Daniel Schneidermann, La guerre avant la guerre (1936-1939). Quand la presse prépare au pire
Il est un peu difficile de recenser cet ouvrage qui reste intéressant et très instructif, malgré ses charges répétées contre un collègue journaliste à succès, Éric Zemmour. Je n’insinue nullement que le livre est dépourvu de toute qualité intrinsèque, je dis simplement que sa totalité est dévolue à une thèse, mise en avant sans la moindre retenue : Eric Zemmour serait responsable de l’échauffement des esprits , il serait l’homme politique qui a hystérisé le débat, semé la haine entre les différentes composantes de la société française contemporaines… L’auteur du présent ouvrage reproche aussi à son collègue devenu célèbre, d’attaquer bille en tête tout ce qu’il dénigre dans ses livres à succès. Et je fois dire que la mise en parallèle des années trente et les années deux mille vingt finit par lasser et par être très discutable. On le sait bien : comparaison n’est pas raison…
Daniel Schneidermann, La guerre avant la guerre (1936-1939). Quand la presse prépare au pire
Mais gardons nous d’être trop injuste.; l’auteur a analysé les sources et cité des passages de la presse antisémite de l’époque qui vous dressent les cheveux sur la tête ; Charles Maurras, Rebatet, les journaux de l’Action française, Gringoire et autres feuilles malodorantes qui n’hésitaient pas, parfois, à appeler au meurtre de juifs. Et sur ce point précis, Schneidermann a raison de souligner que les mots peuvent tuer, qu’ils peuvent être des poignards ((il disait des couteaux de cuisine). Mais l’auteur disculpe Éric Zemmour d’une telle accusation… C’est déjà bien.
Je ne suis pas un spécialiste du discours politique, même si j’admire la philosophie politique de Hegel, et je trouve, néanmoins que Éric Zemmour, devenu en quelques mois un leader politique incontournable, n’est pas intelligemment combattu par ses adversaires. Je ne dis pas que je le soutiens, je note simplement que l’autre extrémité du spectre politique n’a pas trouvé la bonne approche ni la bonne méthode. On se focalise trop sur Pétain, sur les femmes, les féministes, bref sur des sujets qui ratent l’essentiel. Je m’explique : jusqu’à présent aucun contre argument n’a réussi à faire passer Éric Zemmour en dessous de dix pour cent dans les sondages. Tant qu’on ne se sera pas occupé des questions en suspens et qui séduisent les électeurs de ce pays, on n’aura pas trouvé la bonne méthode.
Comment expliquer que malgré toutes les critiques, toutes les remises en cause, toutes les attaques, et même certaines condamnations, personne d’autre que lui n’a pu rassembler autant de gens dans ses meetings ? Monsieur Schneidermann et ses amis marqueront des points quand ils auront répondu aux thèmes soulevés par leur adversaire (identité nationale, émigration, criminalité, insécurité, laïcité). En revanche, on peut suivre les analyses sur la violence, laquelle peut conduire à des effusions de sang par ce qu’un verbe assassin aura armé le bras des extrémistes… Il faut juste cesser de dresser une comparaison entre les années trente et les années Zemmour (sic).
Comme le sous titre de ce livre évoque justement le nom du principiel intéressé, je dois dire que Éric Zemmour a arraché à sa torpeur tout ce milieu ou ce personnel politique qui se succédait au pouvoir ; et cette succession ou cette successivité a agi comme un somnifère politique qui se nomme l’abstention. Depuis des décennies, les majorités qui se sont succédé n’ont pas voulu ni pu agir sur les causes de cette défection, se contentant d’exercer le pouvoir sans vraiment diriger le pays. Rien ne changeait et qu’on soit ou non d’accord avec lui, Zemmour a provoqué un tremblement de terre dans ce domaine.
Le chapitre sur le drame vécu par le ministre de l’intérieur Roger Salengro est remarquable car il montre simplement et clairement qu’une certaine presse peut commanditer un meurtre. Et on est saisi de peur en constatant que les journaux de droite (Gringoire, Je suis partout, L’Action française) n’ont pas voulu en démordre même si la plaidoirie de Blum a été exemplaire. Les mots peuvent tuer, c’est un excellent exemple.
Mais que faire de ces écrivains, littérateurs ou philosophes dont les options politiques sentent le fagot mais dont le talent (même nocif) est indéniable ? Le cas s’est récemment posé avec Louis Ferdinand Céline et Maurras dont les écrits antisémites sont connus de tous. L’accusation d’antisémitisme bloque-t-elle tous les autres considérations ? Je ne suis pas loin de le penser bien que je n’aime pas la censure… Le présent ouvrage le montre à l’aide de gens comme Brasillach, Rebatet, Béraud, etc Certains se sont rendus célèbres par leur animalisation des Juifs (en parlant de singes…) qu’ils voulaient traquer dans la science, les arts et les lettres. L’antisémitisme poussé à ce point ne relève plus de la psychologie mais de la psychanalyse. Et d’un siècle l’autre, pourrait-on dire, les mêmes accusations reviennent : hyper présence, surreprésentation dans certains secteurs, la banque, le cinéma, la médecine, l’économie et la finance… Même les changements de nom n’y font rien ; un journal antisémite se fera un devoir de publier une liste exhaustive ou presque des noms originels confrontés aux noms d’emprunt, dans le seul but de s’introduire sans être vus dans les secteurs les plus protégés de la société française ou européenne.
Le présent ouvrage contient aussi des réflexions enrichissantes que tout un chacun peut reprendre à son compte, car elles sont dénuées de tout parti pris idéologique. A-t-on le droit moral de mettre sur un même pied d’égalité, les Franquistes et les Républicains en Espagne durant la guerre ? Ou suivant la formule qui fit scandale : cinq minutes pour Hitler et cinq minutes pour les Juifs ? La neutralité dans la presse est un leurre. On est contraint et forcé, à un moment donné, de choisir son camp, mais ce choix se fait selon des valeurs qui s’apparentent à l’idéologie. Si on est de droite ou si on est de gauche, on s’orientera de telle façon ou de telle autre.. C’est la vérité. Les Franquistes et les R‡épublicains ont commis des atrocités lors de leur guerres fratricides, alors qui soutenir ? Les grands organes de presse des années trente ont été confrontés à ce grave dilemme.
Su l’on met à part cette petite réserve concernant le parallélisme avec l’ époque actuelle et Éric Zemmour, cet ouvrage si bien documenté nous apprend beaucoup de choses, notamment sur le rôle joué par une certaine presse qui ne sort pas grandie de cette enquête, au cours des années trente. On se rend compte que l’orientation des journaux les plus lus étaient des «faiseur» d’opinion. Surtout du côté communiste et d’un serviteur zélé de la bonne cause, un certain Louis Aragon….