Joëlle Desjardins-Simon et Sylvie Debras, Les verrous in inconscients de la fécondité (Albin Michel)
C’est un sujet très sensible qui est traité ici d’une manière sobre et claire, compréhensible par tous : l’engendrement, la perpétuation de notre espèce, l’attitude à adopter quand on se veut un couple procréateur mais qui doit consulter, faute d’une grossesse spontanée et normale.. Et surtout lorsqu’il existe un problème difficilement décelable dont il fut chercher les racines, parfois même dans notre inconscient. Des différences ténues mais indispensables sont à observer, même quand on ne s’en rend pas compte, entre vouloir un enfant et désirer un enfant Et la lecture de ce petit ouvrage m’a conduit à réfléchir sur les difficultés de l’engendrement rencontrées dans le livre des libres, la Bible. Certes, l’auteur ne se risque pas sur ce terrain là, mais je préfère l’aborder ici.
Joëlle Desjardins-Simon et Sylvie Debras, Les verrous inconscients de la fécondité (Albin Michel)
Dès le début du livre de la Genèse, il est question aux chapitres II-12 de la stérilité, réelle ou supposée, de la matriarche Sarah, l’épouse d’Abraham. Les trois patriarches ont eu, à des degrés divers, le même problème. Et à chaque occasion, ce qui jouait le rôle de l’inconscient, du blocage, du verrouillage, portait un nom : Dieu. Evidemment, ici les deux auteures ne pouvaient pas emprunter le même chemin : la psychanalyse n’est pas une lecture théologique de la vie, de ses problèmes et de ses sacrets… On a l’impression, en lisant ces chapitres de la Genèse et bien d’autres encore, que le devenir-père ou le devenir-mère est un véritable parcours du combattant et n’est jamais un simple dialogue ou confrontation entre deux êtres, il faut toujours qu’ils soient trois, le troisième personnage, le sauveur, étant toujours Dieu. Les auteures ont parlé de verrous, elles ne croyaient pas si bien faire puisque chaque fois qu’il est question de stérilité, même passagère de la femme, la Bible dit textuellement :… car Dieu avait verrouillé (sagar) son utérus… Comprenez : lorsque Dieu, et lui seul, décide de déverrouiller l’organe reproducteur féminin, il déverrouille ! Il est le maître de la fécondité et de la fertilité.
Notez que l’homme n’est jamais en cause, car on ne pratiquait pas encore le spermogramme. Le problème ne pouvait provenir que de la femme.
Et nous savons combien les temps anciens tenaient à une progéniture nombreuse et en bonne santé, faute de quoi le clan en question était tout simplement promis à une extinction plus ou moins proche… On n’avait alors encore aucune notion d’inconscient ou de psychanalyse. Voici une citation extraite du premier chapitre de ce livre qui éclaire bien la question :
Ce qui fait la différence entre ce qui se passe dans le règne animal et dans le genre humain, c’est l’inconscient. La fécondité des humains est une alchimie mystérieuse où le psychisme et le désir jouent un rôle fondamental, alchimie qui échappe en grande partie aux tentatives de la maitriser scientifiquement, si des verrous inconscients ne s’ouvrent pas, les tentatives de curer, traiter, déboucher, stimuler, réimplanter, restent, souvent vaines. Non seulement elles n’aboutissent pas mais parfois, ces tentatives, forçant la biologie humaine, alors même que l’inconscient refuse et résiste, provoquant des mutilations et des souffrances plus graves.
Ces quelques phrases sont les plus éclairantes du livre qui lui-même ne manque pas de qualités. Quand un couple a un besoin ou un désir d’enfant (ce qui n’est pas la même chose) l’inconscient, lui, n’est pas forcément d’accord. J’aime cette autre expression utilisée dans ce chapitre, le chef d’orchestre, c’est le psychisme.
Encore une brève citation, frappée au coin du bon sens : le bébé naît de trois désirs inconscients, celui de son père, celui de sa mère et le sien propre, déjà présent et actif, de venir au monde et de vivre.
Le présupposé de tous ces développements, c’est l’infécondité car quand les bébés arrivent normalement, inutile de consulter ou de procéder à des naissances médicalement assistées, souvent traumatisantes et humiliantes pour les femmes en gésine d’enfants. C’est une situation dont on parle peu alors qu’elle commet des ravages dans l’âme des futures mamans.. Mais la phrase suivante vaut tant pour l’homme que pour sa femme : l’infécondité peut être le symptôme de ce conflit ignoré…
Les fêlures de l’enfance, les complexes d’Œdipe mal liquidés, les humiliations durement subies et jamais entièrement oubliées, les abus sexuels, toutes les formes d’inceste (dont on parle tant depuis quelques mois), toutes ces choses laissent des traces profondes dans le psychisme des êtres et se rappellent à leur mauvais souvenir au mauvais moment. Être père ou Être mère n’est pas simple.
Les autres chapitres ne revêtent pas à nos yeux la même importance que le premier dont on peut louer les efforts de théorisation. Il s’agit de résumer une quantité de faits divers, rapportés à des coupes dont les prénoms commencent toujours par la même lettre, exemples : Alain et Aline, Jacques et Jacqueline, etc…
Certes, le praticien a besoin de travailler sur de la pâte humaine, des cas concrets, démêler cet écheveau d’histoires personnelles qui ont toutes un rapport avec leur vécu propre. Et l’on voit aussitôt que l’infécondité n’est jamais exclusivement imputable à l’un ou à l’autre membre du couple. Ce qui frappe aussi, c’est la stratégie inconsciente qui prend les commandes et dicte imperceptiblement son comportement aux deux partenaires du couple. Il est stupéfiant de constater que des femmes qui ne tombent jamais enceintes des œuvres de leur époux vivent une vraie grossesse avec un amant occasionnel ou de passage. Se pose alors un grave problème de nature éthique : que faire de ce futur enfant dont le mari n’est pas le géniteur ? La femme adultère hésite : doit elle mettre en danger son couple et avouer une liaison extraconjugale ? Dans ce cas précis, la future mère choisit de ne pas l’être du tout ,en se faisant… avorter.
Il existe tant d’ingrédients à l’œuvre dans l’infertilité ! Et le plus souvent, la nature de ceux-ci relève, comme on l’a déjà dit, du psychisme. Comme on le sait, le JE n’est pas maître chez soi, ce n’est pas le seul maître à bord. De telles décisions, vouloir à tout pris un enfant, ne sont pas sans danger car, comme le dit l’auteure, la place de l’enfant à venir n’est pas toujours vacante, parfois, elle est déjà prise. Et la survenue d’un enfant dans un couple peut aussi en sonner le glas. Il arrive aussi que la femme, l’épouse, devenue enfin mère, se détourne graduellement de son époux qui n’a plus le moindre attrait pour une femme qui n’est plus épouse mais simplement et complétement mère…
On parle à perte de vue d’infécondité, d’infertilité, de volonté ou de désir d’enfant, et l’amour qu’en faisons nous ? Ce n’est pas une simple variable d’ajustement. On sait la ruine morale qui s’abat sur les couples qui, en gésine d’enfant, ne se livrent à l’acte d’amour que comme la prise obligatoire d’un médicament à date et à heure fixess… L’auteure cite la définition freudienne selon laquelle l’amour est ‘horizon indépassable de la psychanalyse ou celle, plus élaborée mais plus cruelle, celle de Lacan, aimer c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas… On a connu chez les poètes et les philosophes des approches plus souriantes.
Que cherche l’être humain dans la relation amoureuse ? Être moins seul, pouvoir poser sa tête sur l’épaule de l’être aimé, retrouver grâce à lui, grâce à elle, l’unité originelle que le bébé entretenait avec le sein maternel dont il ne parvient pas à se séparer de lui. C’est ce désir congénital d’unité qui explique nos choix d’adulte en vue d’avoir un partenaire amoureux. Les gens qui sont en analyse depuis de longues années ne retrouvent la quiétude et la sérénité qu’après avoir liquidé les dernières séquelles des brutalités de la prime enfance. C’est la conclusion à laquelle je parviens en parcourant toutes ces vies brisées, violentées, dévoyées, faussées dès le départ. L’auteure a raison de souligner la richesse psychologique de l’expression l’âme sœur. Elle a aussi raison de recourir à la métaphore du chaudron. Dans le domaine philosophique, Heidegger parle, lui, de geworfen, de Geworfenheit, être jeté quelque part, dans une vie qu’on n’a pas choisie, un milieu qui n’est pas indiqué, une religion, un pays qu’on n’aime pas vraiment. Bref, ce sont toutes ces incertitudes auxquelles on est soumis par le simple fait de naître là où l’on est né, mais sans notre libre consentement. C’est ainsi et on n’y peut rien. C’est là qu’une Providence plus ou moins aveugle nous a projeté…Comment faire pour s’en sorti ? Puisque la psychanalyse s’affronte à des réalités invisibles et pourtant bien présentes en chacun de nous, suite à tout notre vécu qui sommeille au fond de nous, le plus souvent à notre insu ?
L’auteur a voulu célébrer la parole qui guérit (das heilende Wort) en rappelant une image bien connue, le levain dans la pâte à pain. Comprenez : lorsque la pâte à pain est là, intouchée par le levain, elle est inerte, elle ne bouge pas. Mais dès qu’elle se mêle au levain, elle est saisie de vie, de mouvement, change de forme etc… C’est le rôle de la parole en psychanalyse… Ce qui est remarquable, c’est que cette image m’a rappelé une métaphore évangélique et elle est aussi présente dans la littérature rabbinique parlant de l’inéluctable présence du mauvais penchant dans la nature humaine. En anglais, cela se dit : leaven in the dough… (la levure dans le pâte).
Il n’est pas mauvais de replacer l’anthropologie biblique au cœur même du débat philosophique contemporains. On apprend beaucoup en lisant cet ouvrage.