Marc Fumaroli, Dans ma bibliothèque. La guerre et la paix. Gallimard, 2023.
Marc Fumaroli, Dans ma bibliothèque. La guerre et la paix. Gallimard, 2023.
Toute la France cultivée, toute la République des lettres, connait ce grand érudit que fut Marc Fumaroli, un homme qui se savait gravement malade depuis un certain temps déjà et qui nous a quittés en 2021. De tous les professeurs du Collège de France, élus par la suite à l’Académie française, il était le plus érudit. On rapporte que son collègue Jean d’Ormesson le qualifiait de lecteur magnifique. Son œuvre marquante porte sur la vie littéraire des siècles passés. La littérature classique était son domaine.
Il y a quelques années, j’eus le privilège de lui parler au téléphone ; il souhaitait m’interroger sur le rôle précis joué par Moses Mendelssohn dans le combat des juifs en faveur de l’Émancipation. La formulation, excessivement précise de sa question, le choix des termes qui ne devait rien au hasard me conduisirent à lui poser quelques autres questions afin de lui offrir une réponse valable qu’il questionna à nouveau. Derrière l’homme de lettres se trouvait un historien exigeant, soucieux d’apprendre sans chercher à briller à tout prix. Je me souviens aussi, mais c’était quelques décennies plus tôt, de ses visites régulières à la bibliothèque Nationale, rue de Richelieu, où il puisait sa science...
Le préfacier de ce livre posthume nous apprend que Fumaroli tenait beaucoup à la publication du présent ouvrage qui se caractérise, je le rappelle, par une grande diversité des thèmes envisagés. Dans le cadre d’une simple recension on se contentera d’un modeste survol ...
Le présent ouvrage reflète la même richesse mais est difficile à recenser, tant la multitude des sujets traités ou évoqués, est considérable. On commence par découvrir son intérêt pour la poésie, notamment de Paul Valéry et d’ Yves Bonnefoy. Et justement, voici une citation de l’auteur concernant son ami poète : Aujourd’hui, Yves a disparu, et j’ai pensé, avant de passer à mon tour, consacrer le temps qui me restait à regarder en face et à livre ouvert ce livre, mystère et lieu commun d’âge en âge, la guerre et la paix.
D’où le sous titre...
Un peu plus loin, c’est l’amitié du fidèle Jean Dutour qui est célébrée ici. ; l’impitoyable polémiste savait soigner ceux de ses amis qui le lui rendaient bien. Et Fumaroli était du nombre. Le préfacier cite de très nombreux auteurs qui ont échangé avec Fumaroli, sans qu’on puisse les citer tous ou simplement en partie.
Voici ce que nous pouvons lire, comme confessions concernant la République des lettres : J’ai passé ma vie, à la fois ici et ailleurs, dans les deux derniers siècles de l’Ancien Régime, et on trouvera ici les Mémoires de ce que j’ai cru comprendre et découvrir, partie pour le tout, dans ces deux siècles où la France participait, plus qu’aucune nation européenne, et dans sa propre langue, de la République des Lettres, en voie de s’agréger une République des Arts.
Ce fut ces deux derniers siècles qui suscitèrent la vocation de l’auteur qui y donna ce qu’il avait de meilleur spirituellement. Mais l’expression n’est apparue que dans la correspondance privée entre quelques érudits. Et ce n’est qu’un siècle plus tard que l’idée fut transposée dans le royaume de France, sous le règne de François Ier : on évoqua ensuite une «République sans État». Je ne cite pas tous ces érudits qui prirent leur essor après la fin des guerres de religions, à l’exemple d’Érasme et de Guillaume Budé... L’Italie était fortement représentée dans ce contexte précis. On pense aussi à l’autonomisation des clercs de la pesante tutelle de l’église catholique. Il fallut aussi attendre que le christianisme politique prenne le pas sur sa version plus dévote. Cet aspect allait connaître une magnifique diffusion grâce à l’humanisme et à la Réforme.
Fuimaroli rend aussi hommage à ses deux éditeurs et amis, Pierre Nora et Bernard de Fallois qui l’ont toujours soutenu de leurs judicieux conseils. Que dire d’autre à propos de cette somme qui aborde tant de problèmes ? Fumaroli illustre une très belle page de la littérature française et ne ‘est pas contenté de s’isoler dans une tour d’ivoire. Il a participé, voire initié de grands débats d’actualité qui ont marqué notre temps. Son œuvre d’érudit lui survivra. On peut lire toutes ces notices dans l’ordre qu’on aura choisi ; ce sera toujours très profitable et enrichissant.