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ürgen Habermas, Une histoire de la philosophie. (I) La constellation occidentale de la foi et du savoir. Gallimard.

Jürgen Habermas, Une histoire de la philosophie. (I) La constellation occidentale de la foi et du savoir. Gallimard.

 

Il s’agit de la traduction  française de l’œuvre immense du grand philosophe d’Outre-Rhin Jürgen Habermas, qui compte deux volumes. Le seul reproche que l’on puisse faire à cette œuvre monumentale, c’est le corps de caractères très réduit, rendant la lecture fort difficile. Mais cela s’explique par le prix de revient des deux volumes qui sont imprimés selon le même mode. Malgré tout, cette entreprise reste un événement de taille dans l’histoire de la philosophie.

Jürgen Habermas, Une histoire de la philosophie. (I) La constellation occidentale de la foi et du savoir. Gallimard.

 Les Français et les Anglais comptent parmi les Européens qui sont moins bien armés que les Allemands au point que nos maîtres en Sorbonne nous annonçaient ceci : la philosophie est aux deux tiers grecque et pour le dernier tiers, elle est allemande. C’est la vérité. Ce sont des philosophes comme Kant et Hegel qui ont remis sur le métier les questions fondamentales : qu’est ce que l’homme ? Quel est son rapport au monde qui l’entoure ? Que peut la science humaine ? Un dernier exemple de cette suprématie  allemande au niveau de la philosophie : Heidegger aimait à dire que lorsqu’un Français se mettait à philosopher, il se voyait contraint de parler… allemand.

 

Dans un avant-propos bref mais très dense, Habermas explique la teneur de son projet en offrant au public cette histoire de la philosophie. Pourquoi les penseurs allemands ont-ils une longueur d’avance sur nous ? Cela est dû principalement au fait que les philosophes allemands n’ont jamais rejeté ni renié systématiquement l’anthropologie biblique qu’ils ont sagement intégrée à la spéculation philosophique. Il  existe une sorte de capillarité et de grande affinité entre la littérature biblique et la spéculation philosophique. Cela n’a pas échappé à la culture allemande qui n’a jamais mis la Bible de côté, contrairement à ce qui se passait en France au siècle des Lumières. La langue allemande moderne est elle-même issue de l’atelier de la traduction luthérienne  de la Bible. Ce qui crée une empathie entre les deux sources. Si la France a eu un Voltaire qui parlait «d’écraser l’infâme», et des encyclopédistes athées ou antireligieux, les pays germaniques ont eu un Herder (De l’esprit de la poésie hébraïque, un Mendelssohn (Jérusalem ou pouvoir religieux et judaïsme) ou un Kant (La religion dans les strictes limites de la raison) ou un Lessing (Nathan le sage, Fragments d’un anonyme…) qui avaient une relation apaisée aux textes révélés ou prétendus tels. Au besoin, ces penseurs ont interprété philosophiquement les sources bibliques pour mieux en faire des philosophèmes à part entière. C’est une tradition très ancienne qui remonte au temps où le Réformateur s’attelait à traduire les Écritures, parfois même avec le concours gracieux de quelques rabbins locaux.

 

Toujours est il qu’aujourd’hui encore, les meilleurs esprits allemands se tournent. vers les études théologiques (n’oublions pas qu’au commencement, Heidegger  voulait devenir homme d’église) et que la religion est une matière académique comme les autres. Un exemple : les recherches sur la nature et l’existence du mal comme élément métaphysique commencent outre-Rhin avec l’analyse du livre de Job et des premiers chapitres de la Genèse. Un autre exemple sur la place qu’occupe l’anthropologie biblique chez d’autres penseurs (un peu sulfureux) comme Carl Schmitt aux yeux duquel les idéaux sociaux sont la  sécularisation de théologoumènes originels. En somme, il nous parle d’une genèse religieuse du politique. (Théologie politique, 1924)

 

Habermas  consacre tout un paragraphe à cette mutation dans l’histoire de la philosophie dans ses rapports avec la Bible. Qu’on en juge : 

 

C’est pourquoi cette discussion me sert de fil conducteur pour retracer la généalogie d’une pensée post métaphysique qui doit montrre comment la philosophie. -de façon complémentaire  à la formation d’une dogmatique chrétienne- s’est pour sa part appropriée des contenus essentiels issus des traditions religieuses et s’est transformée en un savoir capable de fondations. C’est précisément à cette osmose sémantique  que la pensée séculière s’en réfère, qui succéda à Kant et à Hegel dont la thématique de la liberté rationnelle et les concepts fondamentaux de la philosophie pratique qui jusqu’à aujourd’hui se sont révélés déterminants. Alors que la cosmologie grecque a été déracinée, les concepts sémantiques d’origine biblique ont été transférés dans les concepts fondamentaux de la  pensée post métaphysique.

La question de savoir ce que la philosophie peut et doit encore se croire capable de faire trouve aujourd’hui sa réponse, en dépit de son caractère séculier non dissimulé, dans cet héritage transformé d’origine religieuse.

 

A moins que tout ne trompe, nous sommes en présence de ce que Franz Rosenzweig appelait au milieu des années vingt,  le Nouveau Penser. C’est-à-dire l’instillation d’une dose de théologie dans la pensée philosophique, donc la reconnaissance d’un gisement fécond dans la pensée religieuse, apte à donner naissance à une spéculation dont le fondement seul est de nature religieuse. C’est une façon de neutraliser l’élément religieux tout en profitant de sa substance nourricière…

 

C’est au sein des principautés germaniques que la critique des textes bibliques et de la religion en général a pris des proportions considérables. Et cela a contribué à élargir les fondements de la spéculation philosophique. Des penseurs comme Schelling, Hegel, Hölderlin et quelques autres sont passé par le Stift de Tübingen où ils reçurent une formation théologique substantielle.

 

                                                           (A suivre)

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