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  Un génie ou un salaud ? Louis-Ferdinand Céline Céline, la race, le juif : légende littéraire et vérité historique, par Annick    Duraffour et Pierre-André Taguieff, Fayard, 2017 (II)

             Un génie ou un salaud ? Louis-Ferdinand Céline

Céline, la race, le juif : légende littéraire et vérité historique, par Annick    Duraffour et Pierre-André Taguieff, Fayard, 2017 (II)

On a évoqué précédemment la difficulté qu’il y a à détacher Céline (1894-1961) , de son vrai nom Destouches, de ses violents pamphlets antisémites. Notamment Bagatelles pour un massacre et L’école des cadavres. Certains ont argué que Céline, le grand écrivain français du XXe siècle, faisait déjà partie de l’histoire de la littérature universelle. Les deux auteurs de cet ouvrage jugent qu’il fait aussi partie de l’histoire, moins glorieuse, des slogans et des mots d’ordre politiques, connus pour leur vacuité idéologique. Ce sont deux mondes totalement différents et pourtant ils ont cohabité au sein de la même personne.

 

 

             Un génie ou un salaud ? Louis-Ferdinand Céline

Céline, la race, le juif : légende littéraire et vérité historique, par Annick    Duraffour et Pierre-André Taguieff, Fayard, 2017 (II)

 

Il faut cependant rappeler que Céline n’est pas le premier à avoir pratiqué ce genre de littérature antijuive ; son principal précurseur n’est autre que Edouard Drumont avec sa France juive (1886). Il y eut aussi une pléthore d’écrivains plus ou moins connus qui avaient les juifs dans leur ligne de mire. Mais, à notre connaissance, aucun n’a autant retenu l’attention de la république des lettres que Céline. Reconnaissons lui tout de même une certaine originalité, lui qui haïssait les Juifs, les Francs-maçons, les Noirs, les Chinois, etc… Il mettait sur un même pied d’égalité le péril jaune et le péril juif. Sans se douter le moins du monde de la disproportion entre ces deux prétendus périls.

Il faut aussi dire un mot de l’état d’esprit de l’époque où les manifestations d’antisémitisme étaient fort nombreuses. Détester les juifs et le dire dans ses publications ne vous mettait nullement au ban de la société. Dans l’entre-deux-guerres des candidats à la députation dans le XVIe arrondissement de Paris se faisaient facilement élire sur un programme ouvertement antisémite… Cela ne choquait personne, tout juste les juifs ! Aujourd’hui, le fait que Céline ait jadis clamé haut et fort son amitié pour Hitler, nous indigne et nous semble impensable. Mais à cette époque là. Céline optait publiquement pour un rapprochement avec l’Allemagne nazie, arguant qu’on n’aurait rien à y perdre, hormis les juifs. Donc, cet auteur en faveur duquel certains déploient des trésors d’ingéniosité exégétique pour le blanchir de toute accusation raciste, ne faisait pas mystère de ses convictions politiques ni de ses affinités avec les fascistes.

Comment et pourquoi Céline est il devenu un pamphlétaire ? Selon certains, l’art, les belles lettres, la pensée, ne peuvent pas progresser sans controverses ni polémique. Le Talmud lui-même l’affirme, quoique dans un tout autre contexte : l’émulation entre les sages augmente la sagesse (Kin’at sofrim marba hockhma…) Mais le cas de Céline est un cas singulier, à part. Parallèlement à ses activités littéraires au début des années trente, il s’est lié d’amitié, a collaboré avec des officiers nazis dont les attributions en matière antijuive étaient connues de tous. Céline ne peut pas prétendre être tombé dans un piège. On a du mal à retenir son indignation quand il clame qu’il est persécuté, qu’on lui veut du mal, qu’il n’y a plus de justice, qu’il est innocent, etc… Mais il n’a jamais eu un mot compatissant pour celles et ceux que sa prose a plongés au fond de l’abîme.

Pour bien décrire le vent mauvais qui se levait, chargé d’antisémitisme, citons la conférence donnée à Paris par l’intellectuel catholique Jacques Maritain, intitulée Les juifs parmi les nations. Dans une livraison de Je suis partout, Lucien Rebatet, connu pour son inimitié féroce à l’égard des juifs, s’en prit violemment à Maritain dans un article intitulé Juifs et catholiques. Dans ce papier le critique de Maritain s’en prend violemment à son adversaire dont il fustige l’attitude apparemment favorable aux juifs. A ce sujet, une anecdote : un jour à l’abbaye de Cluny, lors d’un colloque, j’ai passé un bon moment avec Georges Steiner qui m’a confié que pendant la guerre, lors d’un séjour à New York où il fréquentait l’école française, Jacques Maritain qui y enseignait, lui a posé la question suivante : Mais pourquoi donc restez vous juif ?? Tant il est vrai qu’il ne faut jamais donner à personne le bon Dieu sans confession …

Au milieu des années trente l’inépuisable registre antisémite s’est enrichi d’une nouvelle accusation, favorisée par la désignation de Léon Blum à la présidence du conseil. Les antisémites de tout bord se mirent à dénoncer avec véhémence le pouvoir des juifs, le règne des juifs… Et pour parler de la mauvaise situation du pays, on se mit à trouver un principe explicatif général, à savoir le juif et son influence néfaste. Sans chercher la moindre excuse à l’antisémitisme de Céline, il faut bien reconnaître que de multiples facteurs se sont conjugués pour nourrir l’humus de cette haine du juif. Que ce soit dans la presse, dans la littérature ou dans les salons bourgeois ou aristocratiques, le juif concentrait sur lui tous les fantasmes. Céline semble faire allusion à cette ambiance délétère de l’époque, en répondant à la question d’un journaliste de Radio-Lausanne en juillet 1957 : Vous avez été antisémite… Oui, exactement. Mais aussitôt après, Céline entreprend de se dédouaner laborieusement en disant qu’il aurait mieux fait de se taire, qu’il n’a pas de problème avec les Sémites (sic) etc…

Dans cette France qui se cherche alors qu’elle amorce lentement son déclin durable et voit se profiler à l’horizon la Seconde Guerre mondiale, des écrivains comme les frères Tharaud se lancent dans la rédaction de livres antisémites, tout en recourant parfois à une certaine ambivalence. Il s’agissait de faire suivre leurs violentes diatribes antijuives par des considérations apparemment compatissantes pour le peuple d’Israël. Je ne peux pas tout reprendre dans le cadre de ce compte-rendu mais je ne dissimule pas mon étonnement devant le nombre considérable d’auteurs qui ont fait de l’antisémitisme leur fonds de commerce.

Le cas de Paul Morand est longuement évoqué ; et ce qui ne laisse pas de frapper le lecteur peu habitué à cette littérature antisémite démentielle, c’est qu’elle s’enrichit sans cesse d’éléments nouveaux, comme par exemple l’invasion juive qui menace de submerger la France, la révolution juive puisque ) l’en croire, tous les révolutionnaires russes sont des juifs. IL y a une épaisse couche de xénophobie qui se surajoute à toutes ces strates préexistantes.

Encore un point très bien vu par nos deux auteurs : Céline n’a fait que reprendre en les développant à sa manière tous ces poncifs antisémites évoqués à longueur de pages. Par exemple, le juif est le maître du cinéma aux USA. On examine à la loupe les noms de famille des grands industriels américains et au vu de leur ascendance germanique, on décrete que ce sont des juifs qui sont à la tête de fortunes mal acquises… Un bref survol des thèmes développés par Céline montre sa grande dépendance vis-à-vis de la littérature antisémite contemporaine. Les auteurs parlent même de faussaire et de plagiaire qui s’accapare le bien d’autrui et en fait sa propre création. Certains antisémites distinguaient entre les bons et les mauvais juifs (sic) ; d’autres trouvaient que même Charles Maurras n’allait pas assez loin dans la détestation des juifs. Quelle époque ! Et nous ne sommes toujours pas au bout de nos peines. Ces déments nous feront boire la coupe jusqu’à la lie. Mais ce sont eux qui sont la lie de l’humanité.

(A suivre)

 

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