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Marie-Christine Natta, Serge Gainsbourg . Making of   d’un dandy. Passés / Composés

Marie-Christine Natta, Serge Gainsbourg . Making of   d’un dandy. Passés / Composés

 

Mais qui était au juste Gainsbourg ? Pour l’auteure de ce long essai, la réponse est toute trouvée : un dandy. Mais alors qu’est- ce qu’un dandy ? C’est ce dont nous entretient Madame Natta sur près de quatre cents pages. J’avoue avoir hésité avant de commander cet ouvrage ; dès les premières pages, je réalise que cet homme qui n’avait pas l’air propre sur lui, hirsute, abusant de la boisson et du tabac, est tout autre que ce qu’il laissait entrevoir de sa personnalité profonde. Une manière de dandy, à en croire l’auteure, une façon de se  singulariser et de veiller sur ce qui nous parait être le plus cher dans l’existence. Cet effort exégétique -cette façon de faire émerger l’homme dans sa vérité- m’a permis de poursuivre la lecture sans toutefois me convaincre entièrement.

  

Marie-Christine Natta, Serge Gainsbourg . Making of   d’un dandy. Passés / Composés

 

 

Mais chemin faisant, je découvre bien des choses ; d’abord l’intérêt durable pour la peinture à laquelle il finit par renoncer pour se consacrer exclusivement  à la chanson. On découvre certains aspects plus intimes de la personne, par exemple son rapport à l’argent, au paraître, à la réussite sociale. Il ne faut pas oublier les origines qui imposent un effort surhumain pour s’affirmer dans un milieu intrinsèquement dur où beaucoup se déploient avec passion mais où peu réussissent. Et puis, il y a l’incontournable combat que livre chaque individu sur cette terre : aimer et être aimé. Un zeste de romantisme se profile à l’arrière-plan, même si cela ne concorde pas très bien avec l’art du dandy qui se moque  de tout, ironise sur tout, moque tout attachement durable… Et en agissant de la sorte, le dandy conteste in petto les mœurs et les codes des classes dominantes qui se croient au-dessus, et surtout de l’humaine condition.

 

L’auteur sait tirer parti de la suite non chronologique qu’elle adopte. On voit les différents déboires conjugaux de notre homme, de l’origine de ses parents Olia et Joseph, leur émigration de Russie pour s’établir en France, sur la côte méditerranéenne pour commencer et ensuite à Paris où le père, musicien, espère trouver des engagements. Au fond, c’est à lui, Joseph, que le jeune Lucien (qui ne s’appelle pas encore Serge) puise son inspiration et le goût de l’art, surtout lorsqu’il est couronné par le talent. On apprend aussi que Serge aurait pu ne jamais naître si sa mère, ayant déjà plusieurs enfants,  avait mis à exécution son sinistre projet de mettre un terme à sa maternité.

 

Les origines juives de Gainsbourg sont à peine effleurées, on nous parle surtout des années d’Occupation et de la législation antijuive (port de l’étoile, interdiction de fréquenter les lieux publics,  la scolarisation sous de faux noms, les dénonciations et les visites impromptues de la Milice, etc..) Les déclarations antisémites à ka fois des condisciples et des professeurs ont laissé des traces dans l’âme de Gainsbourg. Mais le plus grave problème est posé par l’image du père. Le grand artiste n’avait pas de son géniteur une très haute estime. Pire, il n’était pas loin de penser que c’était un artiste  raté, un pauvre artiste impécunieux  qui courait le cachet, tirait les sonnettes, lui qui se targuait d’avoir une haute exigence d’esthète, d’homme fin et distingué. Cette image négative du père fait un peu penser au même problème qu’eut Freud avec son pérore père… Dans ce domaine où le fils ne peut pas s’identifier à une image supérieure et indépassable, le jeune homme a durement vécu cette carence. Il y avait un monde entre les vœux du père et les réalisations concrètes. Cette déception fut difficile à dissimuler et a dû façonner un caractère spécifique… Lorsque la petite famille entend regagner la capitale à la fin de la guerre, on remarque que le père reste plusieurs moins, éloigné des siens, afin d’honorer quelques contrats fort mal payés mais payés tout de même. Le jeune Serge a dû le vivre douloureusement.

 

Gainsbourg a aussi souffert d’un autre mal, une disgrâce physique dont il était très  conscient. La plupart des gens, dont je suis, ignoraient même qu’il n’est devenu  auteur-compositeur qu’après maintes hésitations, croyant que sa vraie vocation portait sur l’art pictural et su rien d’autre. Dans de nombreuses interviews il annonce même son retour à ses premières amours, et, précise-t-il, dès que sa situation financière se sera améliorée… On connait la suite ; en revanche, ce mal être, cette difficulté à s’accepter tel qu’on est, a préoccupé l’artiste durant de longues années. Certes, Gainsbourg n’aurait jamais été embauché à Hollywood pour incarner  un rôle de jeune premier, mais tout de même ! Ce malaise a naturellement perturbé son rapport aux femmes dont certaines, très célèbres, ont bien voulu lui accorder leurs faveurs… Suite à son visage en lame de couteau, ses oreilles décollées et ses énormes paupières. Il reconnait même avoir envisagé un détour par la chirurgie esthétique.

 

Ce livre fouille tous les coins et les recoins de cette personnalité si riche de Serge Gainsbourg. J’ai bien pris note de la chanson qu’il a composée à la veille de la guerre des-six-jours : Oui, je défendrai le sable d’Israël. Mais j’aurais vraiment aimé lire une analyse précise du rapport de l’artiste à son identité juive. Notamment au lendemain de la Seconde Guerre mondiale où Gainsbourg est rentré en contact avec des organisations juives ou sionistes. Ce rapprochement eût été intéressant car, né en 1928, Gainsbourg a porté l’étoile jaune dans les rues de Paris. Et on a vu plus haut qu’il fut parfois en butte à l’antisémitisme de ses camarades de classe et même de certains professeurs, lesquels s’ingéniaient à mutiler son nom de famille… Mais j’avoue rester sur ma faim concernant le rapprochement avec le dandysme. Cela n’empêche pas cet ouvrage d’être un ouvrage  de référence sur la vie et l’œuvre de Serge Gainsbourg.

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