Louis Maurin, Toujours plus ! Enquête sur ces privilégiés qui n’en ont jamais assez. (Plon)
Il est certains pays qui se caractérisent par un fort unilatéralisme, une seule tendance ou presque, un seul aspect de leur relief ou de leur population ; la France en fait partie depuis toujours. On y trouve constamment la question de l’’inégalité, ce qui entraîne inlassablement une réaction qui a pour nom l’égalitarisme. C’est dire que l’auteur de ce beau livre, Louis Maurin, a bien choisi son sujet. Il y a de quoi faire. Même si l’on y décèle une sorte d’instruction à charge, exclusivement. Néanmoins, le livre offre une grande moisson de faits qui permettent de mieux comprendre la problématique.
Louis Maurin, Toujours plus ! Enquête sur ces privilégiés qui n’en ont jamais assez. (Plon)
D’où nous vient cette revendication quasi ancestrale, qui incite à éprouver de la haine sociale pour la catégorie des héritiers : chaque fois qu’un gouvernement allège l’impôt sur les successions, sur les entreprises, il s’attire une volée de bois vert, comme si être riche ou simplement à l’ai se dans ce pays vous place eo ipso au ban de la société quand ce n’est pas au banc des accusés. Ceux qui n’ont pas assez pour vivre s’en prennent à ceux qui nagent dans l’opulence tout en payant leurs impôts, sans commettre la moindre faute…
L’auteur ne se contente pas d’énoncer ou de dénoncer les inégalités les plus flagrantes, il en démonte le mécanisme parfois bien huilé et bien dissimulé derrière des à priori idéologiques. Il montre aussi que même dans ce pays des concours qu’est la France l’égalité des chances est parfois un vain mot, voire de la poudre aux yeux, puisque certains, veillent sur leurs privilèges en interdisant aux autres, assez subtilement, l’accès à leur petit monde bien calfeutré. Un monde bien protégé, contrôlant ceux qui y entrent pour préserver l’entre-soi.
Se pose aussi la question du pouvoir d’achat et là le terrain devient plus mouvant : vous ne pouvez pas fixer la barre trop haut ni trop bas. Mais il est évident que la définition de la richesse ou de l’indigence est une affaire délicate. Tout dépend de votre lieu de naissance, de l’âge de votre éveil culturel, de la qualité et de la rentabilité de vos diplômes, etc… L’auteur analyse aussi toutes les hypocrisies, même des gens de gauche, toujours prompts à dénoncer les autres tout ne veillant jalousement sur leurs propres privilèges : on se souvient de ce ministre de l’éducation nationale qui avait inscrit sa nombreuse progéniture dans le privé…
L’auteur stigmatise aussi les stratégies très élaborées de certaines classes dirigeantes qui savent déplacer les débats, les éloigner de leurs propres intérêts en les orientant vers d’autres classes sociales, par exemple les fonctionnaires, les chômeurs ou les immigrés. Ce qui le conduit à parler d’hypocrisie de certains qui se disent les défenseurs des pauvres et des exploités. Jusqu’ici, les choses sont claires et compréhensibles, mais la question que je me pose est la suivante : pouvons nous vraiment établir l’ égalité totale sur cette terre ? Le genre humain est divers et varié, ce qui est bon pour les uns ne l’est pas nécessairement pour les autres… Comment faire pour que chaque individu sur cette terre ait sa chance ?
Pourquoi une certaine gauche a t elle abandonné ses mandants habituels en se ralliant au macronisme ? Selon l’auteur, ce serait l’embourgeoisement de ces élites séduites par une vie confortable et motivées par leur stratégie personnelle. Au cours des années soixante-dix, de jeunes énarques avaient commencé par faire une offre de service à peine déguisée à VGE et qui, sans réponse, sont allés chez François Mitterrand qui les a accueillis à bras ouverts…
Même si j’ai quelques réserves sur les idées de cet auteur, je partage entièrement la sévérité de son jugement concernant la politique de François Hollande qui gouvernait par sondages interposés et qui, après avoir eu la majorité presque partout, a tout de même tout perdu, sans même comprendre ce qui lui arrivait. Ce dirigeant politique incarne l’état d’égarement de la gauche en tant que parti de gouvernement tant sa seule obsession était, non pas de changer la France, mais de conserver le pouvoir. Tout le monde se souvient de cette double arrivée du président et de son ministre à une exposition dans le même véhicule, Macron s’éclipse pour ne pas être vu auprès d’un très impopulaire président et ce dernier qui demande, pathétique, à la ronde : mais où est Emmanuel ?
Pour bien définir les différents acteurs de la société, Louis Maurin précise ce qu’il entend par classes populaires, classes moyennes et classes aisées, étant entendu que les premières sont les plus démunies et les dernières les plus favorisées ; la classe intermédiaire, sorte de fourre-tout où l’on case ce qui ne correspond ni à la première ni à la dernière catégorie, pose problème. S’ensuivent une série de tableaux comparatifs qui attribuent à chaque cas une certaine somme mensuelle, soit par couple, soit par famille avec enfants ou soit pour un simple célibataire. Avant d’en arriver là, l’auteur a l’honnêteté de rappeler que la France est le pays qui redistribue beaucoup les prélèvements sociaux aux pauvres, aux chômeurs, aux handicapés, etc…
Je dois faire un aveu : plus j’avance dans la lecture de cet excellent ouvrage, plus je me demande où il veut en venir. Il est normal de lutter contre les inégalités mais comme le disait Goethe au XIXe siècle, dans les Souffrances du jeune Werther , nous ne sommes pas égaux ni ne pourront le le devenir… On ne peut pas considérer comme un privilège le fait d’être bien né, dans une grande maison, avec des parents bourgeois mais honnêtes et s’acquittant de leurs impôts… En fait, il ne faudrait pas que les riches deviennent moins riches, il faudrait que les pauvres soient moins pauvres , à défaut d’être enfin riches. Je ne vois pas le mal qu’il y a à avoir chez soi une femme de ménage ou une baby-sitter. L’essentiel est de leur donner leur juste dû… En revanche, il y a des inégalités criantes auxquelles dl convient d’obvier le plus vite possible. Et il faudrait aussi que l’enfant de la femme de ménage, de la caissière de supermarché ou autre devienne polytechnicien ou chirurgien ou avocat ou encore professeur des universités. C’est la théorie de l’ascenseur social, lequel semble traverser une longue panne.
Le chapitre sur l’école comme lieu de perpétuation des inégalités et de découragement à la fois des parents et de leurs enfants me semble très bien construit. Je ne résiste pas à la tentation de citer une phrase (un peu facile mais bien frappante)= : La lutte des classes est enclenchée dans la classe. Malheur au perdant… (p. 135 in fine). C’est une lourde responsabilité morale que d’orienter les enfants dans leur conquête du savoir et de la culture. Ils y jouent leur avenir : soit une vie aisée, agréable, soit une vie que vous vivez comme un boulet, une fardeau de l’existence puisque rien n’est facile, rien ne fonctionne comme on le voudrait. La France n’est pas l’Allemagne où le statut d’apprenti (Lehrling) n’a rien d’infamant. En France, envoyer un enfant dans la filière technique est toujours vécu comme un échec et ressenti comme une culpabilité.
Le chômage, la précarité et la flexibilité sont une cause aggravante des inégalités ; ce chapitre m’a beaucoup plu et je reprends volontiers la quasi totalité de ses conclusions à mon compte. Le chômage a entraîné des effets ravageurs à tous les niveaux, même si les non diplômés sont une nouvelle fois les plus touchés par cette lèpre de notre société contemporaine. Mais ce qui frappe le plus, ce sont les conditions de vie des plus précaires, celles et ceux contraints de travailler le dimanche, de subir des horaires étirés, de longues heures passées dans les transports en commun, sans même parler de ceux qui se sacrifient pour que d’autres, nous en l’occurrence, vivent confortablement. Pensons aussi à celles et à ceux qui sont tenus d’accepter des travaux en dessous de leur qualification, faute de mieux. Mais là, nous quittons le domaine des statistique et de la logique froide pour entrer dans le domaine de l’éthique. Seule une société humaine post messianique pourrait se prévaloir d’avoir institué une égalité absolue sur cette terre. Mais d’ici là, nous pouvons, nous devons améliorer la situation de tous ces gens…
Je sors un peu étourdi de ce beau livre, tant il contient de pourcentages, de chiffres, de statistiques et tant d’autre indices. Je propose, cependant, de remplacer les privilèges (abolis depuis la Révolution) par le terme plus neutre d’avantages. En paraphrasant maladroitement le dictum d’un ancien ministre de l’intérieur démissionnaire, les salariés du privé vont se retrouver face à face avec les fonctionnaires, assurée de la sécurité de l’emploi et d’une retraite confortable. L’auteur parle aussi de la spoliation des jeunes par les vieux… C’est un risque grave qui perdure. Aujourd’hui, la condition de certains retraités est plus enviable que celle d’hommes et de femmes, sortis des grandes écoles et en quête d’emploi. Ce n’est plus si facile.
Un dernier mot du philosophe : aurons nous un jour le paradis sur terre ? Irons nous un jour vers l’égalité ? Je crains que non. Il existe dans la théologie rabbinique deux expressions assez énigmatiques pour désigner l’après monde, le monde post histoire : le futur à venir, et le monde qui vient. Ils sont bien deux mais on n’en voit encore aucun pointer le bout de son nez…