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Maurice-Ruben Hayoun, rescapé du tremblement de terre d’Agadir, le 29 février 1960, raconte...

Maurice-Ruben Hayoun, rescapé du tremblement de terre d’Agadir, le 29 février 1960, raconte...

Maurice-Ruben Hayoun, rescapé du tremblement de terre d’Agadir, le 29 février 1960, raconte...

Comment nous vivons une sorte de recommencement, j’ai décidé de témoigner de ces journées atroces où la mort fauchait les humains par milliers... Au moment où je saisis la plume, on en est à près de trois mille morts et autant de blessés. J’ai longuement hésité avant  de me signaler et de dire ce que le tremblement de terre me rappelle et évoque pour moi et ma famille.

Comme  cette semaine à Marrakech  et à Agadir, un tremblement de terre a ravagé ma ville natale, faisant au moins 12000 morts. Je n’avais pas encore huit ans mais ces  faits de désolation et de destruction sont restés gravés dans ma mémoire. Les gravats de matin là, quand nous nous sommes réveillés dans une ville fantôme, nous habitions rue de la Kissariya et notre téléphone privé était le numéro 2209. Plus de rues, plus  de places, des monceaux de gravats et de terre partout,

Nous étions sept enfants accompagnés de notre mère, mon pète étant dans l’Algérie voisine, pour ses affaires. Il y avait eu des secousses telluriques  qui sonnaient comme des avertissements, des messages prémonitoires de ce qui allait arriver. Je me souviens que nous étions tous scolarisés dans les écoles primaires de l’Alliance (AIE). Nous étions en classe avec Madame Ouanounou  dont le mari était le directeur de l’école. Peu avant midi, en cette journée   fatidique, la terre avait tremblé sous mes pieds et j’ai ressenti comme le passage d’un train à grande vitesse... La maitresse nous a tous fait sortir de la classe pour nous disperser dans la cour de récréation. Aucun d’entre nous ne savait ce qu’était un tremblement de terre et je ne me souviens pas en avoir parlé avec ma mère. Mais les gens, entre eux, évoquaient une sorte d’avertissement, de mise en rage divine, ordonnant  d’adopter un monde de vie plus conforme à la vérité et au bien. On le voit, les interprétations complotistes  étaient déjà bien représentées.

Mais le pire était pour le milieu de la nuit. Je ne me souviens pas de préparatifs particuliers pour la nuit qui s’annonçait. Nous nous sommes tous couchés dans la sérénité. Mais vers le coup de minuit, un énorme bruit, un grandement digne d’un décollage d’avion secoua la terre et réveilla notre mère. Elle nous réveilla à haute voix et s’assura qu’aucun d’entre nous n’était enseveli sous les gravats ; nous habitions une véritable maison avec un étage ; il fallut donc descendre les escaliers pour quitter notre lieu. Une fois en bas, ma mère ne parvint pas à ouvrir la porte et nous retrouver à l’air libre. La porte s’était affaissé dans le sol. Le salut  vint d’un gardien qui travaillai dans la miroiterie voisine. Maman faisait du bruit et le gardien l’entendit. Un dialogue s’engagea ; ma mère demanda s’il y avait possibilité d’enfoncer la porte. Grâce à une grosse pierre que le gardien trouva  tout près, nous pûmes sortir. Un détail important ; le gardien dit à ma mère que la ville était détruite et que les gravats jonchaient toute la rue... Nous comprimes tous que notre ville n’était plus. Une fois dehors, l’air était irrespirable car la poussière avait tout envahi. Comme la rue de Kissarya était plutôt bien construite, certains immeubles étaient encore debout mais il n’y avait ni trottoirs ni chaussées. Pour parler comme le prophète Daniel, c’était l’abomination de la désolation. Mais nous n’avions pas idée du spectacle lunaire qui nous attendait sur la place des autobus  où les gens s’étaient réfugiés pour échapper à d’éventuelles répliques meurtrières. Dans notre malheur, au moins, le climat ne s’’était pas joint à l’autre grande calamité : il faussait doux et nous étions en pyjamas...

C’est alors que je vécus le spectacle le plus terrible de mon enfance : des gens, notamment des femmes d’un certain âge, perdirent la raison : déambulant à moitié nus entre les pierres et les gravats, ces femmes hurlaient en demandant de l’aide afin d’extraire leurs familles des décombres. Et ma mère connaissait certaines d’entre elles, appartenant à la petite bourgeoisie juive de la ville.

Quand j’y pense à nouveau, en fixant les écrans de télévisions aujourd’hui, je repense à ces heures sombres où la vie ne tenait qu’à un fil. Nous n‘avons subi aucune perte en vies humaines mais certains de nos cousins n’avaient pas été épargnés.  Nous ne l’avons appris que bien plus tard.   Nous avions une tante à Casablanca, une sœur de ma mère, qui possédait une grand villa boulevard d’ANfa. Dès qu’elle apprit la nouvelle du tremblement de terre, elle demanda à l’un de ses fils de la conduire sur place. Je ne sais de quel miracle cela participait mais la Providence a guidé ses pas dans ce spectacle de désolation : elle nous a  retrouvés assis par terre, comme tout le monde, à moitié nus.  Je n’oublierai jamais le son de sa voix qui évoquait le drame avec notre mère.. Quand je me suis réveillé, elle était là devant moi. Femme de tête, doté de grands moyens, elle organisa notre départ pour Casablanca et nous passâmes plusieurs mois chez elle, avant de rejoindre mon père en Algérie.

Cette dernière partie, ce happy end ne me fait pas oublier que la suite ne fut pas la même pour tout le monde. Et cela m’a appris un principe intangible, celui de la solidarité humaine. Elle set valable dans tous les cas, dans toutes les situations. C’est le sentiment qui m’anime quand j’écoute les nouvelles de ce qui est arrivé à ce Maroc bien aimé. Le peuple marocain souffre et comme le dit le Psaume 91, Dieu est avec ceux qui souffrent :immo anokhi be tsara... Dans le Talmud, Rav Hounna lui fait écho : Dieu est avec ceux qui sont accablés par la souffrance.

Philosophe de formation, je n’interprète pas ce qui est arrivé comme une manifestation particulière de la divine Providence mais comme une grâce dispensatrice de bienfaits au sommet desquels figure la vie. Mais que reposent en paix tous ceux et toutes celles dont le cours de la vie a été troublé...

 

Maurice-Ruben HAYOUN

 

 

 

 

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Commentaires

  • La sobriété du narratif de ce vécu du séisme de Agadir surtout dans sa conclusion devrait renvoyer en miroir à celui de Marrakech le silence versus la polémique diplomatique qui a fait place à cette grâce dispensatrice qu'est la vie.
    A l'instar de Aaron qui s'est tu devant la mort des ses deux fils,Nadav et Avihou, qui avaient offert des sacrifices non prescrits et consumés par ce propre feu.

  • La sobriété du narratif de ce vécu du séisme de Agadir surtout dans sa conclusion devrait renvoyer en miroir à celui de Marrakech le silence versus la polémique diplomatique qui a fait place à cette grâce dispensatrice qu'est la vie.
    A l'instar de Aaron qui s'est tu devant la mort des ses deux fils,Nadav et Avihou, qui avaient offert des sacrifices non prescrits et consumés par ce propre feu.

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