ce que l’être humain a de plus sacré, sa foi, sa croyance, les valeurs qu’il investit dans sa vie de tous les jours
C’est cela qui devrait constituer l’armature du discours du CRIJF et non cette lecture fastidieuse d’une série de plaintes, plainte absolument légitimes et compréhensibles mais qui auraient plus d’effet dans une tout autre nomenclature. Lorsque le président de la République, quel qu’il soit, répond à ce discours dont il a pris connaissance quelques jours auparavant, il ne peut qu’abonder dans le même sens. Mais c’est ce qui se passe depuis des décennies que ce dîner existe et les choses n’ont fait qu’empirer : il suffit de voir tout ce qui nous est arrivé depuis le pauvre Ilan Halimi et la pauvre Madame Sarah Halimi … A ce sujet, et sans contester l’indépendance de la magistrature, je dois dire ma douleur en prenant connaissance du refus, momentané mais si incompréhensible- de reconnaître le caractère antisémite de cette lâche agression. Et la même attitude semble se reproduire avec le dernier incident en date, mettant en cause un jeune collégien roué de coups par des camarades à peine plus âgés… Il faut enfin envoyer un signal fort et je pense n’offenser personne en disant, moi qui ne suis pas juriste mais simplement philosophe, que la justice est rendue au nom du peuple français : les juges ne forment pas une caste. Ils doivent donc en tenir compte. Au besoin, nous avons le droit de le leur rappeler respectueusement.
Voici le type de développements que les compte-rendu annuel de cette institution devrait comporter pour être pris au sérieux.
Il faut aussi prendre de la hauteur, parler de culture, souligne la compatibilité très grande entre l’identité juive et la culture européenne. Rappeler que le judaïsme biblique a, de toutes les autres cultures et civilisations de son temps, été le premier à incarner le monothéisme éthique (Tune tueras point du Décalogue) et à faire au reste de l’humanité (l’écrasante majorité du genre humain) l’apostolat du messianisme. Et conclure en ces termes : et c’est ainsi que ce peuple se voit récompenser pour tout le bien qu’il a fait à tous ses congénères.
Ensuite, sur le compte de l’antisémitisme qui semble se développer de manière inquiétante dans le même chaudron cité plus haut, rappeler la phrase quasi prophétique d’un grand spécialiste allemand de la Rome antique, Théodore Mommsen, qui n’avait aucune racine juive et donc peu suspect de parti pris pour le peuple d’Israël : lorsque le peuple d’Israël fit sa premier apparition sur la scène de l’histoire mondiale, il n’était pas seul mais était accompagné d’un frère jumeau… l’antisémitisme.
Tout cela ne date pas d’hier. C’est assez évident et pourtant gageons que l’année prochaine, si ce dîner existe encore et si ce sont les mêmes vétérans qui y officient, on reprendra les mêmes personnalités : seule nouveauté, elles auront un an de plus…
J’en viens à présent à quelque chose de plus important : la place à accorder à de grands antisémites qui se sont aussi illustrés (si tristement) dans la littérature française. C’est sur ce point que l’orateur prenant si longuement la parole au nom de l’institution, aurait dû mettre l’accent. Le débat avait déjà eu lieu autour d’une personnalité du firmament philosophique, Martin Heidegger, mais qui était allemand tout en ayant eu de grands thuriféraires en France. Je dois reconnaître ici même que les leçons philosophiques de cet homme ne sont pas dépourvues de qualités mais que de telles spéculations n’ont pas insufflé de l’éthique à son comportement politique, hic et nunc… Vous savez tous que Levinas incluait Sein und Zeit dans les cinq œuvres philosophiques majeures de l’humanité. Mais ailleurs, il dit bien : je ne pardonne pas à Heidegger…
Cela aurait dû servir d’introduction, d’entrée en matière pour le combat autour d’une résurgence de personnalités aussi contestables que Maurras et Céline. Etant philosophe et nullement littéraire, la critique littéraire étant une science en soi, je puis tout de même avouer ne pas comprendre la volonté de certains éditeurs, au demeurant respectables et peu suspects de la moindre complaisance envers des thèses négationnistes, de rééditer certaines œuvres ouvertement judéophobes ; Céline dont on porte aux nues ce fameux Voyage au bout de la nuit.., aux qualités littéraires prétendument transcendantes, en oubliant de rappeler qu’il conseillait aux persécuteurs, en substance ceci : et les enfants, n’oubliez pas les enfants… Comment considérer qu’un tel individu fait partie de l’humanité éthique, il appartient au genre humain comme une écharde, plantée dans un doigt, appartient au corps.
Et pour finir Charles Maurras ; là, le président de la République a livré une explication embarrassée mais acceptable, opposant constat d’existence, de présence, ce qui ne veut pas dire célébration ni adoubement. Si j’ose dire : pas de cacherisation… Cet homme politique aux positions plutôt extrémistes et peu républicaines existe, dit-il… Soit.
Cela me fait penser à un texte que j’aimais bien quand j’étais enfant, jusqu’au jour où j’ai pris connaissance de la vraie personnalité de cet écrivain : les Lettres de mon moulin d’Alphonse Daudet. Le portrait qu’il brosse d’un usurier est terrifiant…
Voilà ce qu’il eût fallu dire : c’eût été mieux et aurait pris moins de temps.
En conclusion, J.W. Goethe dit quelque part que la haine n’a sa place qu’au niveau le plus bas de la culture (Der Hass befindet sich auf der untersten Stufe der Kultur).
Tout autre commentaire se révèle superflu.