Gisèle Halimi, Une embellie perdue. Gallimard
Il s’agit de la suite de l’autobiographie de Gisèle Halimi, Le lait de l’oranger que j’ai recensée ici même il y a quelques mois. Allusion à la détestation du lait par l’auteure qui versait subrepticement dans l’oranger, ce précieux liquide qu’elle n’aimait pas, à l’insu de ses parents. Mais le présent texte est nettement plus volumineux que le précédent. Il fourmille de détails sur le parcours d’une femme sortant de l’ordinaire, une femme qui a consacré sa vie à la cause d toutes les femmes et aux droits des minorités. Je crois ne pas me tromper en disant qu’elle fut une grande militante socialiste et aussi une militante du droit des femmes. Notamment la possibilité de disposer de leur corps comme elles l’entendent.
Gisèle Halimi, Une embellie perdue. Gallimard
Mais le titre Une embellie perdue marque aussi l’idée d’une désillusion, d’un échec, car la gauche au gouvernement doit s’adapter et renoncer à la plupart des promesses ayant permis son élection et son retour aux affaires. L’opposition peut dire ce qu’elle veut, mais quand elle accède enfin au pouvoir, les idéologues composent nécessairement avec la Realpolitik et s’embourgeoisent. Forcément, les militants purs et durs sont déçus. D’où le titre du livre.
Il n’est pas question de résumer ici des tas d’anecdotes, de portraits parfois satiriques de grands personnages de l’État comme le président François Mitterrand dont l’auteure souligne qu’il fut un grand séducteur et aussi, comme tous les hommes politiques, un manipulateur. Au fil des pages, on pourrait penser que l’auteure est plus naïve qu’elle ne le dit lorsqu’elle découvre les mœurs politiques, leur repoussante brutalité et leur laideur morale : je pense surtout à la volonté des caciques du PS et du chef de l’État en personne de lui dénicher une circonscription gagnable. Rien n’aura été épargné à cette femme qui a fait preuve d’une exceptionnelle résistance face à l’adversité. Cela montre aussi que les hommes témoignaient un certain mépris aux femmes dans l’action politique. Mais ce n’est pas tout, on est introduit dans les coulisses du monde politique où il faut se battre jusqu’à bout pour l’emporter, où les sections locales du parti majoritaire n’aiment pas les parachutés, entendent se faire respecter. En une phrase, l’élection de l’avocate du FLN relève du miracle car cela n’a tenu qu’à un fil… et à la mort providentielle d’un élu, libérant ainsi un poste ardemment recherché. Jusqu’à la dernière minute, le choix du point de chute n’avait pas été déterminé… Les décideurs étaient aux abonnés absents car ils ne voulaient pas être au centre de controverses internes. On découvre la face cachée de ce monde politique où les hommes révèlent leur vraie nature : accéder au pouvoir, imposer leur loi aux autres qui n’ont pas la chance ou le pouvoir de présenter une candidature. Et partout, à tous les échelons, la même recommandation : il faut vous battre, aller jusqu’au bout… Rien d’étonnant quand on réalise que la candidate, finalement élue, quitte l’Assemblée après une seule législature. C’est dire !
En gros, cette lumière crue jetée sur le monde politique ne décourage que les moins déterminés… qui sont les plus nombreux. Je crois que l’enseignement majeur de cette autobiographie est le suivant : ne faites pas de politique, mais si vous n’en faites pas, vous ne ferez jamais avancer les causes qui vous tiennent à cœur…
Or, la cause des femmes, de l’égalité des droits, du droit de disposer de son corps comme elles l’entendent, tels furent les combats auxquels l’avocate célèbre a consacré sa vie. Ce fut une grande militante de cette cause qui constitue une honte pour nos sociétés modernes et contemporaines. Le féminisme et le socialisme, ou la gauche, en général.
Certains passages de ce livre de mémoires se lisent avec une certaine émotion, ils évoquent la trahison de certains idéaux de «Choisir » et de la cause féministe en général. Je pense surtout au cas d’une certaine Sheila qui tourne casaque, quitte la cause qu’elle défendait âprement et effectue ce que ses anciennes camarades de lutte qualifient de régression. Pourtant, je trouve que ce jugement concernant cette renégate est un peu injuste. Un homme a le droit de façonner la vie qu’il entend mener en compagnie de celle qu’il aime. Et cette dernière peut aussi répudier les idéaux de certaines militantes excitées qui ne voient en l’homme qu’un ennemi qu’il faut vaincre… Mais en dépit de ces réserves, le passage suscite l’motion du lecteur. Tout lecteur sera touché au plus profond de lui-même par ces accidents causés par l’interdiction de l’avortement. Certains témoignages sont horribles, notamment de la part d’infirmières des hôpitaux…
Mais Gisèle Halimi, c’est bien plus que cela. C’est aussi tout un symbole : une femme née dans un milieu modeste, une juive de Tunisie a, par sa seule détermination, acquis une notoriété presque mondiale puisque les causes quelle a défendues ont une portée dépassant les frontières de l’Hexagone. Tous ces témoignages montrent les limites de l’action ou de l’engagement politique, surtout quand il s’agit de faire avancer l’état de nos sociétés. Ne rien faire n’est pas une option.
Gisèle Halimi a été une militante et une pionnière du combat en faveur de la liberté des femmes. Il demeure que certaines de ses actions soulèvent encore aujourd’hui une certaine opposition.