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Une  histoire juive de la France. Sous la direction de Sylvie-Anne Goldberg. Albin Michel.

Une  histoire juive de la France. Sous la direction de Sylvie-Anne Goldberg. Albin Michel.

Une  histoire juive de la France. Sous la direction de Sylvie-Anne Goldberg. Albin Michel.

 

Cette publication constitue, en soi, par elle-même,  un événement marquant. Pae son aspect monumental, le nombre de collaborateurs et de ses pages, sans même parler des très nombreuses illustrations, cette encyclopédie portative me fait l’effet d’une heureuse surprise. Certes, nous ne découvrons pas ici d’approche nouvelle ni vraiment originale, mais la somme d’événements, d’idées et d’informations  ne se trouvent réunis nulle part ailleurs. C’est dire qu’il faut accueillir cette parution comme il se doit.

 

Je voudrais revenir sur le titre lui-même, lequel tient autant qu’il a promis ; je voudrais dire ce que me rappelle l’épithète juive. Au cours du XIXe siècle, les juifs d’outre-Rhin se sont engouffrés dans l’espace culturel que la société européenne et chrétienne avait fini par leur octroyer, même si, très souvent, pour être admis  dans les grands corps de l’État, il leur fallait abjurer le judaïsme. Mais ce n’est pas sur ce fait que je mets l’accent.

 

Je souligne le fait que nombre de jeunes gens appelés à faire date dans le domaine des études juives avaient le projet d’écrire sur l’histoire des juifs. Et j’en viens à mon propos : un jour, le vieux Léopold Zunz, fondateur de la science allemande du judaïsme, avait voulu présenter le jeune Heinrich Grätz (futur père-fondateur de l’historiographie juive moderne) à un de ses éminents collègues, en ces termes : voici le jeune Docteur Grätz qui veut écrire une nouvelle histoire des juifs. L’interlocuteur fit la réponse suivante : Encore une histoire des juifs !! Et Grätz de rétorquer  : Oui, mais cette fois-ci, une histoire vraiment juive.

 

Je crois que cet échange résume tout l’enjeu. Pouvons nous parler de nous-mêmes, nous-mêmes, ou devons nous nous contenter du discours que les autres tiennent sur nous... Tout le monde sait ce que je pense et donc, connait la réponse. Les Israéliens usent d’un verbe hébraïque très particulier lorsqu’il est question d’histoire juive ; le-hitmodéd, qui signifie se mesurer à, se confronter à... Il faut comprendre que la tâche n’est pas aisée. Je dois dire que c’est ce que j’ai éprouvé en feuilletant ce gros livre de plus de mille pages. Et je sais de quoi je parle, mon QSJ ? sur L’historiographie juive le prouve. Ce n’est pas facile de rendre compte de tant de persécutions, de brimades, de rencontres manquées et de tant de malheurs, sans tomber dans une conception lacrymale de cette même histoire. Et je ne parle même pas de ceux qui disent que l’histoire juive n’est pas une histoire proprement dite mais plutôt une martyrologie. Mais est-ce la faute des juifs ?

 

Quand j’ai scruté dans ce beau livre, les belles images d’hommes politiques français actuels ou anciens, de Pierre Mendès-France à Simonne Veil,, je me suis demandé si on nous avait enfin tirés de notre injuste confinement, à la marge des sociétés européennes, refusant d’admettre en leur sein des gens qui avaient rejeté le message du Christ... Donc, l’histoire juive de la France est bienvenue, surtout s’il s’agit enfin d’être comme les autres. Un rabbin allemand du XVIIIe siècle Katznelbogen , adversaire déclaré de Jacob Emden (ob. 1776)), avait émis le vœu d’être traité comme les autres, de cesser d’être un paria : lihyot me’orav im ha biruot, nvla’ im ha biryot.

 

Mais puisque nous parlons d’hommes de lettres, d’hommes d’esprit, je pense au plus grand savant de la science allemande du judaïsme (ici page 445) , Moritz Steinschneider, l’auteur de la monumentale étude sur les Traductions hébraïques du Moyen Âge qui n’obtint le titre de professeur qu’à l’âge de quatre-vingts ans passés, et encore à titre honoraire seulement ! Pourtant, son érudition écrasante aurait dû lui valoir ce titre dès son jeune âge...

 

Donc parler d’une France juive n’est pas un réflexe d’origine ghettoïque mais une légitime revendication d’un groupe humain, fidèle ses origines et amoureux de  son lieu de naissance et de vie. L’existence juive ne sera hélas jamais entièrement normalisée car les pressions qui s’exercent sur elle sont trop fortes et souvent contradictoires. Même dans le déroulé de l’histoire juive, la plus proche de nous, on butte sur d’incontournables mesures antisémites. Je pense à une réflexion de Heinrich Heine  dont l l’humour  sordide est connu : à un correspondant qui lui demandait de l’lui expliquer l’essence de son j judaïsme, il répondit ainsi : le judaïsme n’est pas une religion, c’est une maladie.

 

Grâce à ce nouveau livre, aucun juif ne pourra plus faire une telle réponse. Mais, prétendre que tout va bien, qu’il n’y a jamais eu d’affaire Dreyfus ni de régime pétainiste qui a organisé les déportations,  c’est aller vite en  besogne . Certes, un grand nombre de juifs, nés en France mais porteurs de noms de famille à consonance étrangère, ont ressenti la nécessité de franciser leur patronyme afin de ne pas être la cible des antisémites...

 

La France a toujours été, malgré cet antisémitisme superficiel, bien vue par les juifs souffrant de terribles pogromes, notamment en Europe centrale et orientale. Certains de ces réfugiés considéraient même que ce pays vivait l’ère messianique, conformément aux annonces prophétiques. Les idéaux républicains  de liberté, d’égalité et de fraternité annonçaient une !ère nouvelle au sein de laquelle les juifs ne seraient plus des parias. D’où cette texture particulière des communautés  juives de France, issues de flux migratoires divers et variés. C’est ainsi que j’interprète l’arrivée massive de juifs résidant dans les pays germaniques, et souvent en Alsace. Toute l’érudition historique des juifs de France provient d’Allemagne, y compris le libéralisme et la réforme.

 

Aujourd’hui, c’est une autre immigration qui détermine le judaïsme français : les juifs séfarades, originaires d’Afrique du Nord. C’est à eux que nous devons le réveil d’un judaïsme hexagonal en sommeil depuis des décennies. Ce sont ces nouveaux-venus qui ont ranimé la flamme, donnant un véritable coup de fouet à une renaissance de la pratique religieuse. Les communautés ashkénazes proprement dites dont devenues une rareté dans le paysage communautaire français.

 

Rendre compte d’un tel ouvrage de manière détaillée ressemblerait à la quadrature du cercle, tant il y aurait de choses à dire. Même la division de l’ensemble de cette riche matière en tranches chronologiques ne s’éloigne pas vraiment des subdivisions classiques. En raison de mes chétifs moyens, je propose de m’en tenir à certaines grandes idées dont dépend  l’avenir de cette France juive. La première grande idée est la suivante : va-t-il compatibilité, voire affinité entre l’identité juive et la culture européenne, telle qu’incarnée par la France ?. Je crois que c’est là tout l’enjeu : dans quelle mesure restons nous juifs en s’intégrant ou en s’assimilant ? Les juifs des XVIII-XIXe siècles qui vivaient derrière les hauts murs du ghetto voyaient dans cette culture européenne le cheval de Troie du christianisme, une sorte de visage à la Janus : une face souriante mais aussi, par derrière une face grimaçante, animée d’un zèle convertisseur et d’arrière-pensées  prosélytes ... D’où cette volonté farouche de rester fidèles, coûte que coûte, à la bonne vieille tradition juive incarnée par la Bible hébraïque et les commentaires traditionnels qui l’accompagnent.

 

Mais de quelle identité juive parlons nous, précisément ? C’est que cette identité n’est pas une donnée nec varietur au cours des siècles, elle a, au contraire, évolué avec le temps, tout en restant fidèle à des  idéaux éthiques et religieux, je dis bien les deux, car dire que le judaïsme rabbinique n’est qu’un monothéisme éthique ne suffit pas.

 

Il y a aussi dans cet ouvrage quelques allusions, voire plus, aux relations avec le christianisme ; au fond, qu’en est il de la pensée juive du christianisme ? Comment les autorités religieuses juives fondent-elles leur refus de se fondre dans le creuset chrétien ? Il faut savoir que durant de longs siècles, le judaïsme assimilait la religion chrétienne à une religion idolâtre, ce qui signifie qu’elle ne respectait pas la stricte unité de l’essence divine, en raison de son trithéisme, réel ou supposé. Mais avec le temps et en raison d’une meilleure connaissance de l’autre, les philosophe juifs du Moyen Âge ont évolué et admis le christianisme dans le giron du monothéisme. Il y eut d’abord Juda Ha-Lévi dans on son Cusari qui disait que les chrétiens disent «trois» mais pensent en réalité «un»... Cette mise au point était cruciale en raison des interdits talmudiques prohibant  des relations (même simplement commerciales) avec des idolâtres. Enfin, à la fin du XIIIe siècle, dans le royaume de France, il y eut la décision d’un éminent rabbin Menahem ben Salomon ha-Méiri (1249)-1316) qui déclara enfin la religion chrétienne religion monothéiste, n’ayant aucun rapport avec l’idolâtrie. Je ne dis pas que tous étaient d’accord sur ce point, mais qu’une éminente autorité religieuse ait pris cette décision ne manquait pas de poids  (dans ce livre, page 169).

 

Assurément, toutes les contributions à ce monument n’avancent pas d’un même pas. On ne peut pas tout mettre dans un même collectif, mais certaines disparités m’ont sauté aux yeux : une bonne partie des noms des participants ne sont que peu connus ou pas connus du tout. D’autres  textes sont visiblement un simple saupoudrage, destiné à couvrir le plus d’espace possible.

 

Mais j’aime le projet et désormais est bien là, il faut donc s’en accommoder. Nombre de questions sur la place d’une véritable culture juive n’ont pas été évoquées. Par exemple, les velléités d’insérer la critique biblique dans le judaïsme français, notamment au cours du XIXe siècle n’ont jamais été effleurées. Par contre, on s’étonne de voir figurer dans ce livre des noms de moindre importance.

 

La question demeure et se posera aux prochaines générations : avons-nous fondé une culture juive de langue française ? Je rêve d’une sorte de discours programmatique  comparable à ce que Grätz avait exposé dans sa Construction de l’histoire juive, que j’avais traduit jadis pour les éditions du Cerf. Mais il faut savoir résister et attendre.

 

Souhaitons une belle diffusion à ce livre dans l’attente de rééditions revues et augmentées. Avoir réuni ou mobilisé de telles potentialités relève du tour de force.

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