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  • Olivier Zunz,  Tocqueville. L’homme qui comprit la démocratie. 2022. (I)

    Olivier Zunz,  Tocqueville. L’homme qui comprit la démocratie. 2022. (I)

     

    Si, d’aventure, j’admettais la superstition en ma créance, je dirais que cet homme Alexis de Tocqueville est un miraculé, appelé à réaliser de bien grandes choses. Une fée, et pas n’importe laquelle, s’est penchée sur son berceau, mais il y a plus : ses parents échappèrent à la mort par miracle  car il n’était pas bon  naître dans une caste de grands aristocrates au début de la Terreur de la Révolution française. Des deux côtés, Alexis  avait de qui tenir.

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  • Osamu Nishitani,  L’impérialisme de la liberté. Un autre regard sur l’Amérique. Le Seuil, 2022.

    Osamu Nishitani,  L’impérialisme de la liberté. Un autre regard sur l’Amérique. Le Seuil, 2022.

     

    On peut s’étonner d’un tel titre, mais l’étonnement disparait une fois qu’on s’est plongé dans la longue introduction destinée au lecteur français. Car, comme l’indique le nom de l’auteur de cette œuvre, il est professeur japonais, spécialiste des sciences politiques et économiques. Ce livre est une déconstruction systématique, et sans concessions de l’édifice intellectuel, économique et moral de l’Amérique, un terme sur lequel l’auteur s’étend considérablement pour le démythiser, et scruter directement sa vraie nature. On l’aura compris, dans ce livre il faut d’abord se concentrer sur le sous-titre et c’est alors que l’on comprend mieux cette mise en relation de l’impérialisme avec la notion sacrée de liberté. Une liberté que l’impérialisme américain a largement instrumentalisé, selon l’auteur, afin de mieux servir ses intérêts. En gros, l’Amérique aurait sans vergogne imposé sa Weltanschauung, ses propres valeurs au reste du monde.

     

    L’auteur veut montrer comment l’Amérique a réussi à imposer ses propres valeurs, elle, qui est sortie victorieuse de deux guerres mondiales, mais a échoué tant au Vietnam (la guerre du Viêtnam) qu’en Afghanistan. Comment l’Amérique a-t-elle réussi à prendre la tête du monde libre, incarnant à elle seul ce qui était censé être bon pour toutes les nations civilisées ? Le reste est considéré comme inassimilable aux yeux des vainqueurs de cette nation triomphante. Mais petit à petit, cette autre partie du monde, le monde asiatique, les peuples qui ne se réclamaient pas du judéo-christianisme, ni de l’Occident en général, ont fini par revendiquer le droit à une certaine altérité ayant la même valeur que ce qui constituait, dès les origines, le fondement idéologique, voire éthico-religieux de l’Amérique.

     

    Ses fondateurs se réclamaient aussi d’être les dominateurs sur le monde habité, avec pour tâche incontournable pour les non-Américains ou non-Européens l’obligation de se mettre au diapason...

     

    Ce professeur japonais, issu d’une nation qui a subi les foudres atomiques de la puissance la plus forte au monde, sait assurément de quoi il parle. L’Amérique, en dépit de ses valeurs morales et spirituelles, a déclenché le feu atomique contre une nation radialement différente de la leur, mettant à mort d’un seul coup, les dizaines de milliers de morts. Elle l’a fait à deux reprises et qui sait si elle ne l’aurait pas une troisième si les japonais n’avaient pas capitulé...

     

    L’auteur japonais n’est pas, à proprement parler, violemment anti-américain mais entend simplement dévoiler les failles éthiques de ce système qui s’est exporté dans le monde entier. On parle alors de l’américanisation de la culture et de la dollarisation de l’économie. Dans ce contexte, on peut lire en fin de volume tout un chapitre consacré au néolibéralisme. J’y reviendrai.

     

    Tant de pratiques, originellement importées de l’Amérique, se sont imposées au reste du monde. Avec, souvent, des points d’appui plus que discutables. On pourrait presque dire que toutes ces allusions à la liberté ont servi de cheval de Troie à l’Amérique...

     

    Le système westphalien a bien fonctionné jusqu’à présent mais commence être sérieusement contesté. La lutte contre le terrorisme est devenue prépondérante. Mais cette guerre est menée par l’Amérique au nom du monde libre dont elle se considére le chef de file. Or, sii l’on remonte aux sources de l’existence de l’Amérique, on rencontre des Indiens qui furent anéantis pour faire place aux nouveaux venus. Les États Unis reposent donc sur une politique d’anéantissement d’un autre peuple dont on a considéré le territoire comme terra nullius, un territoire sans maître. Cela a suffi pour en justifier l’invasion et l’occupation, ce qui dans les corps législatifs de chaque pays contemporain est considéré comme des crimes.

     

    En gros, l’auteur considère que l’Amérique a toujours préféré une paix carthaginoise à un règlement juste. Dans certains développements du livre on subodore une certaine démarche antiaméricaine... Mais cela est renforcé par la puissance mondiale qu’allait acquérir cette même Amérique, au point d’imposer sa loi au reste du monde. On le voit lorsque les USA décident d’imposer des sanctions, comme actuellement contre l’Iran, d’une part, et contre la Russie, d’autre part.


    La critique est particulièrement vive lorsqu’il s’agit de contester l’adossement du mythe de la liberté à ce qui se présentait comme le Nouveau Monde par opposition à l’ancien, représenté par une Europe en guerre et intolérante que les pèrespèlerins avaient justement quittée pour ces mêmes raisons. On le voit, l’auteur prend le mal à la racine, pour ainsi dire. Au passage, il stigmatise l’expansionnisme américain qui a fini par s’étendre entre deux océans, l’Atlantique et la Pacifique...

     

    La normativité, réelle ou prétendue de cette Amérique, l’a conduite à exiger que tous ceux qui dépendaient d’elle, c’est-à-dire tout l’Occident,  l’imitent et  adoptent les mêmes valeurs qu’elles. Dans cette opération de conquête qui ne disait pas son nom, l’Amérique a mis en avant cette notion ou ce mythe de la liberté.

     

    Le nom d’Amérique lui-même recèle bien des choses complexes . L’auteur en donne une analyse détaillée mais on peut dire que l’expression «Amérique précolombienne» ne laisse pas d’intriguer car nous ignorons comment cette terre s’appelait avant d’être «découverte» par les Européens. On dispose de l’exemple de plusieurs cités qui changèrent de nom au cours de leur histoire : par exemple Constantinople qui devint Istanbul après sa conquête et son islamisation par les Ottomans... Pour l’Amérique, ce ne fut pas le cas.

     

    Quant au titre de propriété des terres conquises en Amérique, tous ces territoires étaient intégrés aux possessions des maisons royales d’Europe qui avaient stipendié ces opérations navales et tout cela passait tout aussi automatiquement sous les auspices et dans l’escarcelle de l’église catholique. Certes, il y aura la réforme luthérienne mais ce droit de la guerre, en quelque sorte, ne changea pas la situation du tout au tout. Toutefois, les victimes de persécutions religieuses en Europe s’émurent de la maltraitance des populations autochtones qu’elles défendirent devant les tribunaux. Mais cela ne pensa que d’un très petit poids en comparaison des richesses importées du Nouveau Monde...

     

    Un élément joua un rôle considérable, ce fut la liberté religieuse. Certains puritains, persécutés par l’église anglicane, comparaient leur long périple à la sortie d’Égypte, se considérant eux-mêmes comme le peuple élu d’Israël, bénéficiant de la faveur et de la protection divines. La dimension religieuse est aussi très présente dans le cas le plus célèbre, celui des Pilgrim fathers du Mayflwoer, qui avaient scellé un pacte entre eux : rester fidèles à leur mode de gouvernement, respectueux des libertés...

     

    On le voit, l’auteur revisite l’histoire de cette Amérique dont il détricote les idées les mieux enracinées dans cette mythologie qui se donne pour une histoire au sens classique du terme. Disons un mot de l’aliénation de l’homme, traité comme une machine qui offre un rendement maximal. Par exemple, un rapport entre l’input et l’output (sic) Le taylorisme et le behaviorisme ont privé le travailleur de la dignité d’homme qui lui revient de droit. Et il faut bien reconnaître qu’en payant  l’ouvrier à la pièce on contribuait à le déshumaniser, à le ramener au rang d’une machine qui ne se trompe jamais, ne s’arrête jamais sauf si on appuie sur l’interrupteur. Pour gagner un peu plus, on gère l’homme scientifiquement, comme on gère une machine. De telles fautes au plan moral ont permis le développement prodigieux de la production et plus faiblement de la consommation puisque l’on poursuivait cette aliénation de l’humain.

    Pour finir, sans trahir la pensée de l’auteur qui m’a beaucoup appris sans toutefois me convaincre de la justesse de ses vues, je cite ici un passage de sa conclusion :

     

     A l’heure où cet état semble devoir entraîner le monde dans son destin, comme une tour gigantesque recouvre ses alentours de poussière en s’effondrant, nous avons tenté de repenser ce que représentait pour le monde et pour l’histoire de l’humanité cet État ou plutôt cette notion que l’on appelle l’«Amérique».

     

    Osamu  Nishitani n’est pas un ami de l’Amérique... Et c’est son droit.

     

     

  • Osamu Nishitani, L’impérialisme de la liberté. Un autre regard sur l’Amérique. Le Seuil, 2022.

    Osamu Nishitani,  L’impérialisme de la liberté. Un autre regard sur l’Amérique. Le Seuil, 2022.