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◊François Julien, Moïse ou la Chine. Quand ne se déploie pas l’idée de Dieu...

François Julien, Moïse ou la Chine. Quand ne se déploie pas l’idée de Dieu...

François Julien, Moïse ou la Chine. Quand ne se déploie pas l’idée de Dieu...

 

De prime abord, le titre de cet ouvrage parait assez insolite. Mais quand on lit la phrase qui sert de sous titre, on saisit la thèse de l’ouvrage : à quoi ressemblerait l’Occident, sa pensée, sa philosophie ou sa culture, sans la notion d’un être suprême qu’on appelle Dieu. L’auteur, sinologue connu, propose ce rapprochement  et prône l’interculturalité, une sorte de produit à cheval entre deux espaces civilisationnels si différents. Mais est il envisageable de faire tenir dans un même proposition Moïse qui a proclamé l’idée d’un être divin et une pensée, chinoise, en l’occurrence puisant ses références dans un tout autre environnement... Mais la question mérite d’être posée : l’idée de Dieu est  elle une donnée immédiate de la conscience, comme nous aurions tendance à le croire, nous qui sommes les héritiers et les produits de la culture européenne dont les fondements sont les textes sacrés, le judaïsme de la Bible et son corollaire, le christianisme des Évangiles ?

 

Ces catégories dans lesquelles nous pensons impérativement nous assignent un cadre où l’idée de Dieu, mais aussi de religion et de théologie, sans oublier même la démarche philosophie, est inévitable, incontournable ; et comment est il possible que la pensée chinoise ait pu en faire l’économie et paraître tout aussi productive et innovante que la pensée occidentale ? Une pensée occidentale sans Dieu est elle concevable ? Il a fallu attendre de longs siècles (voir infra) pour y parvenir. Mais Dieu a servi de socle indestructible à notre manière de penser. Je parle de Nietzsche mais on pourrait aussi parler de l’ouvrage de Martin Buber, Je et Tu (Berlin, 1925) où le Tu ultime, éternel, poussé dans ses derniers retranchements n’est autre que Dieu, avec son côté incommensurable.

 

Toute la culture européenne, au moins depuis le Moyen Âge, est née d’une fusion plus ou moins réussie, entre la pensée spéculative et la pensée religieuse, laquelle est entièrement imprégnée de l’idée de Dieu...

 

Dans ce petit compte rendu, je ne pourrai pas aborder l’autre terme de la comparaison puisque la chose chinoise m’est totalement inconnue, si passionnante soit-elle. En fait, l’Europe s’est longtemps cru toute seule dans le monde de la découverte, de  l’érudition.  Elle s’est forgée un monde bien à elle où prévalaient ses seules conceptions, le reste étant rejeté dans l’irrationnel, l’impensé parce qu’impensable. Avant de découvrir qu’au Moyen Âge, la ville de Canton  était ^us grande que Paris. Et surtout que deux millénaires avant notre ère, la Chine appréhendait tant de choses que nous ne connaîtrons, nous Européens que bien plus tard.

Mais pouvons nous penser à une comparaison ? Établir deux entités rigoureusement différentes me semble improbable car il y a là un problème de  conceptualisable ou non, alors que la Chine manie l’image, la métaphore, la représentation dans une altérité totale.

 

François Julien montre que l’empire, la culture de la Chine présentait des difficultés autrement plus grandes que ce que nous avons découvert dans le Nouveau monde. Une conversion généralisée, une affiliation plus ou moins forcée aux nouvelles pratiques étaient concevables en Amérique mais demeuraient impensables en Chine : ce sont les Occidentaux, y compris les missionnaires,  qui ont dû respecter cet écart entre  la culture locale et les pratiques importées par l’étranger. L’auteur souligne bien qu’il ne compare pas, mais qu’il montre ce qui sépare sans isoler une fois pour toutes.

 

Au fond, si j’ai bien compris, l’univers culturel chinois n’a pas vraiment besoin d’un Dieu tel qu’il se laisse concevoir chez nous, au point qu’il a fallu attendre le XXe siècle avec Nietzsche pour découvrir que Dieu est mort, en laissant à cette formule son sens métaphorique...

 

Si je comprends bien ce que je lis dans ce livre si intéressant, l’esprit  chinois  peut très bien se passer de Dieu alors que dans la culture européenne il conditionne tout, à la fois ici-bas et dans l’au-delà.. On doit donc prendre la Chine au sérieux et non comme un peuple qui eut tardivement accès à la culture et  aux Lumières. Ces découvertes, ces innovations dans tous les domaines, notamment des sciences humaines (que les Allemands appellent sciences de l’esprit Geisteswissenschaften) par opposition aux autres discipline pourraient elles trouver place dans l’histoire des idées du monde chinois ?

 

On est passionné par ce qu’on lit concernant, par exemple, l’essence et la fonction du mal. Dans la pensée philosophique qui est la nôtre, le mal c’est l’absence du bien. Cela m’a toujours intrigué et séduit à la fois, lorsque j’ai découvert cela chez Maimonide dans ses commentaires des aristotéliciens arabes. Un dernier mot : la séparation qu’on fait ici entre la philosophie morale et les autres branches de la philosophie a-t-elle cours dans la pensée chinoise ? Et l’eschatologie, la foi en un autre monde, une vie dans l’au-delà...

 

Nous sommes bien les tenants de deux univers qui se frôlent sans jamais se toucher vraiment.

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