Jean-Jacques Marie, Des gamins contre Staline. Le Seuil, 2022
Dès les premières pages de ce livre, solidement documenté et bien écrit, on a peine à en croire ses yeux : des gamins (sic) contestent le conduite politique des affaires et même de la guerre par Staline, le petit père des peuples, qui éliminait sans le moindre scrupule tout opposant déclaré ou mystérieux. Et voila que des enfants , 13 ou 14 ans, d’âge moyen, se mettent à écrire à la main des tracts dénonçant la dictature du tyran sanguinaire. L’un des tracts collés au rez-de-chaussée d’un immeuble d’habitation remonte à 1944, presque à la fin de la guerre, et accuse Staline de boire le sang du peuple entier (sic).
Jean-Jacques Marie, Des gamins contre Staline. Le Seuil, 2022
ntier (sic).
On a du mal à se représenter une telle maturité politique à un âge si tendre. Il s’agissait de tout petits groupes d’enfants qui posaient un regard des plus critiques sur l’évolution de l’URSS dont le chef incontesté (ou presque) vantait les grands mérites en se les attribuant.
Je ne peux pas dans le cadre d’une simple recension rentrer dans les détails, donner les noms des mis en cause ou évoquer les témoignages portant sur les interrogatoires, menés par des enquêteurs chevronnés. De tels tracts contestant violemment le régime ont plongé dans une grande perplexité les responsables de la police politique, dont le sinistre Béria en personne qui hésita avant d’envoyer à Staline une note sur ce sujet.
On lit dans ce livre que les limiers du NKVD se sont déplacés dans certaines villes du pays pour faire la dictée à des classes d’élèves, afin de comparer les écritures et d’arrêter les coupables. Lorsqu’ils leur mirent la main dessus, ils n’en crurent pas leurs yeux car le phénomène était complétement inhabituel ; des enfants qui osent défier le maitre absolu du Kremlin ! Et parfois même en dévoilant leur identité et leur lieu de résidence.
Le tract de 1944, évoqué plus haut appelait à anéantir la bête immonde nommée Hitler et de poursuivre en éliminant le tyran Staline… Verbatim !
Le passage rendant compte d’une visite de Romain Rolland à Staline est savoureux. On prend conscience de la naïveté, feinte ou réelle, du Prix Nobel de littérature, auteur de Jean-Christophe, qui défendait la réputation de l’URSS et les bienfaits du communisme.
Les gamins protestataires livrent parfois des témoignages déchirants sur les morts dans les villes et les campagnes en raison de la famine. Et ces victimes se comptaient ar millions… Un enfant narre les conditions de vie des familles en parlant de la mort de son jeune frère, qui rendit l’âme après avoir passé la nuit à hurler de douleur, tant la faim le tenaillait. L’auteur de ce tract stigmatise les privations imposées au peuple alors que les dirigeants se gavaient dans leurs luxueuses résidences, à l’abri des regards et des travailleurs desquels ils exigeaient toujours plus de sacrifices…
Visiblement, et à en croire l’auteur qui connait bien son affaire, ce type de critiques a grandement inquiété les autorités qui craignaient une dissémination de ces contestations. Si les adultes pouvaient lire ces tracts ils auraient pu prendre conscience du drame et de l’injustice qu’ils vivaient.
On a tous lu les purges staliniennes dans nos livres d’histoire. Staline avait commencé par écarter tous les rivaux et les opposants potentiels. IL fit fusiller les plus haut gradés de l’Armée rouge en s’appuyant sur des actes d’accusation inventés de toute pièce. On parle aussi de l’abaissement de la responsabilité pénale à l’âge de douze ans. Et les enfants étaient souvent interrogés ou emprisonnés avec des adultes dans les mêmes cellules. Dans un cas précis, les enfants incarcérés s’inquiétaient de perdre toute une année d’enseignement, préjudiciable à leur développement futur. Certains demandèrent si parmi les détenus se trouvaient des enseignants qui auraient pu leur venir en aide en les scolarisant, en quelque sorte.
L’auteur de ce livre signale à juste titre que les lettres envoyées à Staline au Kremlin ou les tracts manuscrits dénonçant sa gestion de la guerre et de l’économie, en général, recourent souvent à l’ironie. Cette posture leur permettait de dénoncer les allégations du régime et de la presse qui lui était inféodée…
Il ne faut pas oublier de mentionner les punitions collectives, notamment lorsque des parents étaient arrêtés, voire tués, ou inversement lorsque les mis en cause étaient encore mineurs, le régime exilait l’ensemble de la famille en Sibérie ou en Extrême Orient.
Chapitre après chapitre, le lecteur découvre l’étendue de la répression. La soi disant légalité soviétique a tous les droits. Staline peut faire fusiller qui il veut, au moindre soupçon. J’ai lu avec attention ce pseudo complot des bibliothécaires du Kremlin, sans oublier les commérages du personnel chargé de l’entretien. Certains bonnes auraient tenu des discours désobligeants sur le maître du Kremlin dont l’embonpoint s’explique par une nourriture abondante et pas du tout d’exercice, c’est-à-dire qu’il ne travaillait guère… Eh bien, lorsque les mouchards du NKVD sont mis au courant, toutes les bonnes son attestées et le personnel du Kremlin placé sous surveillance.
On pourrait citer encore bien des exemples. Même Béria est contraint, peu après la mort de Staline, de donner de nouvelles instructions au personnel des prison et à la justice, plus en accord avec les garanties inhérentes au droit pénal. Il arrivait même que des accusés, bien qu’innocents, soient condamnées à mort et exécutés quelques heures plus tard…
Évidemment, nul n’avait droit à un avocat, chargé de le défendre : dès qu’on était accusé d’activités contre-révolutionnaires, c’était fini. Staline avait donné des instructions afin d’éliminer des koulaks, de retour chez eux, après avoir purgé leur peine. Le maître du Kremlin ordonna de les assassiner sans même avoir à leur reprocher le moindre crime…
Mais comment qualifier un régime qui accuse des enfants de 12 ans de menées subversives ?