Erwan Chauty, Jérémie, Le Cerf, 2023
Erwan Chauty, Jérémie, Le Cerf, 2023
Voici un livre sobre et clair, qui remet un peu d’ordre dans un ouvrage attribué dans sa totalité à un prophète de l’ancien Israël, Jérémie. La vox populi a dévié les données du problème, à savoir l’âge, le caractère composite du texte, les relations de l’authentique Jérémie avec le peuple et les rois de Judée, pour ne retenir que l’idée de «jérémiade», alors que le Jérémie historique a joué un rôle crucial dans le devenir du peuple d’Israël.
Il y a dans ce livre prophétique, outre les circonstances purement historiques (la défaite militaire des rois d’Israël, les troubles sociaux, le discours défaitiste…) un aspect biographique qui nous aide à mieux cerner le personnage historique. On signale le lieu de naissance du prophète : Anatot en territoire benjaminite. Pouvons nous parler d’un livre attribué à un nom de prophète dans sa totalisé, et dans ce cas, quelle place donner à son presbytre Baruch qui dit avoir recueilli les oracles de la bouche de son maître... Et le tout dernier verset du livre, le chapitre 52, qui reprend presque mot pour mot la description de la chute de Jérusalem, telle qu’exposée à la fin du second livre des Rois...
L’auteur de ce livre paru aux éditions du Cerf, un spécialiste de la littérature biblique, appartient aussi à la Société de Jésus, ce qui se ressent un peu tout de même dans l’orientation générale du présent ouvrage. Ainsi la distribution des deux termes : le Seigneur et Dieu...
Jérémie est célèbre pour ses démêlés avec les rois de son temps, notamment Jojakim (609-598) et Sédécias (587-587), le dernier roi d’Israël. Maintes fois, il connut les geôles de ces monarques qui, parfois aussi, ne manquaient pas de le questionner pour sonder quelle pensée animait Dieu à leur égard. Mais Jérémie a tenu des propos démoralisant le peuple d’Israël et surtout les défenseurs des murailles de Jérusalem ; certes, il ne visait pas le défaitisme d’intention première mais stigmatisait le refus du peuple et de ses rois successifs d’écouter la parole de Dieu et de s’amender.
Dans son épître du libre arbitre, Moïse de Narbonne (ob. 1362) reprend des versets du prophète Jérémie pour illustrer l’existence du choix humain. En effet, le prophète stipule que si l’on fait pénitence, la défaite militaire n’est pas inéluctable et l’incendie de Jérusalem n’est pas incontournable... Il est intéressant de voir qu’un philosophe juif averroïste du XIVe siècle reprend un argumentaire du VIe siècle avant l’ère chrétienne pour prouver l’existence du libre arbitre humain...
Revenons au texte prophétique pour signaler que la version de l’antique traduction grecque, celle des LXX, présente des différences notables avec la version hébraïque qui a bénéficié de la faveur des romantiques allemands au XIXe siècle... Je ne parage pas ce point de vue. Mais je salue le fait que l’auteur qui est jésuite cite dès la première page un passage du livre d’André Néher sur Jérémie (1960), inspiré par un esprit très différent.
Comme tant de livres bibliques, la date de la rédaction définitive varie selon les sources. Par exemple, au milieu du XXe siècle, la découverte des manuscrits de la Mer morte a contraint les chercheurs à changer leurs théories puisqu’on a découvert plusieurs versions inccomplètes du livre de Jérémie, au moins deux qui sont respectivement plus longs ou moins longs que la version biblique.
Il faut aussi s’attarder in instant sur des formules hébraïques comme Le Seigneur parla à Jérémie ou La parole de Dieu survint à Jérémie... Ici, il ne faut pas exclure l’existence d’une pluralité d’auteurs ni que la rédaction définitive s’est produite sur de très longues périodes. Il faut distinguer entre toutes ces mains éditoriales anonymes, les uns ont complété le texte, les autres l’ont publié si j’ose dire, sous cette forme qui est parvenue jusqu’à nous.
Ce livre qui porte comme titre le prophète Jérémie possède quelques caractéristiques qui lui sont propres. En plus des oracles contre tant d’entités, que ce soit Israël ou Babylone, ou tant d’autres (les rois de Juda, par exemple), on y lit des passages qui dénoncent les faux-prophètes. C’est du reste l’un des rares élus de cette confrérie où l’on signale -qu’avant même sa naissance -Jérémie avait été choisi par Dieu pour devenir son porte-parole auprès des nations (navi la-goyin netatikha...).
J’ai particulièrement apprécie le petit paragraphe sur le style poétique du livre et aussi le recours aux métaphores, la plus parachevée étant celle de l’eau. Dans la Judée de l’époque, territoire semi-désertique, l’apport de l’eau est vital. Mayim zé hayim.. L’eau est synonyme de vie ; et son absence signifie une mort programmée, à plus ou moins brève échéance. Mais l’eau représente aussi la bonne parole, celle qui guérit, vivifie, l’injonction divine adressée par exemple aux monarques impies qui n’écoutent pas les remontrances des prophètes de leur époque. Jérémie use souvent de la fonction phatique du langage qui consiste à ne pas livrer d’information mais à maintenir le contact avec l’interlocuteur.
Au fond, ce prophète se mêle de politique et du système des alliances avec une étonnante lucidité, qui ne semble pas être partagée par les rois de son temps. Quand il milite pour ou contre une alliance de la petite Judée avec les grandes puissances environnantes, il fait simplement preuve d’une grande lucidité. Il analyse les situations et sait ce qui va arriver ;t Il prévoit e prédit ce qui va se produire, une faculté quasi divinatoire dont ses interlocuteurs semblent entièrement dépourvus.
On ne comprend pas l’accusation d’intelligence avec l’ennemi brandie par un officier de l’armée : tu penches vers les Chaldéens !! Alors que le prophète avait simplement été attentif au déséquilibre des forces en présence. Face l’hyperpuissance de la Babylonie, la petite Judée n’avait aucune chance. Est-ce être un traitre que de le dire haut et fort, notamment aux hommes chargés de diriger le pays ?
Somme toute, on apprendra bien des choses de ce sympathique petit livre, même s’il n’échappe pas à la grande tentation des biblistes chrétiens : un certain charme christianisant qui amoindrit hélas la portée de leurs travaux. Qui lirait un livre dont l’attitude christianisante ne fait pas de doute ? Mais bon, lisons le quand même, sans oublier cette petite restriction anodine...