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Marie Moutier—Bitan, Le pacte antisémite. Le début de la Shoah en Galicie orientale. Passés / Composés, 2023.

Marie Moutier—Bitan, Le pacte antisémite. Le début de la Shoah en Galicie orientale. Passés / Composés, 2023.

Marie Moutier—Bitan, Le pacte antisémite. Le début de la Shoah en Galicie orientale. Passés / Composés, 2023.

 

Sauf si ma mémoire m’abuse, je crois avoir déjà recensé ici-même un précédent ouvrage sur un sujet connexe, étudié par l’auteure. Il faut donc louer cet esprit de suite, cette persévérance et cette ardeur à pousser les investigations sur un sujet qui n’a pas de fin , l’anéantissement des communautés juives d’Europe par les Nazis et de certaines complicités qu’on a tendance à oublier ces jours derniers. En relatant leur histoire dans le respect des règles historiques, on redonne vie à ces disparus anonymes, morts en plein champ ou ailleurs sans sépulture et, dans l’indifférence générale.

 

Et justement, c’est un aspect qu’on a du mal à comprendre.., dès les premières pages, l’auteure fait l’exégèse d’une scène horrible, absolument abominable sur un cliché parvenu jusqu’à nous.  Un pauvre juif gît à terre, maintenu solidement par des adolescents et un ou deux adultes qui l’immobilisent, manifestement ravis de s’en prendre à un pauvre homme qui, la veille ou quelques jours auparavant ,vivait  encore en voisin paisible et respecté. Mais   voila, c’est l’inexplicable, l’impensable qui se déroule sous nos yeux puisque certains spectateurs regardent, le sourire aux lèvres, comme si de rien n’était.. Mais comment s’est opérée ce changement criminel où de simples citoyens ou paysans menacent l’intégrité physique, alors qu’on ne découvre dans l’assistance aucun uniforme ni de   soldat ni de policier... C’est une populace qui donne libre cours à sa haine recuite à l’égard des juifs.

 

C’est le genre de scène que l’on découvre au commencement du pogrom de Lviv en juin / juillet, ville comptant plus d’un demi-million d’habitants juifs à la mi juin 1941. Peu de jours auparavant, les Nazis ont envahi l’URSS et dès leur arrivés ils sont à pied d’œuvre avec  leurs sections spéciales C’est le triste sort dévolu à ces pauvres juifs de Galicie orientale. La chasse aux juifs est ouverte ; plus aucune loi, plus aucune règle n’existe pour les protéger. Ils sont livrés pieds et poings liés à leurs persécuteurs. On n’a pas attendu l’arrivée des troupes allemandes pour tuer. C’est dire que la populace, dans les replis   les plus intimes de son âme, nourrit une haine recuite à l’égard de ses concitoyens juifs. Normalement, cette communauté de vie, de travail et de destin aurait dû épargner des victimes innocentes, mais voila aux yeux des antisémites nazis et de leurs collaborateurs, il n’existe pas d’innocent juif...

 

Pour perpétrer une telle extermination, les Nazis ont pu compter sur l’aide de supplétifs ukrainiens, trop heureux de  faire  main basse sur les biens des juifs. On ne s’explique pas autrement l’empressement avec lequel ces populations autochtones ont secondé les Nazis. Il suffit de lire les livre (Les bagages de sable)  d’Anna Langfus  Prix Goncourt en 1962, pour s’en convaincre.

 

Partant, avant même l’invasion nazie du territoire soviétique, la haine antisémite s’est donnée libre cours.

 

Il est malaisé de recopier les différents massacres de telle ou telle autre communauté juive, je préfère donner la parole à l’auteure qui explique ses intentions dans cet ouvrage :

 

Le présent ouvrage entend explorer un instant bref, celui du basculement d’une région dans la première phase de la Shoah, en Ukraine entre le 22 juin et le 21 juillet 41, en Galicie orientale, tout en proposant un tableau de la situation de la région à la veille de l’invasion, afin de mieux saisir les tensions locales auxquelles vint se superposer la politique nazi,e l’anéantissement des juifs des territoires soviétiques.  L’objectif est d’étudier à hauteur d’homme au ars du sol, ces bouleversements locaux et meurtriers au sein de la population locale.

 

Dans des limitations géographiques en proie à de si nombreux changements, comme, par exemple, les nombreux partages de la Pologne, comment les juifs se définissaient-ils ? Et comment les définissait-on ? On ne pouvait pas les considérer comme de simples minoritaires puisque leur appartenance à un territoire ou à un pays  déterminé était sujette à caution. Il semble que la langue, le yiddish, ait joué un certain tôle et pouvait servir de lien de rattachement. L’auteure cite des questions- réponses où l’on voit nettement que les frontières géographiques n’étaient pas si déterminantes que cela puisqu’un juif natif de Pologne pouvait se retrouver ressortissant d’une autre nationalité. Cette dernière n’étant pas nécessairement correctement appréhendée. Mais dans tous les cas, la question juive restait une question sans réponse... L’auteure note que l’on désignait les juifs par un terme méprisant, voire injurieux (Yd). La plupart du temps, c’est l’élément qui était prépondérant même si, dans d’’autres cas, c’était l’allemand qui avait la préférence.

 

En déroulant l’historique de ces communautés juives pauvres et isolées, l’auteure montre qu’il y avait, à l’origine, une relative cohabitation entre membres du Shtetel et habitants des villages ukrainiens. Les gens partageaient les mêmes espoirs mais aussi et surtout les mêmes difficultés et la même misère. Mais il s’agissait avant tout d’un équilibre instable. Les antagonismes sociaux et religieux pouvaient se transformer en un rien de temps en une étincelle dévastatrice dont les juifs étaient les victimes désignées.

 

La force évocatrice des images : page 82, je n’ai pu retenir mes larmes. Un cliché très bien reproduit montre sur le devant de la scène deux petits enfants profitant d’une sorte de déjeuner sur l’herbe. A l’arrière—plan on distingue des silhouettes d’adultes qui travaillent ; probablement de ouvriers agricoles. Mais ces deux petits enfants semblent vivre dans un coin de paradis. L’aînée tend des bouchées au plus jeune. Le paradis sur terre, gan Eden alé adamot.. Et que sont devenus ces merveilleux petits enfants ? Je préfère ne pas me poser la question, me souvenant que plus d’un million d’entre eux ont péri dans les camps nazis. On se demandera toujours comment faire pour supporter de telles images. Comment des êtres de chair et de sang ont pu assassiner des enfants ? Nous n’aurons jamais la réponse car ces enfants ne seront plus là pour témoigner. Même si l’auteur a consacré l’essentiel de son bel ouvrage à des entretiens soit avec des rescapés soit avec des témoins directs de ces horreurs. Des enfants si inoffensifs et si vulnérables, à se demander où était en ce temps-là, la seule justice qui soit, la justice de Dieu !

 

Comment conclure sur un sujet  qui défie la conscience morale universelle ? Je donne la parole à l’auteure dans sa toute dernière partie que voici :

 

Si la collaboration ukrainienne fut mise en avant, notamment par la propagande allemande, il faut souligner que sur les territoires, de la Pologne à la Russie,  de l’est de l’Europe, en passant par les pays baltes et la Biélorussie, les autorités  nazies n’avaient aucun mal à trouver des collaborateurs locaux dans le cadre de l’extermination des juifs.

 

Certains rappels historiques peuvent paraitre intempestifs, ils n’en sont pas moins douloureux et inoubliables, par- delà certains accommodements dus à l’actualité...

 

 

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