Pierre-André Taguieff ; Hitler, les Protocoles des sages de Sion et Mein Kampf (PUF)
Inépuisable antisémitisme nazi ou de quelque autre provenance que ce soit, mais chaque publication de notre éminent collègue et ami PAT est un événement qu’il convient de saluer à sa juste valeur. En l’occurrence, il s’agit d’explorer et d’étudier l’influence exercée par la lecture de ce célèbre faux, confectionné par des cercles proches de la police secrète tsariste, les Protocole des sages de Sion. Par de tels faits qui déshonoraient leurs auteurs, on entendait prêter aux juifs de noires arrière-pensées qu’ils n’avaient point, à savoir dominer le monde et asservir tous les peuples à leur autorité. Or, quiconque a, ne serait-ce que de très élémentaires notions d’histoire juive, sait qu’une telle affabulation relève d’un imaginaire morbide er totalement débridé. Mais les lecteurs de ce torchon ont été très nombreux dès sa parution vers 1920 en langue allemande ; parmi eux, on compte Adolph Hitler qui annonce dans son propre ouvrage Mein Kampf, volume I) qu’il a lu ce livre et y a trouvé de la matière qu’il incorpore à sa propre pensée déjà sursaturée d’antisémitisme.
Pierre-André Taguieff ; Hitler, les Protocoles des sages de Sion et Mein Kampf (PUF)
Dans le premier chapitre de ce livre de notre ami PAT, on prend connaissance de la conception qu’Hitler se faisait du fanatisme, un élément déterminant dans sa pratique dite politique et ses agissements violents.. Il se dit lui-même adepte de cette posture psychologique qu’est la violence extrême et laisse entendre que l’on n’aboutit à rien si l’on ne fait pas preuve d’une détermination absolue, entendez le fanatisme. Et en effet, quand on entend certains discours de cet homme dément on relève l’emploi d’un adverbe allemand qui signifie qu’on est prêt à tout, que l‘on ne se laissera pas fléchir, que rien ne nous arrêtera, qu’on ne recule devant rien : rücksichtslos. Mot à mot, sans regarder ce qui se passe derrière soi ni les conséquences de son acte.
PAT donne un grand coup de projecteur sur la constitution progressive de l’antisémitisme d’Hitler qui semble avoir pris naissance à Vienne, habitée jadis ou simplement traversée par d’innombrables Ostjuden, de pauvres juifs de l’Est, aisément reconnaissables à leur accoutrement et à leur barbe fleurie . Sauf erreur de ma part, vers ces années là, près d’un habitant sur quatre ou cinq à Vienne était juif et le maire Karl Lueger, antisémite notoire, savait se concilier l’aide et l’appui discret des grands bourgeois juifs de sa ville.. De son expérience personnelle avec ces pauvres gens, Hitler tire qu’ils mentent comme ils respirent. La duplicité est leur essence même. Mais notre homme ne s’en tient pas là car il fige l’image du juif dans l’incarnation d’un poison mortel pour ce peuple de Germains qui les accueille sans se douter du danger qu’il court. Mais on va encore plus loin, en s’appuyant sur le littérature de ses devanciers comme Paul de Lagarde, Wagner, Gobineau, et d’autres, Hitler compare le juif au bacille de la tuberculose qui ne peut agir que dans un sens, celui de la destruction et de la corruption, puisque c’est bien là sa nature : il ne peut rien faire d’autre. L’auteur cite un passage bien connu pour son horreur, où un juif caricatural, symbole même de la lascivité, guette une innocente jeune fille aux nattes blondes, symbole de la pureté et de l’innocence….. L’auteur nazi conclut : ce sont eux ou nous. C’est une lutte à mort. On en revient au fanatisme et à cet antagonisme insurmontable entre les Aryens et leur ennemi juté, le juif. Il saut aux yeux que cette psychose obsessionnelle a frappé Hitler dès son jeune âge pour ne plus le quitter par la suite, au point qu’il a préféré perdre la guerre plutôt que d’épargner des juifs. Certains trains militaires auraient pu être déviés des camps de la mort afin de permettre à des troupes fraîches de rejoindre tel ou tel front. Cette phobie a fini par le perdre et à précipiter toute l’Allemagne dans un ravin.
Voyons à présent l’apport des Protocoles des sages de Sion à un esprit déjà envahi par les brumes de l’imaginaire : les juifs dressent des plans pour dominer le monde et asservir tous les autres êtres humains.. Ils se rencontrent régulièrement pour affiner leur stratégie au point de la rendre toujours plus efficace. Mais les Protocoles ne se contentent pas de détailler ce projet d’une aube de la domination juive sur le monde, ils prêtent aux juifs des traits de caractère comme la conspiration, la sournoiserie, la fourberie, en un mot tout le contraire d’une âme vertueuse. En progressant en silence, sans bruit ou à bas bruit, ce complotisme n’e devient que plus dangereux puisque le secret est bien gardé. . Tout cet échafaudage repose sur une perversion unique de la pensée. D’ailleurs, dès leur parution, ces Protocoles furent démasqués et qualifiés de faux par des analystes impartiaux. Et surtout on ne voyait vraiment pas comment ces sociétés secrètes pouvaient exister dans un environnement historique si défavorable aux juifs qui s’étaient retrouvés entre deux feux lors de la Première Guerre mondiale. Comment envisager de dominer le monde entier quand on ne peut même plus se protéger soi-même ? Mais la pensée antisémite n’est pas à une incohérence près. Et PAT rappelle que les Protocoles… ont été traduits en puiseurs langues, y compris en arabe et continuent d’être réédités, notamment en Syrie.
Alors que le premier congrès sioniste se tenait à Bâle en 1897 au vu et au su du monde entier, les falsificateur parlaient de la conjuration de Bâle, faisant allusion à un congrès connue du monde entier…
On peut lire dans le présent ouvrage un chapitre très bien documenté sur la diffusion de ces Protocoles… Ce qui frappe le lecteur, ce sont les accusations contradictoires : les Juifs sont tenus pour responsables de la chute de l’empire russe, et aussi du régime impérial allemand. Ils sont tenus pour responsables de la révolution bolchevique mais aussi pour leur contrôle de la finance internationale. Bref, même la Grande Guerre leur est imputable. Il fallait trouver un coupable idéal, manipulant absolument tout de très loin , dissimulé par un masque. Enfin, il y a cette dénonciation du complot judéo-maçonnique, contre la conspiration de ces asiates (sic) contre la raca blanche et la civilisation chrétienne… Bref, tout y passe : les juifs sont responsables de tout ce qui ne va pas dans ce bas monde. Mais il est très intéressant de remonter la filière qui a mis Hitler en relation avec des passages des Protocoles… Ce fut tout d’abord l’influence de son mentor politique Dietrich Eckart et le russe blanc Alfred Rosenberg. Ne pas oublier l’influence délétère du milliardaire américain antisémite et admirateur d’Hitler (qui le lui rendait bien), Henry Ford et son journal The international jew. Ajoutez y son autobiographie. PAT cite une interview accordée par Hitler à un journaliste d’un journal de Detroit. Hitler y dit son désir d’envoyer quelques uns de ses partisans prêter main forte à Ford s’ils se présentait à la présidence… Un détail important : dans son discours du 31 mai 1920, Hitler accuse les juifs de préparer une conspiration internationale en vue de dominer le monde entier et PAT y voit un emprunt direct ou indirect aux Protocoles, traduits en allemand sous le titre suivant : Les secrets des sages de Sion. Partant, face à une conspiration internationale il faut un front antisémite de même envergure. C’est ce qui ressort d’un discours d’Hitler qui proposait la chose suivante : ne dites plus prolétaires de tous les pays unissez vous, mais antisémites de tous les pays unissez voue !
A l’époque où les idées des Protocoles commençaient de se diffuser avec une grande ampleur, c’est-à-dire aux alentours de 1920, l’empire russe avait succombé sous les coups de la Révolution de 1917, mais surtout après la fin de la Grande Guerre, l’empire allemand a finit par périr lui aussi. C’est alors que naquit la fameuse légende du coup de poignard dans le dos (Dolchstosslgenede) : les glorieuses armées allemandes n’ont pas été vraiment vaincues mais bien trahies par l’arrière. Et cet arrière, ce sont les juifs et les Francs-maçons !. Le maréchal Paul von Hindenburg et le général Luddendort se rallièrent à cette thèse, rejetant ainsi la responsabilité de la défaite et la fuite de l’empereur en Hollande sur le peuple, lui-même intoxiqué et manipulé par les… juifs. On a aussi parlé des criminels de novembre qui auront à rendre des comptes pour avoir signé le traité de Versailles. PAT cite plusieurs extraits de discours de Hitler qui annonce que l’heure des règlements de compte va bientôt sonner. Je n’aurai garder d’omettre au moins le nom de Darwin dont le darwinisme a tant inspiré Hitler à la fois dans sa politique intérieure que dans sa politique étrangère…
Il faut dire un mot de la crédibilité de ce faux que sont les Protocoles dont même certains dignitaires nazis (Rosenberg, Streicher, Goebbels, etc…) doutaient. Mais même si l’inauthenticité était évidente, ce qui apparaît nettement chez un pervers aussi fin que Goebbels, on tenait pour solide et avéré le contenu de ses propos. En d’autres termes : Les Protocoles étaient peut-être un faux, une œuvre fabriquée, mais ses éléments constitutifs ne disaient que la vérité sur le sujet traité…
Pour faire une idée de la nature du délire antisémite des Nazis, il faut peut-être citer le contenu du testament d’Hitler dicté en présence de Bormann et de ce même Goebbels , le 29 avril 1845, la veille de son suicide, alors que tout était perdu et que les soldats russes n’étaient plus qu’un à une centaine de mètres de son bunker ; le plus rand criminel de l’histoire humaine enjoignait à ses successeurs de poursuivre l’application stricte des lois raciales et de ne jamais permettre la moindre réintroduction juive dans la vie de l’Allemagne. Cela dépasse l’entement sain. Me revient en mémoire une phrase du grand spécialiste de la Rome antique, Théodore Mommsen : lorsqu’Israël a fait son apparition sur la scène de l’histoire mondiale, il n’était pas seul mais était accompagné de son frère jumeau : … l’antisémitisme !
Je souhaite à ce livre de mon éminent collègue et ami PAT la plus grande diffusion.