Antoine Compagnon, Proust du côté juif. Gallimard. (I)
Il s’agit ici d’une recherche effectuée par un professeur honoraire au Collège de France. Le sujet n’est pas nouveau mais cette fois-ci il est traité de manière sérieuse et pratiquement exhaustive, sans toutefois parvenir à des résultats irréfragables. .
Je dois dire en tout premier lieu que la qualité technique de l’ouvrage est remarquable et ne laisse guère à désirer. Quand vous avez ce beau livre entre les mains, en dehors de son poids, rien ne vous pousse à le reposer sur le bureau pour le lire. En second lieu, il faut rendre hommage à l’examen méticuleux de ces ultima verb de Proust a d’où tout est parti, si j’ose dire.
Proust dont la mère était juive (Jeanne Weil) écrivit un ami resté anonyme pour lui dire, entre autres, que malade, cloué au lit, il ne peut plus se rendre au cimetière juif où repose son grand père bien-aimé Baruch-Weill… Pourquoi regrette-t-il cette impossibilité de se déplacer ? Pare que plus personne ne se rend au cimetière pour déposer quelques petites pierres sur la tombe de ce cher grand père disparu. Il précise que ce dernier s’acquittait de ce devoir mémoriel régulièrement, sans jamais en avoir compris le sens ni élucidé les origines.
Antoine Compagnon, Proust du côté juif. Gallimard. (I)
Proust dont la mère était juive (Jeanne Weil) écrivit un ami resté anonyme pour lui dire, entre autres, que malade, cloué au lit, il ne peut plus se rendre au cimetière juif où repose son grand père bien-aimé Baruch-Weill… Pourquoi regrette-t-il cette impossibilité de se déplacer ? Pare que plus personne ne se rend au cimetière pour déposer quelques petites pierres sur la tombe de ce cher grand père disparu. Il précise que ce dernier s’acquittait de ce devoir mémoriel régulièrement, sans jamais en avoir compris le sens ni élucidé les origines.
Bien des spécialistes de l’histoire et de la philosophie juives -et je suis du nombre- hésitent entre plusieurs explications dont aucune n’a pu s’imposer au terme d’une analyse sérieuse, c’est-à-dire historico-critique. Mais, pour ce qui est de Proust et de son éventuel rattachement au judaïsme, c’est de cette lettre que tout est parti. Sans oublier les efforts déployés par André Spire dont l’article fut même traduit en anglais et publié par la Jewish Chronicle.
Les premiers chapitres de ce beau livre se lisent comme une enquête policière ; et il convient aussi de ne pas oublier les très nombreuses illustrations qui contribuent à la qualité de l’ouvrage. D’une certaine manière, c’est aussi une contribution, au sens large du terme, à l’histoire du judaïsme sur les bords de la Seine. On prend connaissance de toute une généalogie et des différents courants , orthodoxes ou réformistes, du franco-judaïsme au XIXe siècle . Tous ces mouvements réformistes (voir mon ouvrage sur Le judaïsme libéral, Hermann éditeurs) trouvent leur source dans l’Allemagne voisine, comme supprimer la circoncision, remplacer le samedi par le dimanche, etc… Les conférences rabbiniques de 1844 à 1846 ne sont jamais parvenus à un consensus sur la pratique religieuse. Mais certains échos de ces violents débats ont tout de même franchi les frontières de l’Hexagone, alimentant le débat au sein de la communauté juive locale, grâce aux échos dans la presse juive, l’Univers israélite et les Archives israélites…
Ce vocable israélite a connu un grand succès, et a fini par supplanter un terme bien plus gênant aux yeux de certains. En Allemagne, on note aussi la propagation de ce terme, mais parallèlement on relève l’omniprésence de l’épithète : mosaïque. Ce choix ne doit rien au hasard, il s’agit de limiter la tradition juive normative à la seule tradition écrite, donc aux vingt-quatre livres du canon biblique. Toute la tradition orale, en l’occurrence la littérature talmudique était jetée par-dessus bord (Heinrich Heine).
L’auteur de ce précieux ouvrage souligne que c’est bien, comme on l’a noté plus haut, l’écrivain André Spire qui a été le premier à attirer l’attention sur les origines juives de l’auteur de A la recherche du temps perdu. Je n’aime pas l’expression sang juif ou judéité ; je préfère l’expression les origines juives (si elles ont existé) du célèbre écrivain. On peut s’interroger sur cet intérêt soudain ; est-ce que l’on soupçonne l’auteur d’avoir donné libre cours à une hypothétique sensibilité juive dans son œuvre désormais consacrée ? Est-il nécessaire de décrypter les déclarations de tel personnage ou de tel autre qui prend la parole dans l’une des œuvres proustiennes ? Il est vrai que certaines déclarations dans la bouche de quelques personnages de ses romans ne laissent pas d’interroger : Proust, un antisémite ?
Par delà le cas spécifique de Marcel Proust, cette enquête pose le problème spécifique de l’identité juive : cela me rappelle un excellent ouvrage de l’historien Yosef Hayim Yeroushalmi, Le Moïse de Freud. Judaïsme terminable et judaïsme interminable qui explique qu’il est très compliqué de se débarrasser de son judaïsme, même quand on a cessé d’être un juif pratiquant. Cela me fait aussi penser à une formule à l’emporte-pièce de Jacques Derrida, je ne connais pas le Talmud mais lui s’y connait en moi… Le Je n’est donc pas maître chez lui.
Je trouve dans ce livre une simple phrase qui résume tout le débat et met en évidence l’enjeu, à savoir si Proust était d’origine juive ou pas : La contribution de l’hérédité juive de Proust à son œuvre… Des termes comme hérédité ou demi juif me font penser à des notions nazie ou à des expressions du style : erblich belastet ( affecté par une lourde hérédité, c’est-à-dire pour les Nazis, une ascendance juive…)
Je ne comprends vraiment pas que l’on accorde tant d’importance à la présence d’une maman juive dans la constitution même d’un écrivain comme Proust. Est-ce que sa mère lui aurait communiqué une sensibilité juive, une Weltanschauung juive ? J’en doute fortement… Proust n’a pas tété le judaïsme avec le lait de a mère : Mit der Muttermilch gesogen… Mais je tempère mes propos par à la remarque subsidiaire suivante : si la chose ne lui tenait pas à cœur, est ce que Proust aura exprimé un tel regret , à savoir ne plus visiter la tombe au cimetière juif ?? Ne tenait-il pas à ce fil plutôt ténu le rattachant à la tradition ancestrale ? Nous aurions le début d’une réponse si l’anonymat du destinataire de la fameuse lettre était levé…
Personnellement et malgré quelques réserves, j’inclinerai vers la thèse de Léon Pierre-Quint qui relativise l’apport de cette judéité parentale à l’œuvre littéraire du romancier. L’éminent professeur honoraire au Collège de France donne à ses développements sur cette effervescence littéraire les allures d’un travail d’archiviste. Je reviens aussi sur cette remarque de la seule femme (non-juive) de ce groupe proustien (même si elle se montrait plutôt réservée à l’égard de l’auteur tout juste disparu ) Ludmilla Savizsky, traductrice de l’allemand, du russe et de l’anglais (elle a traduit Joyce), parle de l’âme juive de l’écrivain. N’est-ce pas un peu sur-interpréter les textes ? En tout état de cause, cela m’a rappelé l’expression célèbre du philosophe juif Bergson, mentionnant ce supplément d’âme qui serait, selon certains spécialistes, la traduction française d’une notion rabbinique : le jour du sabbat, l’orant juif se voit crédité d’une âme supplémentaire (neschama yétéra)…) en l’honneur de la solennité de ce jour sacré…
Certains reprochent aux juifs ce que je nommerai un appétit insatiable de reconnaissance, de voir leurs mérites enfin reconnus et honorés comme tels, le reproche est vrai mais il est injuste, au regard de toutes les persécutions et de toutes les tentatives d’ensevelir le judaïsme ainsi que ses conquêtes spirituelles et religieuses… Ernest Renan lui-même s’est rendu coupable de cette injustice car il signale que la presse juive de son tempe signale avec effusion que telle personnalité juive ou telle autre a été décorée de la légion d’honneur.
En poursuivant ma lecture attentive du livre de Monsieur Antoine Compagnon, je relève la présence d’un trio littéraire des plus célèbres : Montaigne-Proust-Bergson, réunis par leurs origines juives probables… Pour Proust, il y a cette effervescence que André Spire a fait connaitre, suivi de Cattaui et pour Montaigne l’origine probablement marrane de sa mère… Je me pose toujours la même question : aucun de ces trois grands écrivains française n’a eu de connaissance solide de la tradition juive spécifique. On en revient toujours à cette image de sang juif. On pourrait parler d’esprit, de sensibilité ou de mentalité.
(A suivre)