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Mélanges en l’honneur du professeur Mohammed Kenbib. Histoire contemporaine du Maroc. Passé et temps présent.

  

Mélanges en l’honneur du professeur Mohammed Kenbib. Histoire contemporaine du Maroc. Passé et temps présent

 

Voici un volume de Mélanges qui honore légitimement l’œuvre et l’influence académique d’un brillant historien, devrais-je peut-être préciser, d’un historien-diplomate puisque sa carrière s’est déployée, pour notre plus grand bénéfice, autour de ces deux pôles que sont les études académiques, notamment historiques, et les services culturels de la diplomatie… Et chacun connait les vertus et les hautes qualités de la diplomatie chérifienne. Je souligne que le professeur Mohammed Kenbib est membre de l’Académie du royaume du Maroc. Et ce volume d’hommages est dédié à la mémoire du professeur Haïm Zafranai.

  

Mélanges en l’honneur du professeur Mohammed Kenbib. Histoire contemporaine du Maroc. Passé et temps présent.

 

Ce volume d’hommages comporte en son centre  les études de notre éminent collègue marocain sur l’histoire des communautés juives dans le royaume chérifien. Un domaine dans lequel s’est illustré le regretté professeur Haïm Zafrani dont le récipiendaire est un admirateur et un continuateur. Le professeur Kenbib a, dans le cadre des activités culturelles de l’Institut du Monde Arabe, récemment donné une conférence sur son sujet de prédilection, à savoir l’œuvre et la reconnaissance d’un passé commun et d’un avenir, le 17 février 2022. Ce volume d’hommages montre que le courage et la détermination du professeur Kenbib ont fini par payer, si j’ose dire. Car, aujourd’hui, l’histoire du judaïsme marocain, des origines à nos jours, devient une discipline légitime de la science du judaïsme contemporain.

 

Au tout début de cette aventure, peu de gens s’intéressaient à ce pan entier de la vie juive en terre musulmane.  Aujourd’hui, quelques décennies plus tard, c’est chose faite. Et si j’y reviens, c’est parce que le professeur Kenbib a eu le courage de consacrer toute sa carrière académique à ce sujet culturel et historien, sans jamais dévier d’une approche scientifique. Or, chacun sait que ce thème était assez épineux en raison d’interférences politiques dérivant du conflit israélo-arabe au Proche Orient. Vous ne trouverez pas chez Monsieur Kenbib la moindre allusion orientée dans un sens ou dans un autre. Aucun commentaire tendancieux qui eût, le cas échéant, considérablement desservi la cause qu’il cherchait  à servir : rendre compte dans un cadre historico-critique strict de la vie juive, notamment culturelle et religieuse dès les origines du royaume chérifien. Cette vision des choses, à savoir la légitimité de la présence juive et de son développement harmonieux, en dépit de quelques fautes vite oubliées, a fini par s’imposer : les autorités politiques  ont inscrit l’apport juif dans la constitution à la fois politique et spirituelle du royaume.

 

Et c’est son apport incontestable que le professeur Kenbib a étudié pendant des décennies à la fois dans le cadre universitaire et diplomatique. En effet, il ne faut pas oublier de souligner que Monsieur Kenbib  n’est pas  un de ces érudits enfermés dans leur tour d’ivoire, retirés du monde de l’action. En sa qualité de conseiller culturel et de directeur de la communication près l’ambassade du Maroc à Paris, durant de longues années, il s’est frotté, avec succès, à l’enseignement supérieur français dans le cadre duquel il a soutenu sa thèse de doctorat d’État. La publication de cette œuvre a nettement dépassé les frontières du Maroc et de l’Hexagone. Il suffit de considérer avec attention les multiples invitations d’universités américaines de renom pour s’en convaincre. Il suffit aussi de parcourir les très nombreuses études de savants étatsuniens pour mesurer l’impact de ce grand historien.

 

Sans chercher à tomber dans l’hyperbole, je me dois de dire que grâce à l’apport de ce savant historien, l’histoire économique, religieuse ou plus largement culturelle du judaïsme marocain a attiré de jeunes chercheurs qui se sont engouffrés dans un territoire de recherche, largement labouré, comme je le notais plus haut, par Haïm Zafrani et Monsieur Kenbib. Je ne reviendrai pas sur tous les accomplissements scientifiques et universitaires de ce dernier. Mais je dois faire part de ma vive admiration pour un historien qui a bravé tous les obstacles pour imposer une œuvre à la fois de pionnier et de qualité.

 

L’historiographie juive a connu son développement classique au cours du XIXe siècle allemand, sous l’effet de l’école historienne allemande, et nomment hégélienne. J’ai moi-même commis une Historiographie juive dans la collection Que sais-je ?. Aujourd’hui, je me rends compte que la connaissance de l’œuvre de Monsieur Kenbib m’eût été très profitable… J’attends une réédition pour pouvoir y suppléer. C’est qu’une certaine  historiographie juive ou hébraïque, influencée par un désuet européocentrisme,  avait identifié plusieurs siècles du développement culturel au Maroc comme un produit de du déclin, ne méritant pas la mention dans des manuels classiques de l’histoire intellectuelle du pays. C’est une tendance, nourries d’insupportables préjugés, dont Haïm Zafrani a beaucoup souffert. Sans avoir eu l’honneur d’être son élève mais ayant tout de même lu et recensé ses provinciaux ouvrages, je connaissais très bien Haïm Zafrani qui fut le président du jury de ma thèse de doctorat d’État… Lui ne se plaignait jamais mais je savais qu’il souffrait  en silence de cet injuste  cloisonnement séparant sa discipline des autres secteurs de l’histoire juive.

 

Que dire du contenu de cet imposant volume que j’ai entre les mains ? Difficile de parler de chaque contribution et le présent compte-rendu est déjà assez fourni. Il me suffit de dire qu’il ouvre de multiples chantiers et rend hommage à tous les aspects de la vie culturelle du judaïsme marocain. Je le dis avec une certaine gravité, moi qui suis né dans ce même pays, produit par la même culture mais qui a préféré s’illustrer dans la philosophie judéo-allemande du XIXe siècle plutôt que de se mettre au service des lettres judéo-marocaines. Mais j’ai tout de même bien étudié la vie et l’œuvre de Maïmonide (1138-1204) qui séjourna quelque temps dans la cité de Fès

 

Les savants les plus éminents ont contribué à ce beau volume. Il y a même la mention de la communauté juive d’Agadir, chère à mon cœur. Mais il y a aussi tout le reste, et notamment la vie religieuse dans les frontières du territoire chérifien. En lisant la plupart des contributions suivant ce qui revêtait le plus d’importance à mes yeux, je me suis rendu compte que les échanges intercommunautaires, par exemple les échanges épistolaires entre Maimonide et les sages juifs de Fès au sujet de l’astrologie, prouvent la vitalité de cette correspondance.  

 

Je pense aussi à la place prise par le Zohar dans la liturgie, voire la religiosité judéo-marocaine. Dans le judaïsme marocain des XVII-XIXè siècles par exemple, on constate que la kabbale lourianique, dite de Safed (XVIe siècle), s’était largement imposée. Moult rabbins marocains ont jugé bon de commenter avec sagesse cette Bible de la kabbale que fut le Zohar, produit par le judaïsme espagnol, Cette productivité intellectuelle, tant dans le domaine aristotélicien que mystico-kabbalistique prouve, à l’évidence, que la sphère intellectuelle œuvrant à l’est ne le cédait en rien à celle opérant à l’ouest, autrement dit en Europe. Durant un certain nombre d’années, les échanges étaient presque équilibrés même si, ce judaïsme marocain, dépendait de ressources externes. Mais cela ne suffisait pas pour parler de déclin… Qu’il me soit permis d’ajouter que c’est Monsieur Kenbib qui, à son niveau, m’a aidé à combattre ce préjugé qui s’était imposé dans certains  manuels d’histoire.

 

Je veux dire que dans le domaine de la grammaire hébraïque et de l’exégèse biblique, l’apport a été des plus honorables, même si, pour des raisons extra culturelles, les élites judéo-marocaines ont, parfois, marqué le pas. Mais même dans la ville de Hambourg, en Allemagne septentrionale et dans ses environs, des rabbins marocains qui avaient été en poste à Salé ou dans une autre cité, ont obtenu des postes en plein milieu ashkénaze. Ce rabbin, né à Oran mais occupant un poste à Fès et dans d’autres cités marocaines, n’était autre que Jacob Sasportas de Salé. Ce serait trop long de décrire son adhésion temporaire au mouvement sabbataïste à Hambourg.

 

Cette recension est déjà un peu longue, il me faut conclure. Il y aurait encore tant de choses à dire. Mais je pense que l’un des mérites fondamentaux de l’œuvre générale de Monsieur Kenbib est d’avoir montré que la tolérance et le refus de l’exclusivisme religieux pouvaient germer dans le cœur  de tous les hommes de bonne volonté. On peut apprécier à leur juste valeur les efforts d’hommes et de femmes pour se comprendre et vivre ensemble dans la paix et le respect mutuel.

 

Pour ma part, et très modestement, c’est l’enseignement que je tire de ce magnifique volume d’hommages offert au professeur Mohammed Kenbib.

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