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Marcel Mauss (1872-1950), Psychologie, sociologie, physiologie (PUF 2020)

Marcel Mauss (1872-1950), Psychologie, sociologie, physiologie (PUF 2020)

Voici un grand savant , Marcel Mauss, qui a fécondé les sciences sociales et dont tant d’autres ethnographes et sociologues (entre autres Claude Lévi-Strauss) se sont fortement inspirés. Et lui-même avait bénéficié de la profonde affection de son oncle maternel, le célèbre Emile Durkheim, le fondateur de l’école sociologique française. Mauss est reçu à l’agrégation de philosophie à 21 ans. Mais il se détournera de l’enseignement de cette manière pour suivre les propositions de cet oncle éminent qui cherche à en faire une sorte d’héritier et de successeur au sein de la discipline qu’il venait d’initier. Et en fin de compte, à la mort de son protecteur , il le dépassera même, sans toutefois le crier sur les toits…

                                  

Marcel Mauss (1872-1950), Psychologie, sociologie, physiologie (PUF 2020)

Durant sa vie, Mauss a connu de grands bouleversements internationaux : l’affaire Dreyfus, la Grande Guerre, la révolution russe de 1917… Un dernier détail biographique : si Mauss était trop vieux pour participer à la Grande Guerre dans les unité combattantes, (il avait alors quarante-deux ans) ce ne fut pas le cas de son jeune cousin, André Durkheim, qui tomba au champ d’honneur. Mortellement touché en décembre, sa mort ne sera confirmée à ses parents par l’armée qu’en février de l’année suivante. Le célèbre sociologue en mourut de chagrin, en 1917. Mauss ne quitta cette terre que bien plus tard, en 1950, mais gardera toujours un sentiment de culpabilité d’avoir survécu à tant de malheurs, alors que tant d’autres collègues plus jeunes avaient été fauchés sur le champ de bataille

Ce qui me frappe chez ce grand savant qui se contentera de butiner ce qu’il touche sans jamais mettre sur pied un système complet, ni aller jusqu’au bout d’une recherche (même sa thèse de doctorat d’Etat restera inachevée alors qu’il sera nommé professeur au Collège de France !), c’est qu’il n’a jamais occulté ses origines juives. Toujours en accord avec son oncle, Mauss a commencé par fonder une sociologie des religions et des idées religieuses, s’intéressant plus particulièrement à des faits comme le sacrifice, la prière, la magie… Etait-ce une façon de dépasser une identité juive un peu pénalisante qui lui collait à la peau ? En en faisant des objets de science et d’érudition, Mauss a opéré un dépassement ou une sortie par le haut.,

Il a été très proche de la science allemande du judaïsme dont il reprit les méthodes pour évaluer les fondements de sa religion de naissance. Il maitrisait bien la langue hébraïque et avait donc accès aux sources sans mal. Dès le début, il a été animé par la volonté d’approfondir les valeurs religieuses. Mais il ne se voulait pas juif pratiquant car il considérait sa religion comme une simple culture. Ce qui correspondait en tout point à la démarche et aux visées de ses coreligionnaires d’outre-Rhin. Les thèmes qu’il fut presque le premier à étudier ont tous une connotation religieuse à l’origine : la prière, le sacrifice, le don, la magie, etc…, comme on le notait plus haut.

Le titre de ce volume résume bien l’enjeu : les trois dimensions de l’homme que sont la physiologie, la psychologie et la sociologie y sont réunies. Voici un extrait de la lumineuse présentation signée par les trois éditeurs de ces textes de Mauss :

«L’homme total» n’est pas seulement l’homme pris dans sa totalité, mais l’homme pris dans la totalité des différentes situations où il est placé. Le programme de Mauss est ici la proposition d’une science capable d’englober toutes les dimensions des actions humaines en les subsumant sous un triple point de vue, physio-psycho-sociologique (p 65 in fine)

Tout est dit. Mauss vivait à une époque où les sciences humaines avaient encore cet aspect englobant, ne permettant pas à d’autres disciplines connexe de mener une vie indépendante et de se développer sans limitation théorique. Ce qui signifie que la sociologie en tant que discipline, que science indépendante, avait du mal à s’affirmer.

Je lis page 24 une intéressante définition de la socialisation : … conçue comme l’ensemble des processus sociaux, à tout âge de la vie, par lesquels un individu apprend à s’identifier , s’individualiser, se servir de son corps, se conformer aux attentes d’autrui et adapter ses propres attentes à sa situation, tout en développant de la réflexivité.

Ici intervient une notion que seule la sociologie a su reconnaître et intégrer dans son effort scientifique : le collectif, la collectivité, une sorte de réalité grégaire qui s’impose à l’individu et lui impose des normes auxquelles il doit se conformer, sous peine d’être montré du doigt ou carrément exclu du groupe. Et cette notion est essentiellement sociologique, au sens de la sociologie, comme science des sociétés humaines.

Le point de départ de la noétique maussienne, c’est de renforcer l’autonomisation de la psychologie et de la sociologie par rapport à la philosophie, ce qui faisait l’objet d’un grand débat dans les années vingt.

J’ai beaucoup appris en lisant ce volume qui est assez ardu ; notamment une compte rendu que nous devons à Durkheim sur une pratique funéraire orale, le salut ou la salutation par les larmes, en allemand Tränengruss. C’est assez étrange pour un esprit cartusien. Dans certaines tribus aborigènes d’Australie, la coutume est d’accueillir un étranger en laissant couler ses larmes, en son honneur, en quelque sorte. Un groupe de femmes ou d’hommes pleurent le visiteur, lui manifestant ainsi leur respect et leur gratitude de leur rendre visite. Ce qui montre bien que les sentiments peuvent aussi être dictées par quelque chose de culturel et abstrait. Et le rite est encore plus étrange quand il s’agit de prendre congé d’un mort où la coutume est encore plus recherchée : on cherche la cause de la mort et quand elle n’est pas apparente, on envisage d’autopsier les viscères afin d’être au clair sur la question. Un peu comme si on s’attendait à trouver un objet matériel responsable du décès.

Une toute dernière remarque, étrangère au sujet. On imagine ce qu’eut été le niveau des recherches en matière de philosophie et de culture juives, si des esprits aussi novateurs avaient élu pour champ d’activité le judaïsme, son histoire, son essence et son avenir.

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