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John SCheid, Les Romains et  leurs religions. La piété au quotidien. Le Cerf 2023

John SCheid, Les Romains et  leurs religions. La piété au quotidien. Le Cerf 2023

John SCheid, Les Romains et  leurs religions. La piété au quotidien. Le Cerf 2023

 

C’est à un vaste sujet, assez négligé selon lui, que s’attaque le grand spécialiste  du monde païen pour en dégager une certaine sensibilité religieuse, tant au plan de la religion officielle ou d’État qu’au plan des pratiques religieuses domestiques. Et du coup, on découvre un monde antique bien plus nuancé qu’on ne croyait. Et ce, pour des raisons historiques assez simples : les maîtres de vérité, les littérateurs chrétiens ont façonné une image qui ne correspondait pas toujours à la réalité sur le terrain. Les rédacteurs chrétiens ont censuré les sources soit quand elles leur semblaient dangereuses  ou tout  simplement inutiles. Mais on se rend compte de la présence de rites reconnus des deux côtés, donc d’une certaine similitude, même si les pensées conceptrices diffèrent largement. Voici en quels termes, l’auteur décrit son objectif :

 

Tout parait en somme se dérouler dans un contexte communautaire, y compris les comportements individuels. C’est cet aspect des cultes privés que nous essayons d’examiner dans cet ouvrage, en mesurant l’implication... des individus dans les religions collectives privées, tout en restant attentifs à  l’existence de comportements différents de ceux de la majorité des Romains....Dans cette perspective, la vie religieuse privée qui sera l’objet de notre enquête repose essentiellement sur les cultes domestiques et les cultes qui sont ceux d’associations.

 

Tout est dit . De l’aveu de son auteur, le but de ce livre est de mettre l’accent sur un aspect de la question, largement délaissé par les spécialistes, à savoir le religiosité privée, individuelle, donc domestique. Et dans quelle mesure, ce qui se passait à Rome ou à l’entour contaminait le nombre élevé de provinces dépendant de la capitale de l’empire.

 

En lisant ces pages de John Scheid, je me suis souvenu de quelques déclarations talmudiques prises au plan littéraire bien plus qu’au plan historique, vantant les bruits assourdissants  des marchés  de Rome, de la circulation des véhicules de toutes sortes,   bref du gigantisme de cette métropole où l’on trouvait de tout. Comment s’imaginer les réalités religieuses concrètement ? Il devait y avoir une diversité  de cultes, notamment dans le foyer familial.

 

L’auteur analyse aussi les difficultés inhérentes à sa recherche, les écrits littératires  qui n’ont pas la même valeur que les sources historiques quand elles n’ont pas été censurées d’une manière ou d’une autre. On ne peut pas prendre au pied de la lettre les écrits  de Cicéron ou de Varron ; pas plus qu’on ne peut se fier à des textes qu’on a fait passer sous les fourches caudines d’une critique biaisée... Enfin, il faut respecter les règles de l’anthropologie religieuse. L’auteur critique certains de ses collègues ou devanciers qui ont appliqué des méthodologies modernes à des textes antiques. Et qui ont aussi  cru percevoir une soi-disant décadence dans la vénération des divinités.

 

Peut-on parler d’une religion officielle ou d’une religion d’État, ce qui revient à peu près au même ? John Scheid va bien plus loin en s’interrogeant sur les notions de personne ou d’individu. Il n’est pas du tout certain que l’Antiquité se soit fait de ces notions les mêmes représentations que nous. L’Antiquité gréco-latine n’avait pas du tout connaissance  de la notion de Révélation, d’où ce qui nous parait à nous subsumé sous cette catégorie unificatrice n’existe pas dans cet univers mental ou conceptuel antique.

 

Une remarque sur  les rites a retenu toute mon attention : Ce ne sont pas les émotions qui provoquent les rites, mais les rites qui provoquent et suscitent les émotions. En effet, ce ritualisme a joué un rôle déterminant dans la séparation du judaïsme d’avec le christianisme, mais aussi dans le refus opposé par le paganisme au judaïsme dans son ensemble.

 

Et l’église naissante en a largement profité. Saint Paul a eu un certaine intelligence politique en jetant par-dessus bord toutes ces réglementations rituelles dont le monde antique ne comprenait pas l’utilité. Paul s’est demandé ce que pouvait devenir cette masse de dizaines de millions d’êtres humains qu’il serait judicieux de recruter au sein de l’église. On pourrait déplorer que les piliers du judaïsme rabbinique n’aient pas été mieux inspirés. Paul voulait faire du peuple et s’adapter aux réalités existantes : comment attendre des anciens païens fraîchement convertis à la religion du Christ qu’ils se plient à ces interdits et à  ces prescriptions prohibitives de toutes sortes... Le résultat de cette inaction des docteurs des Écritures est patent : l’église juive était condamnée à ne jamais quitter son statut de minoritaire dans un monde nouveau, celui du pagano-christianisme... Le judéo-christianisme hibernera pendant des siècles. Mais on peut aussi dire que ce fut le seul moyen permettant de préserver la pureté des rites authentiquement  juifs face à la déferlante païenne emportant tout sur son passage.. Ce risque que les docteurs des Écritures ont refusé de prendre, l’église, sous la poussée de Paul de Tarse, l’a pris...

 

Mais revenons aux religions des Romains, notamment au rôle joué par les individus  dans des actes religieux de nature collective. Grâce aux contrats votifs avec les divinités. On constate une pénétration d’éléments collectifs dans la piété des individus. De très nombreux exemples cités par John Scheid l’attestent. L’accueil dans les familles, par la naissance ou par d’autres liens comme la servitude ou les affranchis, les cérémonies célébrant les anniversaires, les mariages, le tout accompagné d’un rite sacrificiel...

 

Les Romains pratiquaient en majorité les commémorations annuelles en hommage à la mémoire des défunts. Mais cela n’était pas accompagné de considérations de nature métaphysique ou mystique. Il existait aussi tout un service funéraire comportant des visites sur la tombe mais aussi des repas censés revigorer aux yeux de la famille, le souvenir du disparu. On a retrouvé dans le voisinage immédiat de certains tombeaux des restes d’aliments, voire des os calcinés d’animaux sacrifiés à cette occasion. La famille, les proches et les amis du défunt pouvaient disposer d’un espace à cet effet dans l’enceinte même de la nécropole.

 

Pour finir, ce qui me frappe, c’est la similitude de ces commémorations avec  celles qui ont cours dans le services funéraires du judaïsme séfarade, donc méditerranéens...

 

Tout dans ce beau livre mériterait une discussion approfondie, mais vu la longueur de cette recension, je préfère me liter au chapitre sur les rites funéraires des Romains, tout  en restant attentif à d’autres chapitres.

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