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Michel Winock, Jours anciens… (Gallimard)

Michel Winock, Jours anciens… (Gallimard)

Tout le monde connaît ce beau vers de Verlaine, immortalisé par la chanson de Serge Gainsbourg,, tu te souviens des jours anciens et tu pleures… Mais Winoch, lui, n’est pas d’humeur à pleurer puisqu’il jette un regard apaosé sur les années passées avec tout juste un brin de mélancolie mais pas de regret ni de nostalgie. Certaines phrases sont écrites avec beaucoup de grâce, par exemple lorsque l’auteur évoque ce train fantôme qui ne s’arrête jamais… Ou encore :…restituer ces fragments des jours anciens, sans tricher, sans enjoliver, sans déformer ce qui fut, voilà l’objet de ce livre, avec le désir de me rappeler d’où je viens.

 

 

Michel Winock, Jours anciens… (Gallimard)

 

Cela dit, l’auteur ne sombre pas dans l’intimisme ni dans le triomphalisme, il a simplement conscience de l’effort fourni et du parcours accompli : issu d’un milieu non pas miséreux mais plutôt pauvre ou défavorisé, il résume ses origines sans tomber dans les travers de ce genre d’entreprise. Ce qui m’a frappé dès les premières pages, c’est le chemin parcouru par la France entière au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Mais aussi bien auparavant, car l’auteur a vu le jour en 1937. Quand il décrit le triste logis qui l’abrite ainsi que ses parents et sa fratrie, j’ai pensé à l’environnement de naissance de Renan dans une Bretagne miséreuse avec des familles monoparentales où la mère peine à nourrir sa nombreuse progéniture. Mais pour Winock, c’est encore plus tragique puisque c’est la tuberculose qui se charge de faire de la place : à moins de six mois d’intervalle, son père et son frère aîné sont emportés par la maladie, faute d’antibiotiques, des conditions de vie lamentables, sans eau chaude ni commodités privées… Bref, un miracle quand on réalise que Winock allait avoir la chance de poursuivre des études supérieures qui le mèneront l’agrégation d’histoire. Et aussi faire une carrière brillante d’historien… En lisant ces premières pages empreintes d’une certaine gravité, je me suis rendu compte que l’Hexagone avait fait un grand pas en avant dès l’immédiat après-guerre. Et le détail donné des programmes de la radio et de la télévision débutante montre qu’on vit aujourd’hui dans un autre monde. Ni internet ni Facebook, ni même téléphone portable, on se demande comment ou pouvait vivre avant. 

J’ai particulièrement apprécié les développements sur le système éducatif du début des années cinquante. Surtout la droiture et le dévouement des maîtres qui, en dépit de leur affiliation au parti communiste, s’attachaient plus à la bonne formation des esprits qu’à la tentation de les orienter au plan idéologique. Winock parle des cours de morale, un terme, une discipline qui ont entièrement disparu du paysage scolaire contemporain. Il est vrai qu’à cette époque là la société française n’avait pas encore perdu son homogénéité. Le problème de l’immigration et de l’intégration de ses rejetons ne se posait guère. En tout cas, pas encore avec une telle acuité ; l’auteur évoque cette odeur d’encre et de papier qu’on respirait parfois avec soulagement et d’autres fois avec crainte.

Ce livre est un livre de souvenirs (son auteur nomme même le titre de Renan : (Souvenirs d’enfance et de jeunesse) et aussi une belle réflexion sur le temps qui passe. Et du coup, on pense à l’âge, au vieillissement, notamment de la sœur (restée célibataire) et de la mère. Lorsque l’état de santé de la cette dernière ne permettait plus son maintien à la maison, il fallut trouver une maison de retraite dont le prix était déjà exorbitant et allait bien au-delà des possibilités du retraité moyen. Le même problème se posa pour la sœur. On a l’impression que l’aventure humaine finit toujours mal puisqu’au bout du compte, il y a la mort. En lisant ces pages, j’ai réalisé ce qu’était la chance pour tant de gens pauvres d’entamer des études supérieures .

Le chapitre où l’auteur évoque son évolution religieuse a retenu toute mon attention. C’est un précis d’histoire de la religion catholique dans l’Hexagone. Certes, l’aboutissement est presque toujours le même : on commence par emmagasiner des tas de rites religieux, de croyances surannées et de pratiques dont on ne sait pas grand chose, et avec le temps, cet humus se sédimente, en quelque sorte, pour donner une éthique. Voici cette phrase significative : Le maître et le curé disaient la même chose. Mais ce n’est pas tout, car il reste tout l’aspect du devenir vivant de l’être qui grandit sans jamais se départir de cette empreinte religieuse qui lui a été donnée dès son plus jeune âge.

On comprend mieux aujourd’hui pourquoi la France, au lendemain de la Libération, oscillait entre deux blocs antagonistes mais non en guerre l’un contre l’autre : le communisme et l’Eglise catholique. Winock relate ses premières participations à des processions, à des communions solennelles et se souvient des moindres détails plus de soixante ans après les faits… Au lendemain de la guerre une grande effervescence religieuse a vu le jour, les curés pouvaient mobiliser des centaines de milliers de personnes. Parfois, on ne pouvait pas fermer les portes des sanctuaires en raison d’une trop grande affluence de fidèles. Et les gens continuaient à psalmodier des cantiques dans les métros ou les compartiments des trains. Le catholicisme était entièrement décomplexé. La France devenait elle-même terre de mission tant il fallait regagner le terrain perdu, dû à une déchristianisation galopante. Il est vrai que le zèle convertisseur de certains ecclésiastiques était surprenant. Ce n’était pas toujours simple pour les adeptes d’autres confessions, comme le judaïsme par exemple : le grand rabbin Jacob Kaplan avait même parlé, à la même époque, du pillage des âmes, pour qualifier cet esprit missionnaire. Mais j’avoue que la description que je lis chez Winock ne me choque pas et je regrette même que ce même catholicisme soit depuis des décennies tombé dans une grave léthargie. Le pays semble oublier qu’il a toujours été considéré comme la fille aînée de l’Eglise.

L’un des frères de Winock, prénommé Pierre ou l’abbé Tadek, a manqué de peu de devenir prêtre. L’auteur lui rend hommage lors de ses obsèques. On sent l’émotion qui étreint l’auteur, se séparant d’un tel frère qui fut pour lui un vrai père. L’exemple de cette vie, faite de foi, de modestie et de générosité, est peu commun ; alors que l’auteur a pu bénéficier d’une carrière toute tracée, son grand frère dut tout reprendre de zéro. On a presque envie de citer le beau poème de poétesse israélienne : heureux ceux qui sèment mais ne récoltent pas…

On peut dire que l’on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise puisque, bonheur suprême, notre auteur est admis en classe de sixième, c’est-à-dire la voie royale du lycée, et pour les plus doués ou les plus chanceux, l’enseignement supérieur. C’est au lycée Lakanal à Sceaux que Winock fut admis pour préparer le concours de l’ENS et finira par décrocher l’agrégation d’histoire (en Sorbonne) Son premier poste sera un lycée de Montpellier…

Il convient de s’arrêter un instant sur les relations entre le christianisme et le communisme dans la France de l’immédiat après-guerre où les prêtres-ouvriers finirent par être désapprouvés par Rome, ce qui entraîna quelques problèmes pour l’institution religieuse. Pu de gens en furent conscients mais le danger d’une prise du pouvoir par des mouvements armés de la Résistance communiste, orientés très à gauche, était pris très au sérieux par les alliés, et notamment par la CIA. Mais puisque j’en parle, alors citons à quoi correspondait ces trois initiales aux yeux du jeune homme dans sa relation au christianisme : C pour création puisque le monde ne pouvait pas s’être créé tout seul ; I pour l’Incarnation et enfin A pour l’amour dont certains veulent faire l’apanage exclusif de la religion chrétienne… Je note que l’essentiel manque, la Résurrection !

J’ai bien aimé ce livre qui contient juste la dose de nostalgie qui convient, sans jamais verser dans le passéisme ? J’ai été très touché par le dévouement de la mère qui se sacrifie encore et toujours pour ses enfants. Et ce grand frère qui, sans rouler sur l’or, pense toujours à aider son cadet… Quant ) moi, en lisant ce livre, j’ai repensé aux nombreuses analyses de l’auteur, publiées apr le grand quotidien national du soir. J’ajoute que je lis plus ce journal, mais j’ai lu Michel Winock avec plaisir.

 

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