Professeur Esther Starobinski-Safran, in memoriam
Professeur Esther Starobinski-Safran, in memoriam
C’est une éminente représentante de la philosophie juive et des études kabbalistiques qui vient de nous quitter.
Notre chère collègue de l’université de Genèse, le professeur Esther Starobinski-Safran, fille de l’inoubliable Grand Rabbin Alexandre Safran (ZaL) et sœur du professeur d’ophtalmologie Avinoam Safran, occupe une place de choix dans le domaine des études juives. Cultivant la discrétion et le bon usage des traditions universitaires, Esther avait de qui tenir.
Les prophètes ont parlé des fils qui succèdent à leurs p ères, on peut dans le cas présent parler des filles qui succèdent à la tradition paternelle et la développent. Tahat avotékha téchévna benotékha.. Esther avait succédé à son illustre père le Grand Rabbin Safran (ZaL) à la chaire de philosophie juive de l’université de Genève. Elle avait aussi collaboré à la publication d’ouvrages remarquables et d’une écrasante érudition sur la mystique juive. Ce qui fait d’elle et de son illustre père l’une des meilleures initiatrices des études kabbalistiques en Europe.
Femme animée des croyances religieuses, Esther pratiquait en même temps la méthode d’étude historico-critique. Elle évitait soigneusement comme son illustre père l’historicisme de la Science du judaïsme (Wissesnchaft des Judentums). Pour elle, il convenait de mettre en avant une pensée juive vivante. Et c’est autour de ce thème que nous nous sommes rejoints et j’ai pu découvrir et apprécier à sa juste valeur cette double contribution : à la pratique juive et à l’érudition, telle qu’elle se pratique à l’université de Bar-Ilan (où une chaire porte le nom du Grand Rabbin Safran) et à l’université Hébraïse de Jérusalem.
Esther connaissait aussi bien la philosophie juive médiévale judéo-arabe que le renouveau de la philosophie judéo-allemande. Sa maîtrise parfaite de la langue allemande lui permettait d’étendre ses recherches à l’ensemble de la pensée juive. Elle connaissait aussi bien Maimonide .que Hermann Cohen et Martin Buber. Sans oublier Franz Rosenzweig et son Etoile de la rédemption.
En Suisse et dans les pays francophones, sans oublier Israël, elle est connue et très respectée. Je pense, entre autres, à son bel ouvrage, Le buisson et la voix. Exégèse et pensée juives paru aux éditions Albin Michel. Elle y démontre sa profonde connaissance des enjeux au sein de la spiritualité juive. Elle considérait que la noétique maïmonidienne constitue bien une unité organique et pas une dualité, ce qui conduirait à admettre une césure au sein même de la foi d’Israël. J’ai longtemps douté de cette exégèse, mais aujourd’hui je réalise que c’était elle qui avait raison.
La même chose vaut pour la mystique juive : était-ce un fruit de l’Antiquité ou, au contraire, du Moyen Âge (le XIIIe siècle). Suivant l’exemple de son père, elle a puisé a l’arsenal de la tradition, elle a aussi tenu compte des résultats de la recherche.
Ce qui m’a dès le début, impressionné dans l’œuvre d’Esther, c’est sa prédilection pour les études ciblées et la réserve vis-à-vis des grandes synthèses. Je suis arrivé à la convaincre à donner quelques contributions à La philosophie juive (Le Cerf) où j’ai envisagé la question d’une manière plus globale.
Il faut savoir que le XIXe siècle allemand a refusé d’ingérer les études kabbalistiques au sein même de la philosophie juive. Pour les meilleurs esprits de l’époque,, comme H. Gräyz et Moritz Steinchneider, cette mystique juive signait une prétendue régression de la pensée puisque son intelligibilité paraissait défectueuse. Or, à cette époque là, les juifs luttaient fermement pour l’octroi des droits civiques et la kabbale, par son irrationalisme apparent n’envoyait pas le signal voulu ou souhaité. Les études kabbalistiques devenaient un enjeu social...
Nous n’avons pas suivi cette voie ; nous avons préféré adopter la piste tracée par Gershom Scholem tout en la modifiant chaque fois que cela nous paraissait nécessaire.
Le Grand Rabbin Safran ne se contentait pas uniquement de bien connaître la littérature kabbalistique, il la comprenait Et c’est bien cela qui est difficile...
Je dois tant de choses à cette grande figure de la philosophie juive. Sans elle, sans on appui, ainsi que celui du Grand Rabbin, je n’aurais pas passé une bonne quinzaine d’années comme professeur de philosophie juive à l’Uni de Genève
Esther nous manque déjà. Mais son œuvre lui survivra. Et elle continuera de vivre dans le cœur de ceux qui l’ont connue et aimée.
Nous partageons la peine de son cher frère le professeur AVinoam Safran, de ses chers enfants et petits enfants
Maurice-Ruben HAYOUN