Ce sympathique ouvrage ne se veut pas une énième contribution à l’histoire de la Résistance française contre l’occupant nazi. C’est la présentation d’une quinzaine de personnes qui, du jour au lendemain, ou tout à coup, basculèrent dans le camp de ceux qui ont dit non à la défaite, non à la collaboration du régime du maréchal Pétain. Et en effet comment devenait-on un résistant, surtout un résistant de la première heure, puisque les mouvements de la Résistance ne constituaient, au début, guère plus de 1% de la population française générale ?
Fabrice Grenard, Le choix de la Résistance. Histoires d’hommes et de femmes (1940-1944) PUF
Le premier homme à avoir historiquement marqué sa volonté de résister avec tous les moyens du bord fut un commerçant de Brive en Corrèze, Edmond Michelet qui, de retour de déportation à Dachau, fera une brillante carrière ministérielle, servant dans les gouvernements du Général de Gaulle et de Georges Pompidou. De tels hommes ont incarné l’honneur de la France en servant leur pays.
J’ai bien apprécié le premier texte que Edmond Michelet a confectionné en s’aidant des citations tirées du livre de Charles Péguy, L’argent… Chez le célèbre écrivain tombé au champ d’honneur dès les premiers mois de la Première Guerre mondiale, il puise cet amour de la liberté et la tenue morale de celui qui ne se rend pas. Il faut rappeler trois dates : le 16 juin, le 17 juin et le 18 juin 1940. Le 16, c’es Pétain, nommé par le président Lebrun qui annonce qu’il cesse le combat, et sa volonté de composer avec l’occupant ; le 17, c’est Michelet qui commet le premier acte de résistance et le 18 c’est Charles de Gaulle qui appelle, depuis Londres, à venir le rejoindre pour poursuivre la lutte.
Michelet était incontestablement un homme de droite, voire d’extrême droite et un militant catholique vibrant : il se rendait chaque matin à la messe… Et quand le Vatican condamnait un mouvement qui lui semblait sortir de la ligne tracée, Michelet obtempérait sans hésiter. Cet attachement à la religion de ses pères est digne d’éloge. Comme fut digne d’éloge l’appui, même financier, que ce commerçant aisé de Brive apportait aux Allemands et aux Autrichiens antinazis, désireux de se rendre au Portugal afin de s’établir enfin aux USA. Même interné à Dachau, Michelet sut se mettre au service de ses codétenus dont il voulait alléger la souffrance.
Après l’odyssée de Michelet, nous suivons deux jeunes frères bretons, Alexis et Jacques Le Gall qui, après maintes péripéties, réussissent enfin à rallier la France libre de Charles De Gaulle. On est frappé par la jeunesse de ces deux frères qui n’avaient pas entendu l’appel du 18 juin, ne connaissaient pas (pas plus que leur propre mère) le nom de Charles de Gaulle, mais qui surmonteront toutes les difficultés pour défendre l’honneur et l’indépendance de leur pays. L’idée d’attendre, les bras croisés, l’arrivée d’un ennemi conquérant désireux d’occuper toute portion du territoire national, leur était insupportable. Et l’accueil en Grande Bretagne ne fut pas entièrement amical au début car les services de renseignement anglais voulaient intercepter d’éventuels espions infiltrés parmi des réfugies et des militaires désireux de combattre l’Allemagne nazie. Ils firent une bonne guerre, comme on dit, se battirent sur différents fronts et achevèrent leur vie terrestre presque centenaires… Ces deux jeunes gens venaient de milieux pauvres mais cela ne les empêcha pas de tout quitter par amour de la patrie.
On suit après cela un passionnant parcours du combattant effectué par un jeune officier, Philippe de Hautecloque qui n’accepte pas la défaite et qui fut le premier officier breveté à rallier le général de Gaulle à Londres, alors qu’il était déjà père de six enfants. La volonté de fer de cet officier qui échappa plusieurs fois à la nasse tendue par les armées allemandes ne fut découragée par rien. Quand on suit la reconstitution de toutes ces péripéties, on est béat d’admiration. Lorsqu’il fut enfin à Londres, aux côtés du chef de la France libre, il changea de nom et devint Monsieur Leclerc afin de soustraire sa famille aux représailles du régime de Vichy. Mais au cours de l’année 1941, cet officier est considéré comme «disparu» par les autorités qui ne firent le rapprochement entre de Hautecloque et Leclerc qu’ultérieurement Il faut alors jugé, déchu de sa nationalité française et condamné à mort par contumace. Mais il en fallait bien plus pour retarder ou inquiéter un homme qui avec d’autres braves, prêta le serment de Koufra : ne cesser le combat qu’une fois que le drapeau tricolore flottera au dessus de la cathédrale de Strasbourg. Sa division fut la première à atteindre le nid d’aigle d’Hitler à Berchtesgaden . Il mourut dans un terrible accident d’avion en 1947. Quelques années plus tard, il sera promu maréchal de France à titre posthume.
On parle souvent des tirailleurs sénégalais sans trop donner de détails personnels. Cette lacune est désormais comblée grâce à l’hommage rendu à l’un d’entre eux, mort pour la France, Addi Bâ. Ce jeune guinéen s’évade d’un camp de prisonniers sur le sol français car il sait que les troupes allemandes ne traitent pas avec humanité les Français de couleur. On rapporte même qu’entre mai et juin 1940, les Nazis auraient massacré près de trois mille soldats issus des possessions africaines. Ce soldat rejoindra les rangs de la Résistance après un valeureux parcours militaire. Repris par l’ennemi dans l’exercice d’opérations de la Résistance, il sera condamné à mort et fusillé en 1943, aux côtés du chef du groupe local de Résistants. Cet Africain a consenti le sacrifice suprême pour la France.
La défaite française a permis aux Allemands d’occuper une zone, la zone nord du pays et de laisser la zone sud à un semblant de souveraineté du gouvernement légal. Une nouvelle fonction, un nouveau métier, celui de passeur, notamment dans la partie frontalière qui s’y prêtait le mieux, le Jura. Et là deux hommes, liés l’un à l’autre par des liens d’amitié et de collaboration, font faire preuve d’une grand courage, Fernand Valnet et Paul Koepfler. Ces deux passeurs ne firent pas commerce de leur activité, ils ne rançonnaient pas les candidats au départ pour la zone libre. Les Allemands avaient verrouillé leur zone et exigeaient un Ausweis (laissez-passer) pour tout franchissement de la ligne de démarcation. Petit à petit, Valnet a étoffé son réseau et formé des collaborateurs, en l‘occurrence Koepfler qui va le dépasser en audace et en efficacité. On évalue à plus de 10.000 le nombre de personnes ayant eu recours à ces passeurs qui se mirent même au service de l’espionnage allié sur place. Il s’agissait d’avoir une idée précise du nombre de forces allemandes stationnées dans certains endroits stratégiques de la région. Après de brillants états de service, et toujours de manière désintéressée, les deux hommes sont abattus séparément, l’un au bar d’un hôtel et l’autre dans un camp.
On oublie souvent que dans la panique de la défaite, près d’un soldat français sur trois avait été fait prisonnier et plus d’un million de militaires devaient être conduits en captivité en Allemagne. Une jeune femme, ethnologue au Musée de l’Homme, Germaine Tillion, décide de cesser ses activités de recherche sen Kabylie pour revenir en France métropolitaine… Comme tant de futurs résistants, elle se dit qu’il faut faire quelque chose, mais quoi au juste ? Elle finira par trouver des gens qui pensaient comme elle. L’intérêt de cette démarche c’est qu’elle commence par être parfaitement légale en venant au secours des prisonniers français en Allemagne (envois de colis, de courrier, présence etc..) pour finir en un réseau d’aide aux évadés clandestins. Et dans ce réseau de Germaine Tillion, près de la moitié des membres étaient des femmes…
L’organisation de réseaux de résistance mais aussi de collectes de renseignements revêtaient un importance vitale pour l’Angleterre qui poursuivait la guerre contre les Nazis et qui accordait un intérêt spécial à la France dont les rivages n’étaient qu’à quelques dizaines de kilomètres des leurs. Le danger d’une invasion était obsessionnel. Louis de la Bardonnie et quelques autres comme le colonel Rémy mirent sur pied un solide réseau d’espions qui renseignaient Londres sur les transports de la Kriegsmarine et sur les ouvrages militaires construits par les Allemands à Bordeaux et dans l’estuaire de la Gironde. Les Britanniques appréciaient cette aide précieuse et cela servait aussi les intérêts de la France libre et de son chef qui prouvaient ainsi leur efficacité.
Lorsque des patriotes décident d’entrer en résistance et qu’ils sont dans l’impossibilité de le faire les armes à la main, il reste le combat des idées, de l’esprit pour prouver qu’on peut éveiller les consciences et développer une résistance spirituelle face à l’occupant nazi. C’est bien ce qui s’est passé avec la création d’une presse clandestine, La défense de la France. En dépit des difficultés et des dénonciations, sans même parler du redoutable SD allemand, ces jeunes gens et ces jeunes filles, pour la plupart, à la poursuite de leurs études, ont réussi à ranimer la flamme, montrant à une majorité assoupie que la France pouvait encore compter sur sa jeunesse…
Cette époque incertaine où la majorité ne savait plus à quel saint se vouer, fallait-il suivre la voie tracée par le vieux Maréchal qui faisait une sieste d’une heure tous les quarts d’heure ou, au contraire, tout laisser derrière soi et suivre un général inconnu, condamné à mort pour désertion et refus d’obéissance ? On peut dire que ce fut un peu le cas de Henry Frenay qui se voulait à la fois maréchaliste et résistant, afin de se décider définitivement pour la voie de la Résistance. Il faut tenir compte d’une certaine pesanteur sociologique chez tous ces gens qui entrèrent en résistance du jour au lendemain : bien que toutes les classes sociales fussent représentées au sein des réseaux de résistants, la plupart des grandes personnalités qui se joignirent à de Gaule étaient des aristocrates de la droite catholique. C’est-à—dire des gens habitués à obéir, à respecter l’autorité, à se plier aux règlements et aux lois. Et voici qu’n beau jour, on leur demandait de faire tout le contraire. Il est donc normal qu’ils aient un peu hésité avant de se décider…
Petit à petit on se reprit à esprit. Avant la fin de l’année 1942, après le débarquement allié en Afrique du Nord, on comprit que les Nazis ne gagneraient pas la guerre. La résistance armée se développa, notamment grâce au parachutage d’armes et de postes radio par Londres. Le chemin fut long, fait de promesses mais aussi de détours et de trahisons. Mais la voie était toute tracée.
Voici un ouvrage qui se lit facilement tant il est bien documenté et bien écrit.