Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Roland Tomb, Histoire de la circoncision. PUF, 2022.

  

Roland Tomb, Histoire de la circoncision. PUF, 2022.

 

Quand donc est apparu pour la toute première fois cet usage qui a fini par s’imposer à une large fraction de l’humanité et par endosser une valeur religieuse ajoutée, si j’ose dire, qui a supplanté toutes les autres considérations d’ordre médical ou purement technique ? D’après les témoignages les plus anciens parvenus jusqu’à nous, c’est l’Égypte qui serait le témoignage le plus ancien, attesté par un bas-relief ; et les Hébreux auraient repris ce rite de passage ou cet acte sacralisant du pays des pharaons. Mais rien ne laissait prédire une telle percée dans cette civilisation judéo-orientale puisque cette opération chirurgicale (ablation du prépuce) a été une véritable exigence incontournable pour l’appartenance à la judéité… Comme dans le cas du judaïsme, notamment dans les chapitres 15 et 17 du livre de la Genèse : Dieu scelle un pacte avec le patriarche Abraham, figure tutélaire des trois monothéismes, au sein duquel la circoncision occupe une place centrale. Plus tard, cela donnera naissance à des contestations judéo-chrétiennes : est-ce qu’Abraham a parlé à Dieu avant ou après s’être circonscrit ?

  

Roland Tomb, Histoire de la circoncision. PUF, 2022.

 

 

Dans le monde antique, conformément à sa configuration gréco-romaine, ce rite (car il faut bien le considérer comme tel) a suscité, nous dit-on, bien des railleries lorsqu’un sportif judéen, nécessairement circoncis, voulait se mesurer à d’autres athlètes, notamment grecs ou romains, lors de compétitions générales. On rapporte que certains de ces sportifs tentaient de dissimuler ce signe d’appartenance à la religion juive. A l’époque d’Hadrien (IIe siècle de notre ère) dont les persécutions anti-juives ont laissé un douloureux souvenir dans l’histoire d’Israël, la législation en vigueur menaçait des pires sanctions, voire de mort ou de déportation, quiconque, chirurgien ou fidèle juif, pratiquait la circoncision ou s’adonnait à l’étude de la Torah.

 

La civilisation grecque considérait cette opération chirurgicale comme une véritable mutilation, ainsi que le rapporte Hérodote (Ve siècle avant Jésus). C’était une pratique que le monde gréco-romain a tenté d’éradiquer soit ne la punissant durement, soit en la discréditant aux plans social et politique. Un mot de la part de Tacite qui n’était pas connu pour ses sympathiques débordantes à l’égard des juifs : selon cet historien assez tendancieux, les juifs pratiquaient la circoncision pour se reconnaitre dans les thermes romains…

 

L’historien Suétone, secrétaire d’Hadrien, apporte le témoignage suivant qui illustre bien la rigueur anti-judaïque de son temps (Ier siècle) :  Au temps de Domitien, la collection de la taxe juive était particulièrement stricte… Je me souviens d’une scène de ma jeunesse, où le procureur, entouré de ses assistants, a soumis un homme de quatre-vingt-dix ans à un examen physique pour voir si’l était juif ou non.

 

Hélas, cette persévérance dans la cruauté et l’inhumanité s’est rappelée à nous dans l’Europe de la première partie du XXe siècle.

 

Ce sympathique petit ouvrage de Roland Tomb retrace les témoignages les plus anciens et on découvre grâce à ces différents rapprochements culturels ou historiques, que cette altérité juive a été l’un des marqueurs de l’opposition entre le judaïsme et le paganisme.

 

Dans le midrash, la littérature exégétique traditionnelle, on donne libre cours à son imagination qui revient à une justification du rite de la circoncision auquel le judaïsme tient plus qu’à la prunelle de ses yeux : Hadrien, le grand persécuteur d’Israël avait, lisons nous, un neveu qui voulait se convertir au judaïsme. Il s’agit évidemment d’une légende. Son oncle, l’empereur l’apprend, et le supplie de ne pas mettre sa menace à exécution et de ne pas  subir l’ablation du prépuce… Les autres rites juifs n’inquiétaient guère le pouvoir romain, mais la circoncision concentrait en elle la principale adhésion au contenu positif de la Tora : le huitième jour on procédera à l’ablation de son prépuce.

 

Et en effet, des antiquités juives à nos jours, la circoncision est le passage obligé de toute définition de la judéité : quiconque se convertit à la foi juive est tenu de se faire circoncire, non chez un simple chirurgien mais selon le rite codifié par la tradition orale, car la Bible se contente d’évoquer cette opération sans la définir plus en détail. Selon certaines attestations provenant de l’Égypte ancienne, il existe différents types de circoncision. Le péritomiste  ou circonciserur peut soit ôter la totalité du prépuce en effectuant une coupe circulaire (d’où le nom de l’opérateur), soit pratiquer une simple incise en forme de V… Mais chez les juifs, c’est la totalité de la peau qui est touchée. J’insiste sur la sacralisation de cet acte qui n’est chirurgical qu’en apparence puisque la littérature talmudique prévoit trois opérations ; ablation (mila), repli de l’épiderme (peri’a) et succion (metsitsa) de la goutte de sang. Pour bien spécifier que ce rite est intrinsèquement religieux et donc sacré, le talmud souligne ainsi : si vous procédez à l’ablation et que vous ne  repliez pas l’épiderme, la circoncision  n’est pas valide (mal we-lo para’ lo mal…)

 

Le christianisme et l’islam ont eu des attitudes différentes vis-à-vis de la circoncision. Commençons par évoquer l’antinomisme paulinien qui a tout fait pour que la circoncision ne soit plus pratiquée mais devienne un rite entièrement spiritualisé. Je ne reviens pas sur l’épisode des Galates, retombés dans «la chair», selon saint Paul, alors qu’il leur avait enseigné à dépasser le rite matériel par l’esprit. Il n’est d’ailleurs pas exagéré de penser que l’insistance mise par les docteurs des Écritures sur ce rite, s’explique par son rejet paulinien. Pour l’Apôtre des gentils, les choses étaient claires : la venue de Jésus et sa crucifixion  ont rendu obsolète toute pratique religieuse rituelle. Selon Saint Paul, le sacrifice du Christ a rendu superflue toute autre action…

 

En Islam les choses sont moins claires puisque le Coran ne contient pas de prescription claire de la circoncision et que la pratique varie selon les régions et les traditions locales. L’auteur cite une phrase qui a retenu toute mon attention car elle dit bien ce qu’elle veut dire : La circoncision est davantage une pratique des musulmans qu’une pratique de l’islam…

 

Partant, des trois monothéismes, le judaïsme rabbinique est le seul à avoir maintenu ce rite de la circoncision dans sa pratique religieuse. On verra plus tard, lors des conférences rabbiniques du XIXe siècle allemand visant à réformer la religion d’Israël que certains ont plaidé en faveur de l’abolition d’un tel rite. Mais un savant comme Léopold   Zunz, père spirituel de la science du judaïsme a parlé d’une démarche suicidaire, d’une stratégie  de l’apostasie… La circoncision s’est donc maintenue envers et contre tout, même lorsque des parents, ayant perdu leur enfant à la suite d’une infection, ont porté l’affaire devant les tribunaux… (Voir mon livre, Le judaïsme libéral, Hermann édition, 2014).

 

Ce livre a l’avantage de ne pas se limiter à ce qui touche à la circoncision stricto sensu ; il englobe aussi des considérations sur la sexualité en général, la masturbation, la jouissance féminine, etc… On ne s’en tient pas  aux simples témoignages des théologiens, d’hommes d’églises, on cite aussi des philosophes comme Voltaire ou Michel de Montaigne.

 

Chacun sait que c’est dans le monde anglo-saxon que la circoncision s’est imposée et largement répandue. L’aristocratie britannique, jusques et y compris la famille royale, pratique la circoncision à des fins hygiéniques.

 

Il est difficile de conclure sur un tel sujet qui affecte les fondements  de la vie, de l’existence et même de certaines doctrines spirituelles et religieuses. L’organe reproducteur a suscité tant de fantasmes et de traits de sagesse. Je propose de citer ici une réflexion très sage de la littérature talmudique : Ever katane hou ba-adam ; masbi’o ra’év, mar’ivo savéya’(.  Voici un tout petit membre dans le corps de l’homme. Si  on l affame il est rassasié, si on le rassasie, il a toujours faim…

 

Et voici une conclusion de l’auteur lui-même qui met l’accent sur le caractère parcellaire de toute investigation dans ce domaine :

 

Mais il convient de ne pas perdre de vue, que les altérations génitales (masculines et féminines) sont présentes depuis des millénaires chez divers peuples sans écriture, en Afrique, en Australie, en Polynésie, et probablement autrefois en Amérique du sud. C’est  pourquoi il est difficile de concevoir une histoire linéaire et universelle de la circoncision. De nombreux groupes ethniques n’ont pas d’histoire écrite maos possèdent  en revanche une éblouissante richesse de mythes et de traditions…

 

Plus optimiste et plus érotique, une citation qui brille par son romantisme :

 

 Blessed be the tie that binds our hearts in kindred love: Béni soit le lien qui unit nos cœurs dans un même amour…

 

 

Les commentaires sont fermés.