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Franz-Olivier Giesbert,  Histoire intime de la Ve République : Le sursaut, Gallimard

Franz-Olivier Giesbert,  Histoire intime de la Ve République : Le sursaut, Gallimard

 

La lecture de ce beau livre est passionnante. C’est de l’histoire immédiate, vécue par tant d’hommes et de femmes. Ce n’est pas encore une histoire très lointaine, éloignée des préoccuperions de nos contemporains.

 

Pourtant, en en entamant l’attentive lecture, on croit avoir  la berlue : sommes nous en train de lire FOG ou simplement un décalque des thèses d’Éric Zemmour sur le déclin, voire la faillite de notre pays ? C’est l’impression contre laquelle je me suis assez mal défendu en lisant les prolégomènes de ce livre. E.Z. ferai il des émules ? Pourquoi pas ? Mais j’invite vraiment les lecteurs à ramarder cela de près, ils verront que je ne grossis nullement le trait.

 

 

Franz-Olivier Giesbert,  Histoire intime de la Ve République : Le sursaut, Gallimard

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Mais cette remarque n‘enlève rien à la réelle valeur du livre qu’on ne repose qu’à à regret, tant on veut en poursuivre, sans interruption prolongée, la lecture. Visiblement, et il a bien raison, FOG aime le général de Gaulle, l’insurpassable fondateur de la Ve République, l’homme du redressement, du sursaut du navire France qui, sans carte ni boussole, s’abandonnait au caprice des flots jusqu’au moment où surgit enfin l’homme providentiel dont l’histoire de France a le secret.

 

Le livre, vous l’avez compris, tresse des couronnes à la personne du Général avec lequel tant de Français sont prêts à s’identifier. A raison. FOG décrit sans la moindre sympathie l’affaissement de la IV République qui se vit contrainte d’en appeler à l’homme du 18 juin. Cependant, FOG n’ignore pas certaines zones d’ombre concernant l’implication du Général dans au moins deux cas : l’assassinat de l’amiral Darlan et l disparition accidentelle du général Giraud, rival potentiel pour la dévolution d’un destin national…

 

Après le mémorable appel du 18 juin, c’est l’affaire algérienne qui a permis à de Gaulle son second rendez-vous avec l’Histoire. FOG cite cette phrase du Général concernant la libération de la France de cet insupportable boulet algérien : Il faut savoir quitter les choses avant qu’elles vous quittent. Cela s’appelle une vision historique lucide : agir sur l’histoire et ne pas se laisser agir par elle.  Selon FOG, les confidences du Général  à Alain Peyrefitte  concernant l’Algérie, sont authentiques. A en croire l’ancien ministre de l’éducation nationale, le Général rêvait d’en finir tout en entretenant le mythe d’un appui à l’Algérie française… Et cela dévoile un aspect peu connu et plutôt sombre de  la personnalité du Général : simuler, dissimuler, ne jamais s’ouvrir de ses intentions profondes. Cultiver l’ambiguïté, spéculer sur les disputes, les batailles d’ego des adversaires, et acheter la docilité de survivants de toutes ces manouvres par des promotions et de décorations. Notre homme avait tout compris. Même la révolte des généraux d’Alger n’a jamais vraiment échappé au Général qui sut faire fleurir ce que Hegel appelait : la patience du concept.  Nul n’a jamais pu prouver que le Général était à la manœuvre dans les coulisses lors des événements du 13 mai 1958… Même si les plus proches du Général étaient au courant de sa très discrète implication..  Les défenseurs du Général indiquaient par la suite qu’il ne s’agissait pas d’un coup d’État puisqu’un vote à la Chambre avait avalisé le retour du Général au pouvoir.

 

Tout en étant un grand admirateur du général, FOG ne fait pas œuvre d’hagiographe ; ainsi évacue-t-il les mythes qui tissent l’histoire du Général dans les mémoires de ses thuriféraires : il évacue l’image du mari fidèle,  de l’honnête homme qui dit la vérité à ses interlocuteurs. En fait, le Général a su cacher ses intentions profondes car il ne voyait pas d’autre moyen de ramener la France et les Français dans le bon chemin. S’il avait dit ce qu’il allait faire, on ne l’aurait jamais laissé faire, ni même appelé. A preuve les tentatives d’assassinat…

 

Les idées de de Gaulle sur le caractère inassimilable des Arabes, et en l’occurrence des Algériens, sont assez frappantes mais guère surprenantes.  Il avait eu une vision précise de la natalité dans des milieux qui auraient pu, à la longue, rompre l’équilibre et provoqué la fin de l’homogénéité de la société française. Des considérations propres à renforcer les idées d’un certain Eric Zemmour. Je reconnais que les confidences faites à Peyrefitte sont malgré tout assez inattendues, en raison justement de leur franchise . Et parfois, on se dit que Machiavel n’est jamais très loin quand il est question de cette terrible affaire algérienne. Le fameux je vous ai compris est l’illustration la plus magistrale qui soit de la duplicité d’un grand dirigeant politique. Et des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants ont vraiment cru que de Gaulle était de leur côté alors que depuis quelques années déjà, notre homme disait le contraire , mais en privé et jamais publiquement.

 

On découvrira donc sans surprise l’importance que tient cette affaire algérienne dans ce premier volume de l’histoire intime de la Ve République. Le putsch des généraux d’Alger le justifie amplement. Je ne reviens  pas sur tous ces marchandages entre le FLN et les autorités françaises, largement évoqués et analysés ici. Je reviens un instant sur le projet d’une partition de l’Algérie, prévoyant une petite république française en Algérie, accueillant un demi million d’Européens et un petit million d’Algériens fidèles à France. Cette proposition hasardée par Alain Peyrefitte fit dire à de Gaulle cette répartie ; En somme, vous voulez faire un Israël  français…  Ce qui prouve, en plus du sens de la répartie, que le Général a toujours eu de l’humour.

 

Quand on revoit tous ces événements d’une exceptionnelle gravité, à la suite de l’auteur FOG, on se demande si d’autres que le Général auraient été  à la hauteur de ce défi, rompre les liens directs entre la France et l’Algérie, après plus d’un siècle de présence et de domination…

 

Je ne reviens pas sur les affres précédant l’indépendance fatidique de l’Algérie , sur toutes les dissimulations du Général pour ne rien laisser transparaître de ses intentions profondes, il convient peut-être de dire juste quelques mots de l’esprit de vengeance qui habita l’homme du 18 juin lorsqu’il apprend que la juridiction d’exception militaire, créée pour juger le général Jouhaux, a condamné ce dernier à la perpétuité et pas à la mort, comme l’espérait de Gaule. On a peine à reconnaître le chef, le héros de la France libre. Les témoignages de ses ministres et de ses proches collaborateurs montrent une sorte de dictateur,  incapable de comprendre le désaccord des autres. Il houspille tour à tour le Premier ministre du moment, le ministre des armées, et surtout le ministre de la justice qui jugeait que l’exécution du général rebelle était inacceptable. Au fond, la vie de Jouhaux.  ne tenait plus qu’à un fil ténu. Mais les ministres ont tenu bon et le Général  a fini par lâcher prise et comprendre qu’il devait céder.

 

L’un des péchés les plus impardonnables de de Gaule a été son refus de voler au secours des amis de la France, musulmans et Européens, qui furent massacrés devant des soldats  français restés l’arme au pied. Ils furent des milliers à être livrés, sans défense, à leurs bourreaux et le Général se contenta de dire que c’était à ces gens de régler leurs affaires avec les nouveaux maîtres du pouvoir. Il ne faut pas pousser trop loin la Realpolitik ; de nos jours, on parlerait de crimes de guerres avec condamnation de l’ONU à la clef…

 

De Gaulle, une fois libéré du boulet algérien, pouvait enfin prendre en main les vraies affaires de la France. Il était convaincu que l’Algérie coûtait à la France bien plus qu’elle ne lui rapportait.  Et il avait compris qu’il fallait inverser les flux migratoires : c’est ce qu’il confia à son ministre de l’intérieur de l’époque, Christian Fouchet.  Mais surtout il voulait doter le pays de solides institutions  propres à en renforcer la stabilité politique. Comme le rappelle FOG, la situation économique et financière du pays n’était pas bonne. Un gigantesque chantier s’ouvrait sous ses yeux. Dans la réforme nécessaire du pays, la main du chef ne devait pas trembler. Entre l’indépendance de l’Algérie et le départ du départ, il ne restait plus qu’un petit septennat. Ce furent les années d’un « gaullisme utile», même si le Général ne pouvait pas tout faire tout seul… Et il arrivait souvent qu’il fût mal secondé !

 

Et l’homme du 18 juin sen plaindra toujours, amèrement. Il reproche aux Français de l’avoir toujours méprisé, de n’avoir jamais vraiment compris son combat pour la France, combat désintéressé  de sa part. La fin du livre se caractérise par une ambiance sépulcrale. L’âge du président, son état de santé, sa vision de l’avenir et de son entourage nous p !sent, à nous lecteurs.

 

L’aventure humaine finit toujours mal car, au bout du compte, il y a la mort. Je me demande aujourd’hui si le Général n’eût pas été mieux inspiré en partant un peu plus tôt. Le pouvoir comporte  toujours l’abus de pouvoir, pour parler comme André Malraux. Lire aujourd’hui un si bel ouvrage donne l’impression que le Général avait aussi ses petits côtés, ses manies ?. D’une certaine manière, FOG détisse le mythe construit autour du Général et montre, comme je le notais plus haut, que le Général, pour héroïque qu’il fût, n’en fut pas moins homme.

 

Je donne la parole à Georges Clémenceau le soin de conclure : Il est venu trop tard, il est parti  trop tôt…

 

 

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