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Hommage à Christophe Tamisier, éditeur (1955-2020)

Je me dois, en ces quelques lignes, rendre hommage à un grand éditeur. Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, un homme qui fut non seulement mon éditeur mais un grand ami, un excellent conseiller éditorial et un être éminemment bienveillant. Il vient de nous quitter à l’âge de soixante-cinq ans des suites d’une longue maladie. La nouvelle me laisse sans voix, mais il faut témoigner. Et je me dois comme tant d’autres de ses amis, de le faire.

Au plan personnel, ma dette envers lui est immense. Quelques uns de mes ouvrages sur la philosophie juive ont paru dans sa maison d’édition, Armand Colin (Dunod) où il favorisa si magnanimement leur accueil. Je me souviens encore aujourd’hui de notre première rencontre, lors d’un déjeuner auquel je l’avais convié dans un établissement du XVIe arrondissement. Cela a dû se passer vers 2005, ou peu avant, trois années avant sa nomination comme Directeur général des éditions Armand Colin. Cette charge durera de  2008 à 2013.

Le courant est aussitôt passé entre nous. Bien que très proches par l’âge, il avait quatre ou cinq ans de moins que moi, nous nous en tenions au voussoiement. Nous étions très proches mais la familiarité n’a pas touché nos relations. Jean-Christophe était une personne exigeante.

Comment caractériser mon ami disparu, Jean-Christophe, et qui laisse un grand vide parmi nous ? C’était un esprit fin, libre et direct. Mais cette franchise n’avait rien de rude ni de méchant. Il pensait ce qu’il disait et disait ce qu’il pensait. Dans des milieux moins bien choisis, cela lui a parfois coûté cher…

Je lui ai toujours fait confiance et la meilleure preuve en est qu’après son départ de la direction générale d’Armand Colin, je n’ai plus rien publié dans cette grande maison d’éditions qu’il avait contribué à redresser et à ouvrir à d’autres secteurs.

C’est dans ce cadre que j’eus le grand privilège de développer dans cette maison plusieurs ouvrages sur le judaïsme et la philosophie juive. Et je voudrais dire, aujourd’hui, alors qu’il n’est plus là pour l’entendre lui-même que sans lui, le recueil Ecoute Israël, Ecoute France, n’aurait jamais connu les honneurs de l’impression. Il y tenait tant et moi je m’étonnais de voir qu’un simple recueil d’articles parus dans Le Monde, Le Figaro et la Tribune de Genève l’intéressait. C’est d’ailleurs à lui que nous devons le titre (ci-dessus) et le sous-titre : sachons préserver notre patrimoine commun.

Pour lui, la communauté juive fait partie intégrante de la grande communauté nationale. Et l’identité juive est absolument conciliable avec la culture européenne. C’est ainsi qu’il voyait les choses et, cela tombe bien, moi aussi : d’où l’aspect fructueux de notre collaboration.

Il me donna accès à deux collections importantes de cette maison d’édition : la collection 128 et la collection U où ma Philosophie juive, rééditée depuis, put paraître. Rendez vous compte : la collection U, pour universitaire , attendit les années 2000 pour recevoir enfin en son sein la philosophie juive. Je me souviens que Jean-Christophe me fit l’unique remarque suivante : je sais bien que vous saurez mettre à nu toutes les influences exercées ou subies par ce type de pensée… Me connaissant, ayant lu mes travaux, il savait bien que j’étais réfractaire à toute autarcie intellectuelle. Il lui fallait un esprit ouvert, compétent et sérieux. C’est ce qu’il m’a appris à devenir.

  Et il a même mis sa plume à mon service puisqu’il remania très légèrement les cinq premières pages de l’introduction. Il faut dire qu’il connaissait très bien la philosophie et l’histoire des idées ; il s’était jadis engagé dans la coopération du ministère des affaires étrangères, ce qui l’avait conduit à enseigner la philosophie dans de lointains rivages (Colombie, Russie, etc).

J’ai aussi fait pour lui des traductions de l’allemand en langue française, notamment l’ouvrage de Léo Baeck (ob. 1956), le dernier grand rabbin d’Allemagne, intitulé Ce peuple… Comme nous étions très amis, Jean-Christophe me dit directement que l’on ne pourrait pas payer les frais de traduction, je consentis à faire le travail gratuitement. Mais la récompense vint plus tard : il accepta de publier la seule biographie française de ce même Léo Baeck, Conscience du judaïsme moderne. Et récompense encore suprême : la prestigieuse maison d’édition WBG (Wissenschaftliche Buchgesellschaft) de Darmstadt a bien voulu faire traduire ma biographie de Baeck en allemand. Un livre français sur Baeck traduit en allemand ! L’événement fut fêté comme il convient dans les salons de l’hôtel de Beauharnais, chez Monsieur l’ambassadeur d’Allemagne à Paris… Cela fit quelques envieux mais ce sont là les aléas de la nature humaine. J’avais obtenu que Jean-Christophe prît la parole le premier, immédiatement après l’ambassadeur Reinhard Richarz

Mais je finirai sur une note positive : au cours d l’année 2010, Jean-Christophe me pria de lui remettre les insignes de chevalier de la légion d’honneur., une distinction honorifique obtenue sur le contingent du Premier Ministre. La nation rendait donc hommage à un de ses fils qui s’était illustré bien au- delà des frontières de l’Hexagone.

Ce fut un trop grand honneur que de pouvoir lui remettre cette médaille de notre premier ordre national, mais il y tenait et j’y consentis. La cérémonie se déroula dans un salon privé d’un beau restaurant de Montparnasse, devant un petit groupe d’amis et de collègues de Jean-Christophe.

Cette évocation est  trop brève, trop sommaire pour parler d’un personnage aussi marquant de l’édition française à laquelle Jean-Christophe consacré trente de ses belles années. Mais que faire !

Me revient en mémoire une belle définition de la résurrection par Ernest Renan : Ressusciter, c’est de continuer de vivre dans le cœur de ceux qui vous ont aimé.

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