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Philippe Chenaux. La fin de l’antijudaïsme chrétien. L’église catholique et les juifs de la Révolution française au concile Vatican II. Le Cerf,

Philippe Chenaux. La fin de l’antijudaïsme chrétien. L’église catholique et les juifs de la Révolution française au concile Vatican II. Le Cerf,

  

Philippe Chenaux. La fin de l’antijudaïsme chrétien. L’église catholique et les juifs de la Révolution française au concile Vatican II. Le Cerf, 2023.

 

Voici un sujet qui ne cesse de faire l’objet du dialogue judéo-chrétien et même des Amitiés judéo-chrétiennes. ll s’agit de réparer les dégâts de plus de deux millénaires de persécutions et de conflits. Les contestations judéo-chrétiennes portent sur la dévolution d’un héritage commun et en même temps très disputé. Qui a raison ? Qui a tort ? Probablement les deux partis...

 

Le contentieux historique entre le judaïsme et le catholicisme s’explique par l’animosité émise à l’encontre d’un refus obstiné d’accepter Jésus en tant que Messie attendu par les chrétiens, la mise à mort de celui-ci par les juifs et leur rejet de sa forme divino-humaine. Ce refus ne venait pas de n’importe où mais bien du groupe humain dont Jésus lui-même était issu.. C’était un caillou dans la chaussette de l’église catholique qui a théorisé cette attitude négative des juifs à l’égard de celui que la religion dominante considérait comme l’entité divine incontournable pour accéder au Père... Les juifs se rendaient coupables d’un péché impardonnable, le déicide qui ne pouvait être expié que par une conversion, soit l’abandon de l’ancienne foi. C’est la racine principale de cet antijudaïsme si fort qui a irrigué l’église catholique durant de nombreux siècles. Le Nouveau Testament (en dépit de l’inadéquation de ce vocable) ne pouvait qu’être anti judaïque en raison de ce rejet absolu de ces dogmes religieux par les juifs. Différentes attitudes furent adoptées par la haute hiérarchie  catholique en vue de traiter cette question : rejeter les juifs comme un corps étranger inassimilable, les séduire, les considérer comme les esclaves du pouvoir, les enfermer dans un ghetto comme ce fut le cas à Venise...

 

Mais l’évolution des mœurs  tant en France que dans les autres pays d’Europe ne pouvait pas ignorer constamment le sort des juifs, minorité ethnique et religieuse qui aspirait, sous certaines conditions, à se départir de son statut de paria. A l’époque de la Révolution, ces idées novatrices et réformistes finirent par s’imposer ; elles furent précédées par les efforts de Moïse Mendelssohn d’intégrer ses coreligionnaires de son mieux dans la société allemande. Mais le grand philosophe n’a pas été le père de l’assimilation mais l’idéologue de l’Émancipation. Et c’est sur ce point nodal que out s’est joué. Les juifs voulaient bien être émancipés, mais pas de leur judaïsme. Or, l’Europe n’a pas voulu entendre parler d’une émancipation du judaïsme en tant que tel, elle appelait de ses vœux l’émancipation de l’individu, qui serait alors plus apte à renoncer aux traditions religieuses ancestrales et s’assimiler au corps social. C’est toute la relation dialectique entre ces deux courantscontradictoires :l’Émancipation, d’une part, l’assimilation, de l’autre. Vu du côté des catholiques, le résultat était le même puisque le résultat ultime était la fusion avec le christianisme. C’est d’ailleurs ce qui explique la méfiance persistante du corps rabbinique européen.

 

Sous l’angle de l’histoire des idées, nul ne contestait la compatibilité de l’indenté juive avec la culture européenne, du fait même que celle-ci plongeait ses racines dans l héritage biblique. En gros, cette idéologie émancipatrice avait un visage à la Janus : face rayonnante et souriante par devant et grimaçante par derrière, quand il s’agissait des vrais objectifs poursuivis. Mais le résultat ne fut pas entièrement négatif puisque les branches du judaïsme libéral ou réformé se sont affirmées et ont pu sauver l’essentiel, tout en permettant à leur religion d’éviter le fanatisme et l’inculture. Bien plus tard, ver 1890, Hermann Cohen, le grand philosophe néo-kantien juif parlera de sa religion comme d’une religion-culture, ce qui veut dire que pas une fois le judaïsme n’a été en retard d’une modernité. Il n’a jamais raté le moindre rendez vous avec l’histoire...

 

Pourtant, les révolutions de 1848 qui ont toutes échoué, ont marqué une régression dans le statut social des juifs. Certains parlements allemands, notamment celui de Francfort sur le Main sont revenus sur les facilités attribuées aux juifs de cette région. La même chose s’observe dans le territoire national.

 

Le chapitre suivant  traite une question cruciale dans l’histoire des communautés juives, celle de la conversion au christianisme. Au cours du milieu du XIXe siècle allemand on a même parlé d’une épidémie de conversions (Taufepidemie). Et cette tendance s’est Vpoursuivie bien au-delà du XIXe siècle, notamment dans la revue Kunstwart de 1912 lorsque un jeune juif allemand du nom de Morritz Goldstein  a renversé la table en dénonçant publiquement le leurre de soi des juifs d’Allemagne...

 

La réponse à ce brûlot fut d’envisager la conversion à grande échelle. Même un grand savant comme Théodore Mommsen, vivant au XIXe siècle à Berlin, a défendu les juifs contre toutes sortes d’accusations, tout en ajoutant en guise de conclusion que si les juifs consentaient enfin à se convertir, cela faciliterait bien des choses !!

 

L’antijudaïsme, la haine religieuse émise à l’encontre des juifs vit apparaitre vers le début du XXe siècle une nouvelle forme de détestation des juifs, l’antisémitisme proprement dit. La différence entre ces deux formes de rejet relève du domaine religieux pour l’un, du domaine social, pour l’autre. Alors que le premier se nourrissait surtout d’arguments théologiques ou spirituels, le second se situait dans le corps social, hostile aux juifs et à leur intégration dans la bourgeoisie du pays. La liste serait trop longue si l’on cherchait à la dresser. Il y avait, certes, des craintes mais aussi des jalousies

 

Il est aussi question dans ce beau livre du zèle convertisseur et de l’activisme religieux  par les antisémites  italiens. De multiples cas d’enlèvements d’enfants baptisés contre la volonté de leurs parents et dont les autorités ecclésiastiques interdisaient la restitution à leurs familles. On expliquait alors qu’après s’être fait asperger des eaux du baptêmes, il était interdit de remettre ces enfants, enfin sauvés, entre les mains de cette hérésie qu’était le judaïsme...

Mais le pire était à venir avec les répercussions de l’affaire Dreyfus. Ce fut une véritable secousse tellurique puisque l’Europe entière en fut touchée et l’église dut prendre position clairement sur la question : le Saint-Siège approuvait-il ou n’approuvait-il pas la violente campagne antisémite qui atteignait des proportions insoupçonnées.

 

D’anciennes accusations que l’on croyait disparues dans les poubelles de l’histoire, refaisaient surface. On en était arrivé au point que des journalistes françaises demandaient une interview au pape en personne, afin de savoir ce qu’il pensait de l’antisémitisme !! L’affaire, dans le sujet qui nous occupe, marquait un important tournant : l’église allait-elle se nourrir de la haine religieuse de l’Antiquité et du Moyen Âge, ou allait-elle prendre ses distances ? La réponse consistait à ménager les deux partis au sein de l’église. Mais il était évident que beaucoup de travail devait être accompli : on ne se défait pas d’un mal pluriséculaire à l’aide d’un simple revers de main... Il faudra attendre le concile de Vatican II pour qu’une majorité de catholiques comprennent que l’antisémitisme n’ était pas la solution pour pacifier les relations entre la synagogue et l’ église.

 

Les grands bouleversements idéologiques de la fin du XIXe siècle et du début du XXe ont conduit  les juifs à apparaitre comme les représentants patentés du bolchevisme, mouvement politique que la Curie romaine surveillait comme le lait sur le feu Or, à tort ou à raison, les juifs étaient considérés comme les plus grands promoteurs de bolchevisme... Un autre courant de pensée ou une autre idéologie qui se développait à la même époque avait pour nom le sionisme. Les leaders de ce mouvement de libération nationale furent reçus au Vatican de manière courtoise, l’église ne souhaitant pas le retour des juifs sur la terre natale de Jésus. Théodore Herzl et Chaïm Weizmann ne reçurent qu’un soutien du bout des lèvres.

 

Il faut dire un mot d’une association intitulée Les amis d’Israël qui aurait pu changer le cours de l’histoire si elle n’avait été dissoute moins de deux ans après sa création, de février 1926 à janvier 1928. Sauf erreur d’interprétation de ma part, en fin de compte, ses membres projetaient de convertir les juifs à l’aide de moyens et de méthodes moins brusques... Mais le résultat était le même malgré des protestations d’amour pour le peuple que Dieu avait élu et  qui avait donné au monde la naissance de Jésus. L’auteur de ce livre explique que cette soutane dissolution par la haute hiérarchie catholique s’explique par une requête jugée inacceptable : supprimer la mention humiliante du vendredi saint : prions pour les juifs perfides.  Cela fut considéré comme une ligne rouge que l’association Les amis d’Israël avait franchie. D’où sa soudaine dissolution.

 

Le chapitre sur le rôle joué par l’exégèse dans toute cette affaire est à la fois concis et lumineux, mais il se cantonne à des éléments connus. L’église a commencé par adopter une attitude méfiante avant de rejoindre les autres ordres ecclésiastiques qui s’y adonnaient largement. Tout le monde connait l’École biblique de Jérusalem et le Père Joseph-Marie Lagrange dont l’article sur Abraham attendit près d’un demi-siècle avant d’être enfin publié. Je m’en suis personnellement servi pour rédiger mon livre, Abraham, un patriarche dans l’histoire. On peut aussi évoquer le livre du Père Jospeh Bonsirven, Exégèse rabbinique et exégèse paulinienne qui n’est pas vraiment un chef d’œuvre de travail philologique...

 

Mais je m’étonne toujours du silence observé autour d’une brillante réfutation de toutes ces velléités de conversion, le livre de Léo Baeck, L’Évangile en tant que document de l’histoire religieuse du judaïsme (traduction française chez Bayard en 2002, sous le titre L’Évangile, une source juive)

 

Difficile de conclure  une  si grande affaire qui dure depuis plus de deux millénaires. Commentons par féliciter l’auteur pour son érudition et son honnêteté intellectuelle, car il est difficile de jeter un regard objectif et franc sur des sujets qui font partie de la vie quotidienne : imaginez un bon paroissien qui découvre toutes ces persécutions, endurées par tout un peuple, au seul motif qu’il a refusé de suivre les directives de l’église triomphante. Ce que nous retenons de tout cela, concernant Jésus, c’est qu’une nouvelle fois le peuple d’Israël a perdu l’un des siens et pas n’importe lequel...

 

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