Bahram Elahi, Fondamentaux du perfectionnement spirituel : le guide pratique (Dervy, 2019)
Voici une citation qui résume bien le point de vue de l’auteur de ce bel ouvrage : … si on se concentre exclusivement sur le monde matériel, si on ne nourrit sa pensée qu’avec des vérités d’ordre matériel,, quand bien même on serait le meilleur dans sa discipline on se prive de l’appréhension correcte de la dimension spirituelle des choses, au point de nier l’existence de Dieu, de l’être, de l’au-delà, du Compte,
Tout le programme de ce guide pratique du perfectionnement est résumé en ces quelques lignes.. ce qui atteste bien de sa densité.
Je dois à la vérité de dire que j’ai d’abord éprouvé un peu de méfiance vis-à-vis de cet ouvrage, en raison de son titre ; mais dès que j’en ai abordé la lecture, j’ai été comme envoûté, moi qui ne confond jamais l’esprit avec l’intellect. Nous avons affaire ici à une sorte de belle leçon de philosophe morale, une morale désintéressée, adossée à la vertu dont le point central est la purification de l’âme.
Mais ce qui m’a le plus frappé, c’est l’universalité du propos, le caractère éminemment commun à toute âme humaine, soucieuse de s’améliorer, de répondre sagement à toutes les questions existentielles qui se posent à elle : d’où vient-elle ? Où va-t-elle ? A quoi se résume une existence humaine, hic et nunc ? Toutes ces questions le père de l’auteur, le célèbre Ostad Ellhai se les avait posées et entrepris de donner des réponses que son fils, dans le sillage de son géniteur, s’applique à développer et à commenter fidèlement.
Bahram Elahi, Fondamentaux du perfectionnement spirituel : le guide pratique (Dervy, 2019)
Ceci est un point important : l’auteur, médecin vivant en France depuis de longues années (il a fait ses études de médecine à Montpellier) et ancien professeur d’anatomie à la faculté de médecine de Téhéran, s’efface entièrement devant un père omniprésent dont il se veut l’humble et reconnaissant continuateur, ce qui présuppose la présentation de la pensée et de la spiritualité paternelles.
J’avais déjà eu la possibilité de me familiariser quelque peu avec la pensée de ce digne magistrat chiite de noble prestance qui se s’est signalé depuis longtemps par ses recherches en matière de spiritualité. Et la lecture de ce Guide pratique a évoqué dans mon esprit maintes réminiscences provenant d’autres cultures et d’autres spiritualités mais qui évoquent les mêmes thèmes en des termes un peu différents. Preuve que la spiritualité authentique ne connaît nu appartenance confessionnelle ni limitation à une aire culturelle exclusive.
L’accent est mis sur l’âme, la nécessité de la privilégier par rapport au corps et à toutes ses passions, , son ego, ses désirs, ses phobies. Et l’auteur souligne le rôle joué par ce qu’il nomme l’amnésie spirituelle : je trouve cette expression fort bien choisie. Il est regrettable qu’on ne puisse pas en dire plus à son sujet dans le cadre d’un simple compte-rendu.
Bien que la spiritualité développée par Ostad Elahi plonge ses racines dans une aire culturelle bien déterminée, elle dépasse, en vertu même de son essence, la religion ou la confession qui l’ont vu naître. Le chapitre sur Dieu et sur la quintessence des religions est paritairement éloquents à ce égard. En effet, tout credo religieux génère chez ses meilleurs représentants ou adeptes une spiritualité : c’est la partie spirituelle de l’âme qui veut aller le plus loin possible de toute attache matérielle qui gênerait son ascension vers le monde éthérique de l’esprit. En tissant ce lien si ténu entre le monde des éléments et l’univers de l’esprit, l’auteur, suivant les traces de son père, invite à détisser les liens qui nous unissent au monde matériel et nous y retiennent prisonniers..
Toutes les grandes cultures qui constituent notre univers, le judaïsme, le christianisme et l’islam se sont efforcées de délimiter l’espace imparti à la matérialité pour tenter de s’enraciner dans le monde des esprits. Cette ascension patiente et soutenue mène au perfectionnement (l’auteur utilise la majuscule). Et curieusement, cette sagesse aux accents de morale stoïcienne se retrouve aussi dans les sources juives anciennes, notamment la littérature midrashique et talmudique. Notamment dans le Traité des Pères (Pirké Avot) qui pose les questions qui touchent toute vie, toute existence humaine. On y parle d’ADAM et non du fils d’Israël ou du Juif…
A propos de l’âme, idée centrale, véritable pivot de ce bel ouvrage, on en trouve l’importance soulignée dans les spiritualités mentionnées plus haut. Chacun connaît la maxime delphique : Connais toi toi-même. Celle-ci a connu des adaptations en hébreu et en arabe. En hébreu : reviens vers ton cœur et c’est l’Eternel ton Dieu qui fera retour en toi. En arabe : connais ton âme O homme et tu connaitras ton Dieu… Dans les trois traditions, l’âme humaine reste connectée au règne du divin. Et c’est bien elle qui constitue la quintessence de son être : mon moi n’est autre que mon âme. On sent ici, comme ailleurs, une certaine imprégnation platonicienne qui couronne, hélas, une dichotomie entre la matière et l’esprit. Mais ici, on la sent pas vraiment puisque l’homme est conçu comme un tout.
Dans la tradition philosophique grecque, et par la suite, arabe et juive au cours du Moyen Âge, l’aspiration est très forte d’accéder à ce degré suprême de perfectionnement avec pour objectif la perfection proprement dite. Les Grecs parlaient de macro anthropos, les arabes traduisaient par Insane kamil et les juifs ish shalém… Toutes ces idées ne se trouvent pas dans le présent ouvrage, pourtant celui-ci les évoque par des thèmes annexes. Ce qui montre bien que la même quête pro suit les mêmes résultats…
La distance séparant la religion populaire usant de thèmes mal dégrossis de la spiritualité pure est bien illustrée dans l’Epître de Hayy ibn Tufayl du médecin-philosophe andalou Abu Bakr ibn Tufayl : on y trouve la même comparaison avec les fameux miroirs sur lesquels se réfléchit els rayons de la sagesse divine. L’un des écueils de ce genre de littérature a été adroitement évité par l’auteur de cet ouvrage ; le Dieu ou l’Un qui nous fait face est une divinité reconnue par tous ; il est source de bienfaits puisque son attribut majeur est la générosité envers ses créatures. Il ne fulmine aucune menace ni malédiction à l’encontre de personne. Il est amour intégral.
Le professeur Théodore Monod raconte une anecdote survenue lors de ses explorations dans le désert du Ténéré. Un soir, il fait halte pour la nuit dans un petit hameau dont le chef religieux l’invite à partager son repas. Au cours de cet entretien, le religieux musulman lui dit en substance, ceci : Monsieur Monod, vous êtes un homme de vérité, donc un homme de Dieu. Or, l’islam est la seule vraie religion, pourquoi ne vous convertissez pas ? Voici la réponse de Monod. Cher Collègue, quand on monte, quel que soit le versant utilisé, on finit par se rencontrer… Tant il est vrai qu’il faut extirper les racines de tout exclusivisme religieux.
Il faut noter un indice révélateur, si j’ai bien lu, on ne parle pratiquement pas de l’intellect, de l’aspect intellectuel mais toujours d’esprit et de spiritualité. Il y a peu de temps, un membre de l’Académie Française, Monsieur François Cheng publiait un livret exquis sur l’âme. Il y expliquait que cette notion, si cruciale pour la vie humaine, souffrait d’un déficit croissant dans la production philosophique, qu’il s’est chargé de réduire avec talent.
En prenant connaissance de ce que l’auteur nomme la Source, je n’ai pu m’empêcher de penser aux différents niveaux d’éminence oncologique des entités suprêmes que sont les sefirot des kabbalistes. : chacune tire son essence de l’entité spirituelle qui la précède et c’est l’adhésion des humains aux unes et aux autres qui permet de mesurer leur niveau de perfection. Par exemple, l’accès à la connaissance prophétique est le niveau le plus haut, la dernière séfira, malkhout, (le royaume), la dixième, la plus proche de notre monde sublunaire…
Je veux élargir le cadre de la spéculation de cet auteur qui renvoie à des essences supérieures dont les êtres existants ici-bas ne sont qu’une pâle copie. Mais il existe un moyen de s’élever et de transcender sa propre condition. En se focalisant sur les choses de l’esprit. Il n’est même plus nécessaire, nous assure l’auteur, de se donner un maître auquel il faut obéir aveuglément ; il suffit de chercher et de suivre Sa guidance (p 37 in fine).
Quand l’auteur parle du flux divin et qu’il traite allusivement de la dialectique de l’Un et du multiple, quand il expose les échanges réciproques entre la Source éternelle et les êtres existants, lesquels subsistent grâce à la fruition de ce flux, j’ai l’impression de feuilleter un manuel de kabbale hébraïque évoquant le shéfa’ le flux divin dirigé, destiné à maintenir le morde dans l’être.
Au risque d’étonner l’auteur lui-même : en poursuivant ma lecture attentive de son ouvrage je découvre qu’il donne de la droiture et de l’authenticité … la même définition que Maimonide donne de la foi vraie ou de la croyance au chapitre 50 de la première partie de son Guide des égarés : La droiture, c’est le contraire du mensonge et de duplicité, cela signifie que le cœur et la langue disent la même chose…
En conclusion, ce livre évoque bien d’autres doctrines spirituelles comme par exemple les œuvres de Sören Kierkegaard, de Martin Buber, notamment son Je et Tu (1923), et tant d’autres chefs d’œuvre de la littérature de la sagesse. Comme Abraham Heschel, théologien juif américain, grand ami du pasteur Martin Luther King et auteur des Bâtisseurs du temps. On peut dire que Ostad Elahi peut, grâce à l’entremise de son fils, prendre dignement sa place aux côtés de ce prestigieux x