Les Mémoires de Maurice Druon, II
Il fallait bien deux parties pour rendre intelligemment compte d’une vie si riche et si extraordinaire. Résumons : le fils d’une comédienne, plutôt instable et égocentrique, n’ayant jamais connu son géniteur (c’est lui qui le nomme ainsi) car il s’est suicidé lorsque Maurice (qui ne s’appelait pas encore Druon) venait d’avoir deux ans… Ce père suicidaire était le frère cadet de Joseph Kessel, ce qui explique que par la force des choses ce dernier soit devenu l’oncle de l’écrivain. Un modèle qu’il suivra longtemps, un oncle auquel il vouera une admiration sans borne et qui constituera l’essentiel de son ascendance juive. Bref, un modèle à suivre et qu’il a suivi.
Les Mémoires de Maurice Druon, II
Je ne peux pas dans le cadre d’un compte-rendu, dire toutes les réflexions que m’inspire un tel destin mais je dois bien souligner qu’en dépit de toute cette adversité (peut-être même à cause d’elle ou grâce à elle) ce jeune homme doté d’une volonté de fer et de grandes capacités intellectuelles a pu survivre et se frayer un chemin vers la célébrité et l’aisance. Pourtant les muses se sont penchées sur le berceau de ce petit orphelin qui fit le dur apprentissage de la vie… Pourtant, cette conquête de la notoriété et de la gloire (littéraire) n’est jamais ternie par le moindre parfum d’une quelconque revanche. C’est au contraire un homme d’âge mûr, instruit des épreuves de la vie, qui se penche sur son passé et dit sa satisfaction d’avoir eu une telle vie.
Il est vrai que ces Mémoires sont réparties en de nombreuses rubriques dont l’intérêt et l’importance varient selon les cas. Mais l’Académicien nous livre aussi quelques évènements qui l’ont marqué, même si le lecteur, éventuellement, pourrait penser différemment. J’en retiens deux qui m’ont ému. Dont cette belle expression parlant du tour du divin potier…
Lorsqu’il faisait ses classes à l’école de Saumur, Druon se souvient qu’il partageait sa chambrée avec sept autres aspirants. L’un d’entre eux était un militaire tchécoslovaque, chargé d’être l’officier de liaison avec l’armée de son pays. Il se nommait Furth et son père possédait dans son pays une surine de pâte de papier. De nombreuses années plus tard, alors que la physionomie du monde et de l’Europe avait changé, Druon fut élu à l’académie française et les détails de sa biographie portés à la connaissance de tous. Et voici qu’un jour, le nouvel élu reçoit une lettre de son ancien camarade de chambrée lui demandant s’il était bien le Maurice Druon qu’il avait connu jadis à l’école de Saumur… L’académicien lui répondit aussitôt et ce fut l’occasion de se revoir et de renouer avec un passé que tous deux revendiquaient dans une égale mesure.
L’autre événement remarquable s’il en fut, est le suivant : parti visiter la plus vieille église de France en compagnie de son épouse, Druon remarque une sorte de sacristain, pauvrement vêtu, affublé d’un béret basque et parlant français avec un fort accent. Cet homme servait de guide et paraissait bien connaître son affaire. Au terme de la visite, le guide se plaça tout près de la porte et sollicita la générosité des visiteurs. Druon lui donna son obole et lui dit aussi : Merci Monsieur Max Jacob…… Il s’agissait d’un personnage haut en couleurs qui avait exercé tous les métiers de la terre et qui était venu enterrer ses ambitions mondaines dans ce trou perdu. Cet homme, qui comme son nom l’indique, était d’origine juive raconta à ses invités qu’il avait eu une apparition du Christ chez lui… Mais le plus triste était à venir : l’église attendit de nombreuses années avant d’accueillir celui qui se croyait son fidèle serviteur… Au cours de l’Occupation, cet homme dut coudre une étoile jaune sur son vieux manteau ecclésiastique et en février 1944 il fut arrêté par la Gestapo… Il mourut peu de temps après au camp de Drancy…
Druon consacre de nombreuses pages à l’effondrement des autorités et de l’armée française en 1940. Il relate par le menu la visite de Winston Churchill, n’imaginant pas pouvoir être confronté à une telle débâcle militaire et morale. Et qui proposa aux autorités françaises ou ce qu’il en restait de nouer des liens encore plus étroits pour combattre et enfin vaincre l’hydre nazie… Certaines descriptions sont absolument surréalistes. Quand on réalise tout ce que cela a coûté à la France. Cette étrange défaite, pour reprendre la fameuse expression d’un célèbre historien. Druon relate qu’on essaya de l’attirer dans le camp de la collaboration en lui faisant miroiter un poste de sous-préfet. Mais une âme si bien née ne s’est pas laissée séduire par le chant des siennes pétainistes. Il opta pour la Résistance et décida de vivre de sa plume. Bien lui en prit. Après la Libération et jusqu’à sa mort, une pluie de distinctions, de décorations et de nominations s’abattit sur un homme de grand talent et aussi de grande sensibilité. Donnons lui une dernière fois la parole, une parole pleine d’empathie avec autrui…
Les livres de mémoire sont aussi le tombeau des autres. Que restera t il de mon ami Fürth, le Tchèque de Saumur, sauf dans les souvenirs de quelque descendant, hors ces lignes que je viens de tracer ? (p 414)
Toujours la même revendication, la même quête, celle de l’éternité, de laisser une trace de son passage sur cette terre.
A la fin de son controversé sur Jésus, Ernest Renan aggravait son cas en s’en prenant au dogme de la Résurrection sans lequel tout l’édifice du christianisme s’écroule : Ressusciter c’est continuer de vivre dans le cœur de ceux qui vous aimé. Cela pourrait bien être la quête posthume de Maurice Druon…