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Du repas communiel  dans la tradition juive : la hilloula

Du repas communiel dans la tradition juive : la hilloula

On s’étonnera sûrement de me voir citer ici, dans ce contexte si particulier au monde séfarade, un auteur judéo-allemand, spécialiste du hassidisme du XVIIIe siècle, Martin Buber, suivi de son protégé Abraham Heschel, en l’occurrence, qui avait exhumé les trésors de la piété hassidique dans l’Amérique des années cinquante et qui avait écrit ceci : aucune religion n’est une île déserte, aucune religion authentique ne peut se garder de tout contact avec les autres croyances. On peut dire que ce fut aussi le cas du judaïsme rabbinique qui, dans certaines régions du globe, a toléré, pour son plus grand bien, l’infiltration d’autres signes et marques de piété.

Du repas communiel  dans la tradition juive : la hilloula

 

Heschel dont on connaît l’inoubliable ouvrage les Bâtisseurs du temps, avait mis à l’honneur diverses expressions de la piété populaire et de la religion naïve, dans le même sens où l’on parle de peinture naïve, c’est-à-dire un art ou une spiritualité qui ne cherche à sa conceptualiser mais à toucher le plus grand nombre d’adeptes…

Car l’âme humaine est partout la même et recourt généralement, mais pas toujours, aux mêmes types ou formes d’expression de sa piété, notamment cette ferveur populaire qu’on sent vivre, sourdre, et se manifester dans la Hilloula… Je fais justement allusion aux pratiques musulmanes qui n’ont pas manqué de laisser une certaine empreinte dans des régions du Maroc, notamment le Tafilalet où nous avons nos racines. Mais une influence, une inspiration, une certaine forme de mimétisme ne signifient pas qu’on est un sous produit d’une autre culture religieuse ; c’est simplement la manifestation d’une sensibilité proche.

C’est aussi l’occasion rare, voire unique, de s’épancher, d’ouvrir son cœur, par-delà la liturgie codifiée ou ritualisée de la religion officielle, laquelle veut faire croire qu’elle a tout prévu et convenablement traduit dans la pratique. Lorsque l’homme ou la femme se penche sur la pierre tombale d’un saint ou d’un grand érudit de la Torah, on engage une sorte de dialogue entre l’âme du suppliant et la mémoire du saint d’ont l’autorité religieuse fonctionne encore, même outre-tombe et se montre capable de produire des miracles. Le visiteur pratique une sorte de théurgie, c’est-à-dire qu’il supplie l’âme du saint homme d’intercéder en sa faveur auprès de la divinité, laquelle st réputée sensible aux demandes de ceux qui ont passé leur vie à étudier la Torah et à se soumettre ç ses préceptes…

Le terme Hilloula est un terme tiré de la langue araméenne, la langue en usage dans la guemara (terme qui signifie lui aussi en araméen, étudier, alors qu’en hébreu il signifie compléter, parachever) ; il est de la même racine que l’hébreu Hallel dont le sens est : louange en substantif et en tant que verbe, chanter les louanges de Dieu, notamment dans les Psaumes 113 à 118, lus à la synagogue lors de la néoménie et des jours de fêtes. C’est un témoignage en faveur du culte intérieur. Ici, pas de sacrifices proprement dits, comme à l’poque du Temple, mais c’est le culte du cœur qui prédomine. On l’oublie souvent mais la théologie recommande de s’en revenir à son cœur et c’est seulement ensuite que Dieu reprend possession de notre être (wé-shavta el lévavekha we shav ha-Shem élohékha lalh)

Dans la littérature talmudique, mais surtout bien plus tard, au cours du Moyen Age, dans la littérature zoharique, on voit apparaître des cérémonies bien particulières, au cours desquelles une assemblée de dévots chante les louanges d’illustres défunts qui s’étaient, de leur vivant, signalés par leur grande piété et leur érudition traditionnelle. Ils étaient, au propre comme au figuré, les luminaires de leurs communautés qu’ils dirigeaient avec tant de bonheur, n’écoutant que leur sens du devoir et bannissant toute poursuite d’intérêt personnel. Ce qui explique que la vénération de leur pieuse mémoire ait parcouru les générations. Leur souvenir demeure vivant, comme c‘est le cas, chaque année, la Hilloula du sage rabbi Yaacov Abouhatisra (ou dans sa forme francisée ; Abihssira)

On assiste alors, au cours de l’histoire, à un curieux chassé croisé entre deux univers, celui des séfarades et celui des ashkénazes. On peut dire que nos frères ashkénazes ont porté sur les fonts baptismaux le hassidisme et que la forme séfarade de celui-ci n’est autre que cette vénération des saints (hassidim, kedoshim, tehorim) qui ont souvent enduré le martyre. Je pense aussi à cette belle formule de Léo Baeck, la piété de la culture chez les séfarades qui opt optèrent sous la férule de Maimonide pour la philosophie, et à la culture de la piété avec les ashkénazes qui suivirent l’exemple des Hassidé ashkénazes et ensuite au XVIIIe siècle, suivant l’exemple du Baalshemtov…

Quels sont les formes extérieures d’une Hilloula ? On tente le plus souvent de suivre la date anniversaire du décès du saint ; les règles ressemblent aussi généralement aux descriptions de la grande assemblée (Idra rabba) du Zohar, qui relate les derniers instants de ce héros mystique, rabbi Shim’on Bar-Yohaï. La Hilloula que nous connaissons aujourd’hui remonte historiquement à de telles origines.

Je parlais plus haut des influences arabo-musulmanes sur ce rite, cet hommage rendu à la mémoire des grandes âmes religieuses du judaïsme de la diaspora (n’oublions pas les pèlerinages à Méron) ; il existe une certaine empathie entre le culte des saints chez les juifs des pays arabes (ce n’est pas pour rien que le phénomène Abouhastira est né dans le Tafilalet, et non pas à Kairouan ni à Tlemcen,) même si ces deux cités ont enfanté de prestigieux représentants de la piété juive (Hananél et son cousin Nessim de Kairouan) et pour ce qui est de l’Algérie (le rav de Tlemcen). Mais ce culte des saints existe aussi chez nos frères chrétiens sous le nom de la communauté des saints. Toutefois, les racines dans tous les trois monothéismes sont et demeurent juives, sans que cela n’autorise à une quelconque arrogance… Quels que soient les chemins empruntés, quand on escalade la montagne de la spiritualité, on finit toujours par se rejoindre au sommet.

La Hilloula est inséparable du culte des morts et de l’immortalité de l’âme. On pense que les défunts qui ont rejoint l’au-delà peuvent intercéder en notre faveur et hâter le salut divin, grâce à leurs mérites et à leur dévouement. C’est la Zekhout Avot, les mérites attachés à l’action des patriarches d’Israël.

La Hilloula, chez les Juifs, permet, comme je le soulignais plus haut, l’expression de la piété populaire. C’est cette même ferveur qui vivifie ou revivifie la croyance. Mais la spiritualité juive ne veut pas se couper du monde réel. Elle associe toujours les deux natures dont se compose l’être humain, le corps et l’esprit. Donc, la hilloula est inséparable d’un repas dit communiel où la partie la plus sensible de l’homme est mise au service de la partie la plus noble.. En fait, d’un repas communiel, au cours duquel les présents communient en le souvenir du saint homme dont la mémoire est honorée et les bienfaits, parfois miraculeux, magnifiés. Boire et manger deviennent des gestes d’élévation spirituelle. Les piétistes ont nommé cette opération ha’ala’a, élévation ; le sensible devient du spirituel, et cette spiritualisation devient l’apanage même de l’homme le plus simple et le plus fruste.

Pourquoi un repas ? Il y a à cela plusieurs explications, notamment sociologiques mais auxquelles on a offert une couverture religieuse : quand les Juifs prennent un repas, c’est l’occasion de réciter bien des bénédictions et ainsi on reconnaît son propre statut de créature vis-à-vis de l’Eternel, créateur des cieux et de la terre. Ensuite, toute commémoration juive associe les pauvres, les indigents de la communauté. C’est un peu la mixité sociale, version talmudique. Enfin, ce repas, par son côté communiel, permet de transcender notre nature charnelle car de la simple action de s’alimenter, on fait une élévation à la fois éthique et spirituelle.. Par les prières, par l’exégèse de la Tora (devar Torah), on dépasse la sphère matérielle du manger et du boire, on adhère à un éminent modèle de vie, un échelon supérieur qui ne dégénère jamais en ascétisme. Cette attitude ou ce comportement n’a jamais pu prendre durablement pied dans le judaïsme rabbinique. Même le naziréat n’y est pas arrivé de manière durable car cela supposait un grand élitisme. Or, les sages talmudiques rappellent souvent que la Tora n’a pas été confiée à des prêtres, ni à un clergé, ni même à une caste sacerdotale, mais à l’intégralité de la communauté de Jacob (morash qehillat Yaakow).

L’idée même de Hilloula est de transcender la nature charnelle de l’homme, ce n’est pas de la nier ni de la supprimer. Pour conclure, une recommandation du midrash dit que ceux qui mangent et boivent à une même table sans avoir fait par la même occasion un devar Tora ressemblent à ceux qui consomment des sacrifices de morts (ké illou akhlou mi zibhé shel métim). Des cadavres d’animaux…

Dans une certaine mesure, la hilloula a maintenu en vie une ferveur religieuse qui reste, cependant, populaire. Mais ce ne sont pas les philosophes ni les intellectuels qui forment les gros bataillons des religions. Ce sont les masses. Or, ces dernières son peu désireuses de conceptualiser philosophiquement les textes révélés. Mais de même qu’une armée n’est pas faite uniquement de généraux, ainsi la religion requiert une ample communauté religieuse. C’est-à-dire de simples fantassins.

 

 

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