Jean-Michel Steg, Qui a gagné la guerre de 14 ? Enquête sur l’après-guerre de 1918 à nos jours
Et l’on peut parler d’une enquête sérieuse, menée avec la rigueur historienne qui convient dans de telles occasions. En reposant ce bel ouvrage après en avoir fait une lecture attentive, j’ai eu l’impression suivante : il arrive, parfois, que la victoire (militaire, armée) s’avère être une malédiction. Ou, moins pessimiste, il est plus difficile de gagner la paix que de gagner la guerre… Le livre suit un plan ingénieux : l’auteur compare les 11 novembre (date symbolisant la victoire sur l’Allemagne impériale et ses alliés) avec la même date quelques décennies plus tard. Par exemple, on en étions nous le 11 novembre 1941 ? Là, les rôles s’étaient inversés : l’armée française s’était effondrée sous le choc des attaques nazies et la moitié du territoire national était occupée. Ne peut-on pas prédire que les germes de la future défaite, celle de 1941, étaient contenus dans le traité de Versailles ? Dans ce cas, la victoire de 1918 n’en était pas une, au sens propre du terme…
Jean-Michel Steg, Qui a gagné la guerre de 14 ? Enquête sur l’après-guerre de 1918 à nos jours
Je suis philosophe-historien, mais c’est l’histoire de la philosophie et non celle de la politique qui m’intéresse. Je dois dire que ce livre m’a largement stimulé par ses aperçus et ses réflexions. Au fond, toute victoire militaire, au sens strict du termes, c’est-à-dire destruction des armées ennemies, la ruine de sa capacité offensive, de son économie, de sa puissance dans tous les domaines qui comptent, etc… est un mirage, une ombre car on ne fait que remettre à plus tard, la prochaine confrontation. Le généralissime français a dit, si je ne m’abuse, que le traité de Versailles nous accordait une trêve de vingt ans…
Je ne peux pas reprendre l’ensemble des idées de ce bel ouvrage mais je puis dans le cadre d’un simple compte-rendu reconstituer sa réflexion. Le 11 novembre 1918 aurait dû prévoir ou se figurer ce que serait notre situation dix ans, vingt ans, voire cinquante ans après la fameuse signature. Certes, ce n’est toujours pas la paix perpétuelle dont parle Kant, mais tout de même nous aurions bénéficié de bien mieux qu’’un simple intermède de paix, le temps de reconstituer nos forces et de passer à l’offensive.
Tout le monde connaît les rodomontades de Georges Clémenceau sur les réparations que les vaincus auraient à payer : la France, épuisée militairement, économiquement et démographiquement, n’a pas perçu le dixième des sommes qui lui avaient été allouées par les différents traités… Et surtout, les puissances alliées n’avaient pas tellement intérêt à voir resurgir une France au mieux de sa forme militaire. Les Britanniques, notamment, même s’ils seront les seuls à combattre le nazisme et à offrir l’hospitalité à l’homme du 18 juin 40…
En fait, les vrais vainqueurs, et je ne leur reproche rien, sont les États Unis qui ont occupé les places précédemment dévolues aux puissances européennes (la France, l’Angleterre, l’Allemagne)… Toutes ces puissances sont devenues les obligées de la nouvelle superpuissance, située outre-Atlantique. Il ne s’agit pas ici de dénigrer les fameux quatorze points Wilson qui brillent par leur idéalisme et leur irénisme. Mais derrière cette belle pétition de principes se cachent de solides intérêts commerciaux puisque, dès lors, l’Europe convalescente va acheter des quantités astronomiques d’armements et de machines agricoles de toutes sortes. Sans même oublier la rôle primordial joué par la monnaie américaine dont la convertibilité ne sera plus assurée à un moment donné.
Le 11 novembre le plus inquiétant, celui qui donne le plus à penser quand on mesure les dangers qu’il contenait, n’est autre que celui de l’année 1938, que les historiens nomment l’année fatidique (Schicksalsjahr) : les Nazis avaient eu accès au pouvoir le plus démocratiquement du monde, ils avaient allégrement profité de la lâcheté des gouvernants européens, revenant sur leurs engagements et avalant les uns après les autres les petits états situés dans leur espace vital (Lebensraum). Vingt petites années séparent le traité signé à Versailles d’un nouvel avant-guerre… C’est l’histoire qui se répète.
Voici ce que Henry Kissinger disait de ce traité avec sagacité habituelle : Un document diplomatique comme le traité de Versailles bien maqué son objectif. Trop dur pour réconcilier, trop doux pour prévenir la résurgence allemande, il a condamné les démocraties épuisées à une vigilance constante et Une union Soviétique révolutionnaire.
Cette année 1938 fut aussi celle d’une lâche imprévoyance au cours de laquelle fut lancée la terrible nuit de Cristal avec tant de dévastations des biens juifs et aussi avec l’Anschluss. Avec tout cela, pas de réactions des puissances européennes, la France et l’Angleterre, incapables d’employer la force armée. On connait la suite. Mais il y eut aussi le 11 novembre 1945, avec la capitulation sans conditions de l’Allemagne nazie.
Mais quelle conclusion tirer de tout cela et que je n’ai fait qu’effleurer ? Il me semble que la guerre, les confrontations armées ne peuvent prétendre résoudre, à elles seules, les conflits entre les États et les nations. Ce que vit notre Europe au moment même où je rédige, le prouve. Il faudrait trouver un moyen de convaincre les états belligérants que la brutalité de la force armée ne fait que repousser les choses, elle ne résout pas les conflits. Car tôt ou tard et le présent ouvrage le prouve amplement en montrant comment l’Allemagne et le Japon se sont relevés mieux que leurs vainqueurs, économiquement et politiquement, les armes ne peuvent plus avoir le dernier mot, sauf à utiliser des armes non conventionnelles qui susciteront une réaction similaire de la part de l’adversaire. Et nous aurions le chaos dans un monde vitrifié. Une sorte de Pompéi moderne.
Il faut que la sagesse reconquière toute sa place dans la gouvernance des nations. Cela rappelle les prophéties des vieux prophètes bibliques qui entrevoient pour une humanité régénérée un nouvel espace, de nouveaux cieux où l’homme ne brandira plus l’épée contre son prochain. On a donc le choix entre l’apaisement, la conciliation et la brutalité meurtrière.
Je ne cède pas à une lecture théologique de l’Histoire. Je suis un raisonnement rationnel. Les rapports de force fluctuent sans cesse. La force doit se placer du côté du droit.