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Maurice Druon, Mémoires, Plon

 

 

Maurice Druon, Mémoires, Plon

Quel personnage ou plutôt que de vies ! Quand on a fini de lire attentivement la plus grande partie de ces volumineuses Mémoires, près de sept cent pages, une phrase latine s’impose à l’esprit du lecteur critique : Sic transit gloria mundi. Ce qui ne cherche nullement à réduire ou à critiquer la vie et l’œuvre d’un si grand homme. Mais voilà, tout passe, tout s’écoule, rien ne demeure figé et cet homme, Immortel qui resta plus de dix ans secrétaire perpétuel de l’Académie française, est presque entièrement oublié de nos jours. Cet homme, par sa lucidité, savait déjà qu’il aurait un destin à part, et il suffit de lire attentivement la dizaine de pages d’introduction à ses Mémoires pour s’en convaincre.

Il mesure les changements qui s’opèrent dans une vie d’un seul tenant., lui l’immortel qui avait bien compris qu’immortalité ne signifie nullement éternité. Il mesure qu’il est né à la fin d’un siècle qui n’a plus rien à voir avec les décennies de son enfance et de son adolescence… Et il se projette dans le siècle qui sera celui de sa disparition où son discours ne portera peut-être plus comme auparavant, alors qu’il croulait sous les honneurs. Cet homme, fin lettré qui laisse vraiment une œuvre derrière lui, une œuvre conséquente mais aussi beaucoup de censeurs impitoyables, adeptes d’une séparation hermétique entre l’esprit et la politique de la cité, a été à la tête du ministère des affaires culturelles du temps de Georges Pompidou et Pierre Messmer… Lorsqu’il fut écarté de son poste lors d’un remaniement ministériel et qu’il tenta de faire valoir le soutien de l’ancien président, le Premier ministre de l’époque, Pierre Messmer eut cette phrase d’un incroyable cynisme ; Au gouvernement, il n y a pas d’immortel… Ce sont des réflexions, certes, cyniques, mais qui vous marquent pour toujours…

 

 

Maurice Druon, Mémoires, Plon

 

Il y a l’homme et il y a son œuvre, en l’occurrence, l’effort intellectuel de toute une vie, le bain dans le meilleur milieu culturel qui fût (on se souvient qu’il était le neveu de Joseph Kessel), bref une vie qui vous prédestine à de grands accomplissements. Il le dit lui-même au début du premier chapitre, de manière un peu immodeste : il avait, dès le début, un pressentiment : il était appelé à faire de grandes choses. Et il faut bien reconnaître que ce n’était pas une simple déclaration présomptueuse, car l’homme a vraiment tracé un sillon relativement durable puisque sa série télévisée Les rois maudits avait attiré des millions de téléspectateurs. Sans oublier les innombrables traductions en langues étrangères…

Le style de ces Mémoires est très soigné, parfois un peu maniéré mais on y sent toujours, quoiqu’à l’arrière-plan, un attachement sans faille à la beauté de la langue française… Sans jamais se prendre trop au sérieux, l’auteur fait défiler devant nous une galerie de portraits bien tracés de ceux qu’il considère comme ses ancêtres qu’il divise, pour la commodité de l’exposé en deux grandes subdivisions, l’ouest et l’est de l’Europe, tout en remontant plus loin encore, en nous parlant du Brésil avec lequel il avait de sérieuses attaches. Sa sensibilité religieuse, faite plus de religiosité que de religion, le conduit à citer des phrases selon lesquelles on doit être le collaborateur de Dieu dans le règne de la création mais son point son… remplaçant.

Un fait m’a impressionné, même si j’en avais un peu conscience, il s’agit de la part importante que revêt l’élément juif dans l’ascendance de Maurice Druon, une origine qu’il expose sans l’exagérer ni l’amoindrir. Son père biologique n’est autre que le frère cadet de Joseph Kessel, Lazare Kessel, plus jeune de sa mère de cinq ans…Il parle d’une partie de son sang, qu’il est allé chercher au fin fond de l’Amérique latine, au Brésil, ou à l’autre bout de l’Europe, tout près de l’Oural, en Russie et en Ukraine. Il évoque aussi la figure intéressante d’un musicien de ses ancêtres, Adolphe Samuel, auteur d’un Christus dont le grand succès le conduisit à demander la conversion à l’évêque de Gand. Une certaine forme de talent mène à tout…

Mais, au terme de cette longue exposition d’ancêtres retrouvés ou identifiés, Druon se pose toujours la même question existentielle : que sommes nous venus faire sur cette terre ? Comment être sûr et certain d’avoir bien accompli sa mission ?

Je ne résiste pas à la tentation de citer ce passage : Ma vie allait parvenir à son émergence. Quand je contemple en moi-même, dans l’avant-être (sic) ses étranges lignées,… cette galerie de personnages où je distingue tant de dons, mais aussi tant de destins gâchés, je reviens invinciblement à la question première et dernière : quel principe et quel possible chacun de nous a t il charge de manifester ?

Parmi ce si lointains ancêtres, de l’Académicien, se trouve le peuple Khazar, ce peuple mythique, connu pour avoir voulu embrasser le judaïsme, un judaïsme tolérant et ouvert, y tient une place non négligeable. Ce faisant, Druon reprend la thèse de ces supposées conversions massives des populations locales qui rejoignirent le peuple d’Israël, dans sa composante ashkénaze… Staline, nous rappelle-t -il, ne supportait pas qu’on mentionnât devant lui ce fait apparemment historique. Voici ce qu’écrit Druon à la fin de ce même chapitre : Ce sont les arrière-neveux des Khazars qui ont fait en Europe des carrières ou des fortunes étonnantes. Et ce sont eux qui, contre toute évidence, ont construit l’état d’Israël.

La volonté de savoir d’où il provient a poussé notre mémorialiste à aller sur les lieux où ses ancêtres ont vécu et, partout, il fut très bien accueilli puisque selon les projections il comptait dans cette Europe orientale un peu plus de vingt-cinq millions de lecteurs et d’admirateurs. Pour le lointain Brésil, il s’y rendit à l’âge de soixante-dix ans et bien plus tard pour les pays de l’Est : à quatre- vingt-trois ans !!

Cette immersion dans le passé signe une nouvelle fois cette lutte contre le temps, cette impossibilité d’emprisonner l’instant, de le garder, de le retenir. Il est vrai que c’est le défi de tout mémorialiste ; parler de ce qui est passé, le ressusciter grâce à la plume. Dire aux générations futures ce qu’on a été ou voulu être, les idéaux qu’on a voulu incarner pour donner du sens à son existence. Même si l’on sait bien qu’au bout du compte, une épée de Damoclès est suspendue au-dessus de notre tête, la mort.

La mort, parlons en car elle a joué un rôle incontestable dans la vie de cet homme dont le géniteur qu’il n’a jamais connu, a mis fin à ses jours après avoir été le jeune amant de sa mère, Lazare Kessel. Il n’avait que dix-sept ans lorsque commença cette liaison avec la mère de l’écrivain. On se garda bien de dire la vérité au jeune homme sur le suicide de son géniteur, on préféra parler de la fameuse grippe espagnole qui faucha des millions d’individus dans toute l’Europe. L’enfant, le jeune adulte, l’homme d’âge mur ne s’est probablement jamais remis de ne pas avoir de père. Et les mensonges pieux de sa génitrice n’ont pas réussi à cicatriser cette blessure restée béante. Il pourfend les mensonges de sa mère par un lapidaire : c’est une affabulation de comédienne. Ils ne vivaient plus ensemble. Et il conclut cet épisode qui le poursuivra toute sa vie : un vide, une absence, un manque, sûrement.

Il se demande si ce père fantomatique l’a jamais pris dans ses bras, cet homme qui disparut alors que son enfant n’avait que deux ans, tout au plus… Druon parle aussi d’une rencontre avec une femme russe de belle prestance qui lui avoua avoir été la maîtresse de son père lorsque celui-ci décida de quitter sa mère… On comprend mieux qu’il n’ait guère aimé son enfance et eût préféré naître immédiatement à l’âge adulte.

Si lors de l’évocation du père (qu’il n’a pas connu), le ton est modéré et presque grave, le portait que Druon brosse de sa mère est vif et au vitriol. Cette grande comédienne était devenue intraitable, acariâtre et constamment insatisfaite. Elle mourut centenaire, nous dit son fils, probablement pour nous donner une idée du long calvaire qu’il dut supporter. Elle espérait même lui survivre aurait dit à sa bru le jour de son mariage : désormais, c’est vous l’héritière…

Après bien des pérégrinations, la petite famille finit par s’installer dans une bourgade normande où sa mère lui annonce sur un ton sans réplique qu’à partie de ce jour ils allaient vivre avec cet homme (Druon) qu’il devait désormais appeler : papa. A partir de là , le futur académicien par le de couple come de ses parents…

                                                                                                         (A suivre)

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