Marie Dosé, Les victoires de Daech. Quand nos peurs fabriquent du terrorisme (Plon)
Faut-il traiter les repentis de Daesh autrement que ne le font certains juges actuellement, en leur refusant toute remise en liberté dans l’attente de leur jugement ? Est-ce la meilleure façon de fabriquer de futurs terroristes, en somme est ce une attitude contreproductive ? C’est la principale thèse de l’auteure qui s’appuie sur un certain nombre d’exemples assez émouvants.
Faut-il leur faire confiance lorsqu’ils affirment ne pas avoir bien discerné ni compris la vraie nature de ce groupe terroriste qui a ensanglanté au moins deux pays du Proche Orient et commis aussi des attentats meurtriers en Europe et ailleurs dans le monde ? Je m’interroge toujours, même avoir lu ce petit livre de la première à la dernière ligne…
Marie Dosé, Les victoires de Daech. Quand nos peurs fabriquent du terrorisme (Plon)
Je ne suis pas insensible à la démonstration (ou au plaidoyer) de l’auteure, j’admets certains arguments en ma créance mais pas la totalité. La justice est rendue au nom du peuple français, donc en notre nom à tous et je ne veux pas d’iniquité commise en mon nom ; mais comment évaluer le degré de sincérité, le niveau de dé-radicalisation de quelques repentis qui ont, pour quelques uns, excellé dans l’art du double langage, un genre littéraire ou de rhétorique arabe, appelée taqiya qui autorise à mentir et à faire semblant dans certaines conditions ?
J’ai un peu hésite avant d’entreprendre la discussion de ce livre, étant entendu que le philosophe, même spécialiste de philosophie politique, ne s’occupe pas de ces choses que sont le terrorisme, la violence aveugle et la barbarie, face aux règles de la justice et du Droit. Ces sujets ont de l’importance, certes, mais relèvent d’autres catégories analytiques. Nous laissons cela aux sociologues dont c’est vraiment la spécialité. Mais en avançant dans la lecture du livre, je me suis rendu compte qu’il posait des questions de fond, je dis bien poser et non y répondre, et que, par conséquent, il suscitait, malgré tout, des questions d’éthique et de philosophie, sans même parler du Droit dont l’auteur est une praticienne, notamment du droit pénal.
Il ne faut pas se contenter, comme les font les adeptes de la paresse intellectuelle, de la partie visible de l’iceberg ou, mieux encore, de l’écume des jours. Certes, ce que notre pays et nos compatriotes ont vécu lors de ces terribles attaques terroristes organisées par l’E.I., pose, en plus de la terrible, de l ‘horrible réalité, des questions incontournables. Ces questions sont évoquées dans l’introduction de l’ouvrage. J’aimerais les approfondir un peu, tout en tenant compte de la thèse de l’auteure de ce livre que je ne partage pas dans son entièreté.
Quelques remarques préliminaires s’imposent. Elles portent sur les milieux producteurs de ce terrorisme, de cette séparation d’avec le corps social de notre pays.
Le premier cas évoqué par l’auteure a retenu toute mon attention : il est bien rédigé, dans un style sobre et clair, sans s’apitoyer sur le sort de gens qui se considèrent innocents et abusivement incarcérés, ce qui les conduit à nourrir une haine inexpiable à l’endroit d’un pays et de ses autorités, accusées de faire preuve d’une absence totale d’équité… L’auteure est fondée à souligner que les recruteurs terroristes savent déceler ces frustrations, ces véritables abcès de fixation ; parfois, ils vont même au-devant des attentes de personnes affaiblies, isolées et sensibles à un discours en lequel ils se reconnaissent. Une sorte de dolorisme anti-islamique du genre : on ne nous aime pas, la justice est injuste avec nous, on est opprimé, etc… L’auteure insiste aussi sur la présence de ce grand danger, en milieu carcéral d’abord, lequel obéit à des règles différentes de celles de la société civile.
Comment en sommes nous arrivés là ? Au point que des gens, jeunes et non encore endurcis par les aléas de l’existence, ni n’ont connu la sublime mélancolie de notre destinée (Martin Buber), quittent le pays où ils sont nés, la France, pour se rendre, au péril de leur vie, dans une zone de guerre qui leur paraît plus attrayante que la cinquième puissance mondiale ? Pour faire court, je crois que c’est parce qu’ils n’y ont pas trouvé leur place et qu’ils se considéraient comme des citoyens de seconde zone. Cette appréciation se discute, c’est certain. Et on peut citer de nombreuses autres vagues d’immigration dans notre pays où d’autres nouveaux-venus ont su persévérer et avoir leur place au soleil, sans jamais avoir posé de bombe ni menacé leurs concitoyens… Il me semble que rien ne saurait justifier une si aveugle violence. Mais une fois que le crime majeur est commis, que faut il faire, comment réagir ? Ramener nos coupables concitoyens chez nous, chez eux, ou les laisser là où leur esprit égaré les a entraînés ? Ne doit-on pas prendre toutes les mesures, même discutables, pour préserver d’autres victimes innocentes ?
Mais même dans ce cas précis, on ne parvient toujours pas à simplement comprendre un tel aveuglement. La République française est un Etat de droit, elle garantit la liberté de conscience, elle est laïque mais cela ne signifie pas qu’elle est l’ennemie des religions puisque, en sa qualité de nation originellement chrétienne, elle est considérée comme la fille aînée de l’Eglise. Même la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen s’inspire de cet humus religieux. A l’évidence, il y a quelque part la faillite des systèmes ou de passerelles d’intégration, car je n’ose pas, dans une telle situation, parler d’assimilation. Durant de nombreuses décennies, les gouvernants ont contourné le problème, feignant de regarder ailleurs tandis que d’autres, plus lucides, ont décidé de parler des territoires perdus de la République. Mais depuis quelques jours, le président de la République parle de remédier à ce qu’il nomme clairement le séparatisme et se déclarant prêt à le combattre. Bon courage !
Existe-t-il une compatibilité entre l’identité islamique et la culture européenne ? En d’autres termes, peut-on vivre harmonieusement sa religion musulmane en Europe, et notamment en France ? La réponse est évidemment oui, à condition que l’on sache de quoi on parle. Je doute que l’on apprenne chez Daech le Traité décisif d’Averroès qui règle les relations entre la philosophie et la religion, en plein XIIe siècle !! Je ne sache pas, non plus, qu’on ait connaissance sous de telles latitudes, de la magnifique épître de Hayy ibn Yaqzan du médecin-philosophe ibn Tufayl, lequel eut l’insigne honneur, avant tous les théologiens chrétiens et juifs, de montrer que l’intellect humain pouvait, par ses propres moyens, se passer de Révélation divine et de tradition religieuse. Et ce en plein XIIe siècle… C’est la première critique philosophique des traditions religieuses, que je connaisse dans l’histoire des relations philosophico-religieuses. Et c’est un Andalou qui a eu cet inestimable mérite.
Je me suis toujours demandé comment l’ignorance pouvait servir de cache-misère à des revendications identitaires absolument infondées ; de quel islam parle-t-on ? Il existe dans la spiritualité islamique de l’humanisme, comme il en existe dans la Bible hébraïque et dans les Evangiles. Mais visiblement, ce n’est pas le sujet.
Aujourd’hui, la Realpolitik nous commande de regarder les choses en face. Et notamment de traiter un sujet des plus épineux puisqu’il touche aux racines du Droit et donc à notre éthique politique. Devons nous, avons nous le droit, de laisser sur place, sans protection ni secours, des enfants nés dans la zone irako-syrienne et dont les parents, morts ou détenus localement, ont commis des crimes de sang particulièrement horribles ? Ces enfants, souvent de très bas âge, ainsi que leurs mères (quand ils ne sont pas tout simplement orphelins), peuvent ils payer pour les crimes de leurs parents ? Après tout, ils n’ont pas demandé à venir au monde dans de telles conditions … Voici une référence à ce qu’on nomme l’individualisme religieux, notamment dans le chapitre 18 du livre d’Ezéchiel : les fils ne paieront pas pour les pères, ni les pères pour leurs fils. C’est l’affirmation de la responsabilité individuelle et le rejet de la culpabilité collective, trans- générationnelle.
Par ailleurs notre Constitution et notre culture éthique exigent un minimum de respect des règles. La France est un pays de culture judéo-chrétienne et le Décalogue biblique fait partie de son héritage spirituel et religieux. Souvenons nous du passage du livre de la Genèse où le patriarche Abraham plaide en faveur de l’acquittement des deux villes pécheresses Sodome et Gomorrhe en apostrophant Dieu de la manière suivante : Est ce que le juge de toute la terre ne pratiquerait pas la justice? Encore et toujours cette référence à la justice qui s’impose au Créateur lui-même ! Mais dans le cas présent, tout en comprenant le vibrant plaidoyer de l’avocate, j’ai aussi de la compréhension pour la thèse adverse, défendue par ceux qui craignent de futures dévastations dans notre pays, si on venait à rapatrier tous nos ressortissants devenus des terroristes malgré eux, en ce qui concerne leurs enfants et pour ce qui est de leurs parents, à la suite d’un terrible égarement…
Peut-on parler des règles du Droit quand il s’agit de terrorisme ? On doit parler du Droit en toutes circonstances, même si l’individu que je suis est submergé par l’émotion quand je me souviens de cette terrible nuit du 13 novembre. Et pourtant, Kant nous a appris ce que sont les fondements métaphysiques du Droit. En gros et pour faire court, pour exister le Droit n’a même pas besoin que le monde existe, il transcende tout, absolument tout, et sans lui, aucune société ne peut vivre. Dans La République et dans Les Lois, Platon nous explique que même une association de brigands a besoin de règles précises pour assurer sa cohésion. Et n’oublions pas cet adage latin, issu du droit romain, le père de tous les Droits : Fiat justitia pereat mundus : que la justice soit, le monde dût il en périr…
Par bonheur, certains philosophes, dont Hegel ont marqué leur désaccord avec un tel principe si extrémiste. La loi, la justice, sont aussi là pour assurer le bonheur de l’homme dans la société.
Alors, comment départager les deux parties ? Faut il souscrire à la rigueur implacable du jugement (l’arsenal judiciaire anti terroriste) ou, au contraire opter pour la Grâce dispensatrice de bienfaits (accueillir les mères et leurs enfants, ne pas les laisser croupir dans des conditions de vie insupportables) ? Il est tr !s difficile de trancher. Sans jamais baisser la garde pour protéger notre pays et nos concitoyens, il faudrait au moins rapatrier les enfants, avec ou sans les parents. Mais un jour, il faudra bien régler aussi ce lancinant problème. On ne peut pas se satisfaire d’une procrastination. L’auteur dit, à la fin de son plaidoyer, que son pays la France lui manque mais les victimes des attentats manquent aussi à leurs familles…