En marge du 125e anniversaire du Premier congrès sioniste de Bâle...
En marge du cent-vingt-cinquième anniversaire du premier congrès sioniste de Bâle...
Qu’est-ce que le sionisme aujourd’hui ?
Les définitions foisonnent car l’acception de ce terme est multiple et varie selon les personnes et les époques historiques. Avant de livrer quelques réflexions sur ce mouvement de libération nationale, en fait un nationalisme comme tous les autres à la même époque, il faut voir comment des personnalités célèbres, juives et non-juives, appréhendaient ce concept. Mais fondamentalement, que l’on fût pour ou contre, l’essence reste la même : favoriser par tous les moyens l’émigration des juifs de la diaspora en terre d’Israël, même si, dès le début, la légitimité de ce retour des exilés sur la terre de leurs ancêtres fut âprement contestée. Et continue de l’être.
Ce qui signifie en clair que le sionisme est inconcevable sans un rappel d’un mal congénital du nationalisme juif, l’antisémitisme. Dans ce contexte, je citerai en substance la remarque d’un grand spécialiste allemand de la Rome antique, l’allemand Théodore Mommsen qui vivait au XIXe siècle : Lorsqu’Israël fit son apparition sur la scène de l’histoire mondiale, il n’était pas seul mais était accompagné d’un frère jumeau, l’antisémitisme ! Tout est dit. Mommsen avait vu juste : avant même qu’ils se manifestent en faisant à l’humanité l’apostolat du monothéisme éthique et du messianisme, les Juifs étaient rejetés ou persécutés purement et simplement.
Au cours de ce même XIXe siècle qui vit fleurir les pogromes, quelques intellectuels juifs rédigèrent des traités censés apportés une solution à la question juive, comme on aimait à le dire en ce temps là (die Judenfrage)
On se demande comment la renaissance de cette idée, le retour des exilés sur leur terre ancestrale a pu germer non pas dans le cœur d’une juif religieux mais dans l’esprit d’un jeune journaliste parfaitement assimilé et bien intégré dans la socio-culture de son époque ; Théodore Herzl, journaliste de la Neue Freie Presse de Vienne. En effet, on l’oublie parfois mais les sionistes les plus anciens ne sont autres que les vieux prophètes hébraïques qui appelaient de leurs vœux le rétablissement de la souveraineté d’Israël sur sa terre ; le sionisme a commencé par être religieux et le couple mythique mais O combien lancinant de Sion et de Jérusalem (Tsiyyon wirushalayim) remonte au VIIIe siècle avant notre ère.
L’avantage de Herzl et de ses rares précurseurs a été de séculariser cette attente en adaptant ce souffle prophétique au paysage politique de son temps. Et tout ceci n’aurait jamais vu le jour sans l’affaire Dreyfus que Herzl a vécu à bout portant : un officier juif accusé d’espionnage alors qu’il était innocent...
Peu avant son assassinat par des membres de l’extrême droite allemande qui s’offusquaient de le voir parler au nom de l’Allemagne, Walter Rathenau, le courageux ministre des affaires étrangères de la République de Weimar, avait reçu chez lui à Berlin deux hôtes prestigieux venus lui parler du renouveau sioniste et de le gagner à leur cause : Albert Einstein et Kurt Blumenfeld, l’auteur de La question juive vécue : (Erlebte Judenfrage).
Ce fut en pure perte même si les discussions ont duré jusqu’au petit matin. Rathenau eut cette phrase détriple : le sionisme est une cause embaumé. Comprenez l’idée d’un renouveau politique juif viable est une chimère et ne ressuscitera plus jamais. Le grand homme s’est trompé puisqu’on connait la suite. En bon juif allemand, attaché à l’idée d’une symbiose judéo-allemande, Rathenau (comme Herzl dans une certaine mesure) pensait fermement que l’avenir des Juifs était en Europe et de côté ci du Rhin...
Rathenau a parlé de cause embaumée, c’est-à-dire une apparence de vie d’un mouvement politique appartenant à un passé révolu, je me souviens d’une autre définition, un peu ironique, du sionisme que nous devons à un homme d’État de sa gracieuse Majesté ; il fut ministre des affaires étrangères et ensuite Premier ministre de Grande Bretagne, Anthony Eden. Qu’est ce que le sionisme ? Réponse de Eden : un juif qui donne de l’argent à un deuxième juif pour en envoyer un troisième en Palestine...
Aux yeux d’un politicien hostile à la cause sioniste, une telle définition peut se comprendre car les idées ont toujours eu besoin d’un substrat matériel pour s’incarner et survivre. C’est le cas de la cause sioniste, même si, aujourd’hui, un sérieux travail de réjuvénation s’impose, notamment le couple suivant : Israël, État juif et démocratique...
Apôtre du monothéisme éthique et introducteur du Décalogue, le judaïsme religieux ou philosophique n’a jamais eu le moindre problème avec la démocratie ; c’est l’adjonction du qualificatif démocratique qui interroge. Depuis la création de l’État d’Israël, l’accent est mis sur la aliya, l’immigration en terre d’Israël de millions de juifs dispersés sur toute la surface du globe. Mais le vrai miracle du sionisme de nos jours, c’est d’avoir tenu ensemble des êtres venus de plus d’une centaine de pays. Alors que tout les sépare, ils font preuve d’une forte cohésion, dictée par ce sentiment d’appartenance qui a survécu à des siècles de persécution. On compte des sionistes de gauche, de droite, religieux, laïcs, etc... Tous admettent cette reconnaissance d’un passé commun et d’un avenir forgé ensemble.
Quelle est la vocation du sionisme aujourd’hui ? Il ne s’agit pas seulement de vider ce monde de tous ses juifs et de les installer en Israël, il s’agit de montrer que la spécificité de l’histoire juive commande d’unir de son mieux le caractère juif de cet État et les idéaux démocratiques. Je pense qu’il s’agit là la tension la plus forte qui pèse sur ce rapprochement. Mais l’Histoire avance par contradictions surmontées. Plus d’un siècle après son lancement par Herzl, l’idée sioniste a donné naissance à une puissance régionale qui incarne la sagesse et l’ingéniosité de tout un peuple. Dans l’attente d’une paix tant espérée.
Maurice-Ruben HAYOUN, philosophe, écrivain.
Dernier ouvrage paru, Regard de la tradition juive sur monde (Genève, Slatkine, 1020)