Jean de Marignan, Au Maroc reconnaissant. Sur les pas de Charles de Foucault explorateur. Cerf, 2023.
Jean de Marignan, Au Maroc reconnaissant. Sur les pas de Charles de Foucault explorateur. Cerf, 2023.
Il s’agit dans ce livre de reconstituer au mieux les expériences vécues par le célèbre explorateur devenu un mystique, parti à la conquête pacifique du Maroc et de l’Algérie à la fin du XIXe siècle. On revit tout cela en parcourant ce livre bien écrit et très bien documenté.
Ce qui m’a frappé dans le titre de l’ouvrage, c’est le dernier terme qui, par ses harmoniques, rappelle un aspect justement ambigu de la personnalité et de la mission secrète de Foucault, c’est le terme explorateur. Comme maintes personnes pensent que Foucault n’était pas uniquement l’explorateur philanthrope, désintéressé et mû par le service dévoué à une noble cause (mieux connaître le pays et aider sa population à se civiliser), j’ai fait le rapprochement avec les explorateurs bibliques que Moïse envoie espionner le pays de Canaan, afin de conquérir ce pays sans trop de peine et de neutraliser ses habitants qui avaient démérité aux yeux de la divinité. Les meraglim désignent dans la langue courante à la fois les authentiques explorateurs mais aussi les espions qui précédent le gros des troupes chargées de la conquête du pays. Et la fin tragique du héros n’est peut-être pas étrangère à cela. En tout état de cause, on ne peut pas écarter une approche vertueuse qui animait l’homme Charles de Foucault , gagné par ce qu’il découvrait, voyait et notait. Quelques citations de ce beau livre le prouvent : notre explorateur n’est pas insensible à ce qui l’entoure et sa nature change et se transforme. Il faut dire qu’il se dissimule sous les oripeaux d’un simple rabbin qui force la pitié et rend ce curieux attelage des plus innocents et des plus inoffensifs. Sans éveiller le moindre soupçon... Relisons une courte citation que je ne résiste pas à la tentation de reproduire ici car elle me semble bien résumer le non—dit de cette aventure :
En outre, l’aventurier s’use de mille efforts et renonciations qui lui laissent le temps de descendre dans son propre Sahara intime, celui dans lequel ne peuvent grandir que la foi et la volonté à l’intérieur de lui. C’est alors seulement qu’il pourra appréhender la grandeur du désert qui se découvre au-delà du Djebel Bani...
Vrai ou faux, notre explorateur s’inscrit dans le paysage, un peu comme le dit Renan face au désert, mais avec un tout autre esprit, qui pensait que le désert ignore la mensonge. Un peu plus loin, il cite un dicton touareg selon lequel Dieu voit le fond de son âme... Partant, le déguisement en rabbin, l’accoutrement de circonstance disparaissent car ils ne désignent pas la vérité de son âme. L’auteur donne la parole à son héros, précisant que les cinq sixièmes du Maroc sont entièrement fermés aux Chrétiens ; ils ne peuvent y entrer que par la ruse (d’où les subterfuges) et au péril de leur vie... On en a même un bon exemple le jour du chabbat lorsque l’hôtesse surprend le prétendu rabbin en train de dessiner ; la découverte de l’imposture aurait pu signer l’arrête de mort des deux hommes qui firent promettre à leurs hôtes de garder le secret sur l’affaire pendant une bonne décennie ; faute de quoi, l’équipée se terminait par un fiasco. Mais le fait de se déguiser en rabbin exposait le jeune Français à d’insupportables injures antisémites ; ne sachant pas qu’il s’agissait d’un Français comme eux, un groupe de cavaliers le traitent de singe mangeant des olives... Une telle expérience prouva à Foucault que parfois l’habit fait le moine et qu’il en avait fait les frais.
Les deux compagnons avaient vécu un scandale qui aurait pu sonner le glas de la mission de Foucault dont les juifs religieux avaient découvert l’imposture, constatant de visu qu’il n’était pas circoncis : invité à prononcer un sermon à la synagogue, il en fut incapable...
Ces divers incidents, ces déguisements et ces infidélités à la vérité sur soi et de soi n’ont pas manqué de laisser des traces dans l’âme d’un homme qui amorçait une mue profonde. Il arrive un moment où l’on ne contrôle plus grand-chose, où notre vraie nature, notre être réclament le rétablissement urgent de la vérité... Et puis la rencontre avec des manifestations d’antisémitisme, véhiculées par le déguisement interroge : un bon Français catholique est l’objet de la risée alors qu’il n’a de juif que le déguisement et qu’il va devenir par la force des choses un idéal de la religiosité chrétienne.
Je ne peux poursuivre pas à pas les différentes étapes de ce voyage qui possède aussi une dimension spirituelle ; un voyage de l’âme qui cherche à fusionner avec des idéaux d’un autre monde, la poursuite d’une félicité qui s’abreuve à d’autres sources que celles des contingences de ce bas monde dans lequel on est parfois condamné à vivre. Toutes ces réflexions ont traversé (déchiré ?) l’âme de Foucault qui vogue, sans le savoir, vers son destin.
A mon sens, c’est tout l’intérêt de ce livre, la mutation profonde d’un homme conquis par ce qu’il est censé conquérir. On pourrait presque parler d’un psychisme ascensionnel de Gaston Bachelard, si l’on veut bien me permettre ce rapprochement entre deux âmes en quête d’absolu.
Nous sommes en 1883 à peu près, Foucault doit attendre qu’un potentat local et sanguinaire donne enfin l’autorisation de traverser ses domaines où tout ce qui passe est exposé à un pillage systématique. Quand aux juifs, on les tue généralement sur place, à de rares exceptions près... Tous ces événements sont à des années-lumière du pays d’où il vient, et cela le plonge dans des gouffres de perplexité : mais comment est-ce possible, se dit-il en son for intérieur ? C’est la collision de deux mondes : l’Europe et la culture arabe... En fait, les Marocains avaient des soupçons et font durer le séjour de deux suspects pour en avoir le cœur net.
Et les juifs dans toute cette affaire ? Sans eux, sans le rabbin Mardochée, Foucault n’aurait jamais pu effectuer s mission. Presque à chaque page, le juif est mentionné et au moins une fois, tout un chapitre leur est consacré. Sans leur concours, la pacification, mot terrible qui recouvre bien des atrocités commises, n’aurait jamais eu lieu...
L’auteur reproche à Foucault d’instruire constamment à charge et d’imputer exclusivement aux juifs les malheurs qui s’abattent sur eux. Il multiplie les exemples qu’il oriente négativement pour en faire ressortir le mauvais caractère des juifs lesquels l’avaient pourtant grandement aidé pour le bon déroulement de sa mission...
Comment conclure ? Charles de Foucault, un jour, a écrit à sa sœur que lorsqu’on part accomplir une mission, on ne revient pas sans l’avoir faite. C’est un peu le résumé de cette vie qui nous demeure mystérieuse tant elle ne se laisse pas interpréter aisément. On se demande ;mais pourquoi ? Cela ressemble à une tentative de descendre au fond de soi-même, le désert comme révélateur suprême et qui vous dit la vérité sur vous-même...
J’ai aussi appris l’existence d’un proverbe arabe de la région : vous prétendez m’apprendre à moi quelque chose sur le gout des caroubes de mon pays...