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Albert Camus,  Lettres de Camus à son instituteur. Gallimard, 2022.

Albert Camus,  Lettres de Camus à son instituteur. Gallimard, 2022.

 

 Voici un choix de lettres qui nous renseigne sur la dette que Camus avait contractée auprès de celui qui pesa de manière déterminante sur son magnifique destin : lui faire fréquenter le lycée à l’aide d’une bourse obtenue à farce de travail et d’effort. Il a fallu la persévérance d’un instituteur  (Louis Germain) comme on n’en fait plus, qui a mis tout son poids dans la balance, notamment face à une grand-mère qui pensait que les études poussées n’étaient pas faites pour le petit Albert, pauvre orphelin de père et dont la mère faisait des ménages…

Albert Camus,  Lettres de Camus à son instituteur. Gallimard, 2022.

 

  

Ce Monsieur Germain a fait en sorte que son brillant élève puisse devenir autre chose que commis charcutier, boucher, boulanger, ou autre. Il a su déceler en ce pauvre petit garçon un futur Prix Nobel de Littérature ; rien que cela ! Et ce petit élève lui en fut reconnaissant jusqu’à la fin, la mort tragique de Camus dans un accident mortel de la route.

 

On sait que Camus n’a jamais connu son père et que sa mère, atteinte de surdité, ne parlait guère. Ce qui limitait les contacts  au strict minimum. Un père disparu à la Grande Guerre, une mère qui ne parle que  très peu et doit travailler dur pour joindre les deux bouts, et c’est dans un tel milieu que nait et se développe le petit Albret. Donc, Monsieur Germain, c’était la main de la providence   qui a confié à d’humaines mains le soin de sortir cet enfant d’un destin peu valorisant. Et Camus a su reconnaître la grande générosité intellectuelle, la noblesse d’âme de son maître, face auquel il s’est toujours conduit avec un très grand respect.

 

Quand on lit ce choix de missives, on est envahi par une profonde  émotion. Un jeune homme, issu d’un milieu très défavorisé, devenu écrivain et journaliste, publie des œuvres qui vont lui attirer les plus grands éloges et la reconnaissance internationale. Camus ne se détournera pas de son bienfaiteur. Il lui témoignera la même gratitude et le même attachement respectueux. Ces lettres montrent un Camus plus humain, contrairement à ce que sera son attitude envers les femmes, par exemple. Au sommet de sa gloire, le Prix Nobel, ce n’est pas rien, il entretenait une correspondance suivie avec celui qui s’est battu pour lui avec succès.

 

Dans cette chrestomathie, vous ne trouverez pas un seul mot convenu ou qui ne jaillirait pas du cœur. C’est une relation frappée du sceau de l’authenticité : les paroles qui sortent du cœur touchent le cœur… C’est une vérité universelle. Et on le constate à de menus détails. Par exemple : le vieux maître dispose d’une belle valise, une cantine, dont il n’a plus l’usage. Il propose de l’offrir à Camus qui, en ce temps-là, en a bien besoin et doit subvenir aux besoins de sa petite famille. Le prix Nobel, c’est l’année 1957 qui es encore assez loin. Entretemps, il faut faire bouillir la marmite.

 

Même malade, même atteint d’une détresse respiratoire, Camus trouve le moyen de répondre à con vieux maître. Auréolé de si nombreux succès littéraires, Camus est invité en Amérique du Nord mais aussi en Amérique du Sud, et cela finit par se répercuter sur sa santé. Et nous apprenons la durée de son alitement ou de sa convalescence dans de telles lettres, tant la proximité de l’élève et  son maître était grande.  Tout occupé à gérer les retombées internationales  de son Prix Nobel, Camus prie son vieux maître de lui pardonner le retard mis à lui répondre, tout en affirmant qu’il entend partager cette gloire avec lui. La lettre de Monsieur Germain à Camus, après l’obtention du Prix Nobel, est probablement la plus touchante de l’ensemble. Le vieux maître confie à son ancien élève qu’il fut le meilleur de la classe et que son devoir lui commandait de le soutenir à tout prix…

 

Voici une courte cotation de cette lettre de Camus à son ancien maître :  Mais quand j’ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous. Sans vous, sanss cette main affectueuse tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé…

 

Ce livret comporte aussi un chapitre d’un roman inachevé de Camus et qui ne sera publié que plusieurs décennies plus tard, Premier homme.

 

Ici, le récit est largement autobiographique : il s’agit toujours d’un enfant qui n’a jamais connu son père, élevé par une veuve donc, et qui se lie d’amitié avec un autre camarade d’infortune, pauvre et esseulé comme  lui et avec lequel il constitue une sorte de binôme.  On  décrit leur chemin vers l’école chaque matin, l’un attendant l’autre au bas de son appartement. Les jeux, parfois cruels, de ces deux garçons en font de petits diables ; mais que faire d’autre pour transcender sa condition sociale, sinon s’acharner sur les chats faméliques ou déjouer les tentatives des capteurs chiens errants  dans la ville….

 

Dès les premières pages, Camus parle du lien spécial unissant les élèves à leur maitre, en particulier à Monsieur Germain qu’il nomme à cette occasion, non plus dans une situation fictive mais dans un cadre vivant qu’il a lui-même vécu. Dans les leçons données par ce maître, excellent pédagogue, les enfants avaient enfin l’impression de compter pour quelqu’un, d’être pris au sérieux et d’avoir une fenêtre ouverte sur l’avenir, leur avenir… Monsieur Germain aimait ce qu’il faisait et transmettait cet amour à ses auditeurs.

 

Durant les vacances d’été, les enfants étaient envoyés dans des colonies où ils mangeaient à leur faim, se promenaient pendant des heures, sous la surveillance d’infirmières attentionnées. Et quand Camus évoque ces premières années de sa vie, on sent une nostalgie affleurer, bien que ces années là aient été placées sous le signe de l’indigence et de l’abandon.

 

Certains lecteurs s’interrogeront sur l’opportunité d’avoir mis dans un même recueil ce choix de lettres à Monsieur Germain et le chapitre de ce livre resté inachevé, Premier homme. Mais quand on a achevé la lecture de l’ensemble, on se rend compte que ce chapitre est nettement autobiographique par son style et par son contenu. Et l’épisode de Monsieur Germain y tient une grande place. Comme dans la vraie vie d’Albert Camus…

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