Catherine Grandjean (dir.) D’Hérodote à Aristote. 510-336 avant notre ère. La Grèce classique. Belin
Quel beau livre, quel concentré de science et de réflexion historiques. La Grèce, berceau de notre culture européenne s’est réellement épanouie dans cette tranche chronologique, si riche en événements et en innovations qui ont marqué de manière indélébile notre devenir philosophique et plus largement spirituel.
Catherine Grandjean (dir.) D’Hérodote à Aristote. 510-336 avant notre ère. La Grèce classique. Belin
Les deux noms qui marquent la tranche chronologique de ce beau livre renvoient à des Grecs célèbres : le premier a jeté avec Thucydide les fondements de l’historiographie et le second nous a donné les moyens de philosopher, de comprendre notre monde, notre temps et notre humanité. Aujourd’hui encore, nous pensons dans des catégories aristotéliciennes. Et pour reprendre un mot de Bertrand Russell, toute le pensée occidentale est une note infra-paginale renvoyant à la pensée de Platon et au néoplatonisme en général.
Dans des présentations fines st accessibles à tous, les contributeurs présentent les secteurs de cette civilisation grecque qu’ils maîtrisent le mieux. La qualité des reproductions est exceptionnelle dans cet ouvrage qui deviendra lui-même un classique pour connaître les fondements de la culture et de l’identité de l’Europe. Au soir de sa vie consacrée aux études sémitiques et juives, notamment son Histoire d’Israël, Ernest Renan nous a livré cette confidence : après les études bibliques et juives, s’il avait une seconde vie, elle serait entièrement dévouée aux études… grecques dont il chantait la beauté et la grandeur.
Pour l’esprit grec, une dichotomie entre le politique et le religieux était inconcevable, ce qui n’a pas manqué de générer une incompréhension généralisée entre la sensibilité juive monothéiste et le paganisme dont Athènes se fit la championne. La religion y est aussi omniprésente ; l’accent est mis sur le devoir, le patriotisme et le courage. On connait le serment des éphèbes et son contenu qui fait la part belle à la solidarité…
La directrice de ce volume se demande s’il faut opposer ce siècle, le IVe, au siècle de Périclès ? En fait, on sait peu de chose de ce grand homme dont on a, au fil des siècles, idéalisé la figure. On comprend, à travers ces lectures, que les longues confrontations armées ont durablement miné l’hégémonie d’Athènes et causé son déclin au profit d’autres cités grecques.
Pourquoi parler d’Hérodote comme point de départ ? Cet écrivain voyageur dont on a parlé plus haut, a été le premier à écrire les impressions que lui inspiraient les pays visités, et notamment la star des contrées lointaines et mystérieuses à la fois, l’Égypte. Un pays dont le savant grec rend compte mais dont il souligne aussi les excentricités ; notamment sur le rite de la circoncision mais aussi le métier à tisser dont les habitants du bord du Nil se servent très différemment des autres pays. Mais qu’on le veille ou pas, c’est cet homme qui se situe à l’origine de la confrérie des historiens.
Les empires sont faits pour se combattre et, pour certains d’entre eux, les vaincus, de disparaître : l’empire achéménide des Perses a causé bien des tourments aux autorités athéniennes, contraintes de sauver leur pays et leur civilisation. Déjà Hérodote avait défini le génie et le savoir-vivre de l’hellénisme brossant par contraste ce que se signifiait l’appellation de barbare. Son véritable double antithétique…
Il en est de même pour le régime politique. Tout le monde évoque la démocratie athénienne mais il faut aussi parler d’oligarchie et parfois même de tyrannie. De nombreux Grecs s’exilèrent craignant d’être victimes de la tyrannie : ils ne purent sauver leur vie qu’en fuyant leur pays. Et puis, on se souvient de la condamnation de Socrate à boire la cigüe… Le tribunal qui l’a condamné l’a fait sur la base de fausses accusations dictées par une justice politique.
La guerre du Péloponnèse (431-404), perdue par Athènes, marque le début de la fin. L’hégémonie athénienne notamment navale. N’y a pas survécu.
Pour conclure, il est difficile de rendre justement compte de la richesse d’un tel ouvrage. Je citais Ernest Renan au début de ce papier et je retrouve à la fin de ce livre son appréciation de ce qu’on nomme le miracle grec. Ce fut un alignement des planètes, le mélange harmonieux de tant de facteurs qui se sont conjoints pour faire de la Grèce le berceau de la philosophie ontologique et politique. Il suffit de feuilleter les œuvres des membres de l’idéalisme allemand pour s’en convaincre. Même un philosophe comme Heidegger dont on pourra penser ce qu’on voudra, ses relectures des textes fondateurs grecs ont irrigué la pensée contemporaine. Dans tous les pays du monde, les dialogues platoniciens sont lus, relus et sur commentés. Une telle fortune littéraire n’est comparable qu’aux textes de la Bible hébraïque et aux Évangiles. Mais ceci est une autre histoire : les penseurs grecs n’ont pas songé à imiter l’universalisme abrahamique, considérant que l’écrasante majorité de l’humanité était constituée de barbares, c’est-à-dire de non-Grecs… L’éthique eût mérité un meilleur traitement.