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Renan, un esprit qui s’émancipe de la Tradition et de l’orthodoxie (VI)

                                      La foi disparue, la morale reste… ( Renan)

Nous approchons du dénouement : Renan a rompu avec cette sainte mère, l’église, qui l’a nourri, adopté, protégé, formé, lui a ouvert presque tous les horizons et voilà que lui, en guise de reconnaissance, lui tourne le dos ;  et il la critiquera au cours des années suivantes avec une violence inouïe.Mais au sein de l’église catholique, Renan ne veut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, il s’en prend exclusivement à l’orthodoxie qu’il qualifie de barre de fer : elle ne cède sur rien, ne recule pas d’un pouce, veut tout conserver même les dogmes les plus invraisemblables.  Une telle position est absolument intenable selon notre philosophe-historien.

Les gens blasés, ou simplement les cyniques, diront qu’il n y a dans cette vive ingratitude rien d’étonnant, que c’est l’absence généralisée d’éthique, et que  Renan ne fait pas exception à la règle. Triste vérité,  affligeant constat.

Je préfère voir en Renan un chevalier de la vertu, comme le disait dans un autre contexte Sören Kierkegaard. Renan s’est sacrifié au nom de la liberté de pensée et son geste n’a pas toujours été mal interprété, y compris dans les rangs ecclésiastiques, surtout au début, lors que Renan n’avait pas encore publié son brûlot Vie de Jésus… J’en veux pour preuve la réaction de futur Mgr Dupanloup qui reste tout de même à l’origine de toute l’affaire. C’est lui qui avait misé sur le jeune Breton, c’est encore lui qui l’a pris en main en tant que Niicolaïte. Après cette journée fatidique du 6 octobre 1845, savez vous ce que fit le futur prélat d’Orléans ? Eh bien, comprenant que Renan était entièrement démuni au plan financier, il lui proposa de prélever quelque argent de son propre pécule, tout en regrettant ne pas pouvoir en faire plus. Il ajoutait même qu’il espérait ne pas avoir blessé son ancien protégé. Quel beau geste ! Le religieux aurait pu faire pression sur le jeune séminariste, voire lui faire du chantage affectif, il s’en abstint entièrement. Et chaque fois que l’occasion lui en est offerte par le contexte, Renan rend hommage à la grandeur d’âme de cet homme, même si, quant au fond des choses, il avait un jugement réservé sur les capacités intellectuelles du futur archevêque d’Orléans.

N’ayant nulle part où aller, Renan va loger dans ce petit hôtel, de l’autre côté de la place Saint-Sulpice, dirigé par une dame au prénom prédestiné, Mademoiselle Céleste… Il régnait, dit il, dans cet établissement comme un esprit ecclésiastique indéfinissable : on avait l’impression que ce lieu était une sorte d’annexe du séminaire de Saint-Sulpice. D’ailleurs, on n’y accédait que sur recommandation des autorités ecclésiastiques. Ce qui en dit long sur la nature de la clientèle

Du moment que le christianisme n’était pas la vérité, le reste m’était indifférent… En effet, rien ne comptait vraiment pour lui ; maintenant qu’il avait changé d’univers, le centre de celui-ci n’était plus le même. Le monde n’était plus confiné aux ecclésiastiques, à la cléricature ou  aux autres sciences religieuses. Renan nous décrit les conflits intérieurs qu’il subissait. Avait-il changé de nature ou simplement de costume ? C’est ce qu’il expliqua à sa chère maman lorsque celle-ci lui fit part de son déchirement.  Elle rêvait de faire de son fils un curé, c’était bien ce qui était prévu. Et toutes les études effectuées à Tréguier et ensuite à Saint Nicolas allaient dans le même sens.

Renan, on se le rappelle, a adoré sa chère mère et il ne supportait pas l’idée de la faire souffrir. Il réussit à lui faire admettre qu’il existait maintes façons d’être prêtre. Au fond de lui, nous dit il, rien n’avait changé, à cette différence près qu’il aimait toujours ce christianisme de Bretagne, diffusé et incarné par des hommes simples, bons et honnêtes. Ceux là au moins ne se livraient à aucun compromis avec la vérité. On aura remarqué que Renan n’omet jamais de rendre hommage à la mémoire de ces vieux prêtres droits, honnêtes et fidèles au magistère, même si lui-même s’en était distancié depuis qu’il fit connaissance avec l’exégèse critique des Allemands.

Ici, Renan pêche un peu par idéalisme ; cette Vérité absolue dont il rêve, existe t elle quelque part ? Est elle à notre portée ? La science historique n’est elle, elle aussi, une petite science conjecturale ? Après tout, lorsque les meilleurs hébraïsants allemands proposaient la solution d’un Psaume biblique un peu obscur, cette exégèse ne durait guère plus d’une décennie ou deux, tandis que d’autres commentaires, plus autorisés, voyaient le jour. De quelle vérité parlons nous alors ? N’a t il pas écrit ceci : mon ignorance du monde était complète. Tout ce qui n’est pas dans les livres m’était inconnu… dès ses premiers pas hors de Saint-Sulpice il dut affronter la réalité du monde, et là on se trouvait à des années-lumière des traités allemands de métaphysique… Mais le monde peut aussi réserver de bonnes surprises, ainsi l’amitié profonde et pérenne avec le grand scientifique que fut Berthelot. Cette amitié de deux esprits forts en quête de vérité renforça Renan dans sa nouvelle existence.

Renan en parle comme d’une aubaine de la divine Providence ; il accorde une grande importance à ces heureux hasards qui permettent de telles rencontres. Il nous dit que la chambre de Berthelot était tout près de la sienne.  Lempthie réciporque entre les deux jeunes esprits fut totale. Renan raconte que son ami l’accompagnait jusqu’à un certain endroit, lui aussi n’était pas en reste et, à son tour, raccompagnait son ami. Et ce petit jeu se poursuivait autant de fois qu’il fallait, tant ces deux jeunes esprits avaient de choses à se dire et à partager. Dans ces Souvenirs… Renan n’adopte jamais un ton lacrymogène ; bien au contraire, il rend sans cesse grâce aux fées qui se sont penchées non pas sur berceau mais qui, à l’âge mûr l’ont entouré de leur bonté et de leur bienveillance.

Renan est conscient du danger inhérent à toute autobiographie, au fait simple d’avoir à parler de soi, ce que ses vieux maîtres bretons lui avaient appris à ne jamais faire. Lisons ce qu’il dit à la fin de cette longue confession ;  

Mon siècle et mon pays ont eu pour moi bien plus d’indulgence Malgré de sensibles défauts, malgré l’humilité   de son origine, ce fils de paysans et de pauvres marins, couvert du triple ridicule d’échappé de séminaire,, de clerc défroqué, de cuistre endurci, on l’a tout d’abord accueilli écouté, choyé  même, uniquement parce qu’on trouvait dans sa voix des accents sincères…

Dans toute cette citation, c’est le terme ultime qui compte. La sincérité de Renan.

                           (A suivre)

 

 



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