ulian Jackson, Le procès Pétain. Vic
Julian Jackson, Le procès Pétain. Vichy face à ses juges. Le Seuil, 20023
De l’aveu même de l’auteur, le but de cet imposant ouvrage n’est pas de rouvrir le dossier Pétain mais d’examiner les conditions ou les moyens de mener à son terme une telle entreprise : aboutir à la culpabilité d’un homme alors qu’il était à la tête de tout un état, c’est-à-dire des millions d’hommes et de femmes. Comment départager les responsabilités ? On aurait du mal à découvrir quelque chose d’approchant chez nos voisins ou même très loin de notre continent. Apparemment, c’est une autre logique qui est à l’œuvre ici. L’auteur cite plusieurs approches menant à la culpabilité et à la condamnation de celui qui était maréchal de France : le général de Gaulle ne lui pardonne pas d’avoir signé l’armistice et de s’être couché devant l’occupant, Raymond Aron ne lui pardonne pas, entre autres, sa politique antijuive, d’autres enfin lui rempochent d’avoir bradé l’empire, livré avec toutes ses richesses à l’ennemi.
Cet homme a donné un sens nouveau au terme collaboration dont il a fait un maître mot dans sa déclaration de politique générale : en français, le terme désigne désormais des traitres, des défaitistes, des «collaborateurs», la pire des conduites. Mais existait-il une autre voie face aux puissantes armées nazies qui étaient en situation de dicter leur loi ? Ce procès était-il celui d’un homme ou d’une idéologie, voire de tout un pays ? Après tout, quand la fortune des armes a enfin souri aux Aalliés, on a constaté que les Français qui avaient applaudi Pétain, une semaine auparavant, étaient les mêmes qui acclamèrent le général de Gaulle, victorieux et auréolé de gloire..., peu de temps après. Mais quoiqu’il en soit, il fallait relever la France, permettre à cette nation de continuer à vivre, ramener au pays le million de soldats emprisonnés en Allemagne, bref reconstruire et évacuer les séquelles de cette terrible défaite... Le problème qui a joué en défaveur du maréchal déchu était d’avoir incarné cette politique de collaboration, de dire à la face du monde, qu’il l’incarnait et een assumait l’entière responsabilité. Il dira que ses ministres sont responsables devant lui, et lui seul et fera cette terrible déclaration, L’histoire le (me) jugera... Et le verdict de l’Histoire est en effet, tombé, cinq ans plus tard.
Mais ce procès était-il vraiment individuel, celui d’un homme ? Pétain n’a pas été le seul à faire fonctionner tout une machinerie d’état . Il était entouré de conseillers et d’experts. Et puis, est -ce qu’un octogénaire qui faisait une sieste d’une demie heure tous les quarts d’heure pouvait-il réellement assumer de telles fonctions ?. On ne parlait plus de la République mais de l’État français qui avait changé de devise (Travail, Famille, patrie). Certes, le verdict de ce procès atypique était connu d’avance ; un acquittement eût été inimaginable et aurait frappé de nullité le sacrifice de milliers, voire de millions de Résistants et de simples citoyens attachés à l’indépendance de leur pays...
Ce parcours judicaire n’est pas classique, on doit même en souligner le caractère exceptionnel. Les conditions du déroulement de ce procès ne sont pas en c use, la défense a pu faire valoir ses droits en interrogeant des témoins et en exigeant un certain nombre d’actes qui furent accordés par le tribunal. Enfin, le procès ne fut pas bâclé puisqu’il a duré un peu plus de deux semaines.
Il faut accorder de l’importance au sous-titre qui parle, non plus d’un homme, mais d’un régime (Vichy) appliquant une politique imposée à tout un pays, mais cela n’amoindrit pas la lourde responsabilité de Pétain et de ses ministres.
Tout au long des chapitres de son livre, l’auteur brosse le portrait du Maréchal, évoque son enfance, l’absence de son père, le remariage de celui-ci,, le manque d’affection, la relation aux femmes, son mariage tardif et s surtout les tensions au sein de l’équipe gouvernementale et, par-dessus tout, la dépendance sans cesse crue des Allemands. Après le renvoi de Laval par le Maréchal, les Allemands imposèrent son retour aux affaires... On se souvient de cette phrase de Pierre Laval, déplorant la mainmise sur les affaires de l’État du médecin personnel l, décidant qui Pétain pouvait ou ne pouvait pas recevoir : J’avais tout prévu, dit Laval, sauf qu’n médecin allait gouverner la France...
Ce maréchal Pétain qui s’est retrouvé à la tête du pays à la suite d’une défaite nationale, a aussi été victime de l’idée que l’on se faisait de lui : une sorte de héros national, un sauveur, le vainqueur de Verdun, enfin un homme providentiel capable de sauver le pays. De nombreux facteurs ont contribué à créer ce mythe politique, jusques et y compris les prouesses sexuelles imaginaires du célèbre octogénaire... Et de ses infidélités répétées.
Mais l’auteur ne ménage pas la susceptibilité du Français moyen qui n’a pas vraiment libéré Paris ou Strasbourg : le général de Gaulle est arrivé à faire croire à ses compatriotes que la France avait gagné la guerre, ce qui ressemble à un véritable tour de force. La même chose vaut pour la libération de Paris : ce sont les Allemands qui avaient eu la bonne idée d’évacuer la capitale, laissant la voie libre aux Français.
On va plus loin, encore. Tout l’appareil judicaire s’était compromis avec l’Occupant et le régime de Vichy : comment demander une épuration à des procureurs, de hauts magistrats qui avaient condamné des résistants, des juifs, des communistes, etc.. Or, il fallait bien juger Pétain et ses complices. Pour ce faire, une Haute Cour de justice fut constituée. On communiqua au principal accusé les charges retenues contre lui : atteinte à la sécurité intérieure de l’État et intelligence avec l’ennemi. Un tel acte d’accusations vous conduit tout droit devant un peloton d’exécution. Mais de Gaulle a eu l’intelligence de ne pas faire exécuter Pétain car on ne fusille pas un Maréchal de France.
Il est poignant de voir un vieil homme, soumis à des interrogatoires parfois violents, répondre vaguement à des questions précises ou dire que sa mémoire le trahit, qu’il n’a plus souvenir de tel ou tel fait. Dans ce dernier cas, Pétain obtient la permission de répondre par écrit, après avoir rassemblé ses souvenirs… La lecture de certaines pages font penser à un véritable naufrage, mais les juristes sont là pour administrer la justice et dire le droit. Les charges émotionnelles des uns et des autres n’intéressent pas la magistrature. Il faut aussi penser à celles et à ceux dont la vie a été brisée à cause de la politique de Vichy : les juifs, les communistes, les résistants et tant d’autres.
L’auteur de cette belle enquête consacre quelques brefs chapitres aux juifs dont aucun ne fut appelé à la barre pour témoigner lors du procès. Et il allègue deux citations, l’une de Robert Badinter, l’autre de Simonne Veil, d’où il appert que cela n’intéressait pas grand monde et que personne ne voulait les entendre .L’auteur ajoute très pertinemment que les juifs voulaient rester dans la discrétion et ne souhaitaient pas qu’on s’intéresse à eux dans de telles circonstances... Personne n’évoquait la Shoah. Pétain fut condamné à mort mais de Gaulle commua cette peine en emprisonnement à vie. Mais cela ne signifie pas que la France est désormais en paix avec son passé et avec elle-même.
Ce livre est une véritable mine car ses développements dépassent le cadre étroit du procès en lui-même/ Il va bien au-delà.
Julian Jackson, Le procès Pétain. Vichy face à ses juges. Le Seuil, 20023
De l’aveu même de l’auteur, le but de cet imposant ouvrage n’est pas de rouvrir le dossier Pétain mais d’examiner les conditions ou les moyens de mener à son terme une telle entreprise : aboutir à la culpabilité d’un homme alors qu’il était à la tête de tout un état, c’est-à-dire des millions d’hommes et de femmes. Comment départager les responsabilités ? On aurait du mal à découvrir quelque chose d’approchant chez nos voisins ou même très loin de notre continent. Apparemment, c’est une autre logique qui est à l’œuvre ici. L’auteur cite plusieurs approches menant à la culpabilité et à la condamnation de celui qui était maréchal de France : le général de Gaulle ne lui pardonne pas d’avoir signé l’armistice et de s’être couché devant l’occupant, Raymond Aron ne lui pardonne pas, entre autres, sa politique antijuive, d’autres enfin lui rempochent d’avoir bradé l’empire, livré avec toutes ses richesses à l’ennemi.
Cet homme a donné un sens nouveau au terme collaboration dont il a fait un maître mot dans sa déclaration de politique générale : en français, le terme désigne désormais des traitres, des défaitistes, des «collaborateurs», la pire des conduites. Mais existait-il une autre voie face aux puissantes armées nazies qui étaient en situation de dicter leur loi ? Ce procès était-il celui d’un homme ou d’une idéologie, voire de tout un pays ? Après tout, quand la fortune des armes a enfin souri aux Aalliés, on a constaté que les Français qui avaient applaudi Pétain, une semaine auparavant, étaient les mêmes qui acclamèrent le général de Gaulle, victorieux et auréolé de gloire..., peu de temps après. Mais quoiqu’il en soit, il fallait relever la France, permettre à cette nation de continuer à vivre, ramener au pays le million de soldats emprisonnés en Allemagne, bref reconstruire et évacuer les séquelles de cette terrible défaite... Le problème qui a joué en défaveur du maréchal déchu était d’avoir incarné cette politique de collaboration, de dire à la face du monde, qu’il l’incarnait et een assumait l’entière responsabilité. Il dira que ses ministres sont responsables devant lui, et lui seul et fera cette terrible déclaration, L’histoire le (me) jugera... Et le verdict de l’Histoire est en effet, tombé, cinq ans plus tard.
Mais ce procès était-il vraiment individuel, celui d’un homme ? Pétain n’a pas été le seul à faire fonctionner tout une machinerie d’état . Il était entouré de conseillers et d’experts. Et puis, est -ce qu’un octogénaire qui faisait une sieste d’une demie heure tous les quarts d’heure pouvait-il réellement assumer de telles fonctions ?. On ne parlait plus de la République mais de l’État français qui avait changé de devise (Travail, Famille, patrie). Certes, le verdict de ce procès atypique était connu d’avance ; un acquittement eût été inimaginable et aurait frappé de nullité le sacrifice de milliers, voire de millions de Résistants et de simples citoyens attachés à l’indépendance de leur pays...
Ce parcours judicaire n’est pas classique, on doit même en souligner le caractère exceptionnel. Les conditions du déroulement de ce procès ne sont pas en c use, la défense a pu faire valoir ses droits en interrogeant des témoins et en exigeant un certain nombre d’actes qui furent accordés par le tribunal. Enfin, le procès ne fut pas bâclé puisqu’il a duré un peu plus de deux semaines.
Il faut accorder de l’importance au sous-titre qui parle, non plus d’un homme, mais d’un régime (Vichy) appliquant une politique imposée à tout un pays, mais cela n’amoindrit pas la lourde responsabilité de Pétain et de ses ministres.
Tout au long des chapitres de son livre, l’auteur brosse le portrait du Maréchal, évoque son enfance, l’absence de son père, le remariage de celui-ci,, le manque d’affection, la relation aux femmes, son mariage tardif et s surtout les tensions au sein de l’équipe gouvernementale et, par-dessus tout, la dépendance sans cesse crue des Allemands. Après le renvoi de Laval par le Maréchal, les Allemands imposèrent son retour aux affaires... On se souvient de cette phrase de Pierre Laval, déplorant la mainmise sur les affaires de l’État du médecin personnel l, décidant qui Pétain pouvait ou ne pouvait pas recevoir : J’avais tout prévu, dit Laval, sauf qu’n médecin allait gouverner la France...
Ce maréchal Pétain qui s’est retrouvé à la tête du pays à la suite d’une défaite nationale, a aussi été victime de l’idée que l’on se faisait de lui : une sorte de héros national, un sauveur, le vainqueur de Verdun, enfin un homme providentiel capable de sauver le pays. De nombreux facteurs ont contribué à créer ce mythe politique, jusques et y compris les prouesses sexuelles imaginaires du célèbre octogénaire... Et de ses infidélités répétées.
Mais l’auteur ne ménage pas la susceptibilité du Français moyen qui n’a pas vraiment libéré Paris ou Strasbourg : le général de Gaulle est arrivé à faire croire à ses compatriotes que la France avait gagné la guerre, ce qui ressemble à un véritable tour de force. La même chose vaut pour la libération de Paris : ce sont les Allemands qui avaient eu la bonne idée d’évacuer la capitale, laissant la voie libre aux Français.
On va plus loin, encore. Tout l’appareil judicaire s’était compromis avec l’Occupant et le régime de Vichy : comment demander une épuration à des procureurs, de hauts magistrats qui avaient condamné des résistants, des juifs, des communistes, etc.. Or, il fallait bien juger Pétain et ses complices. Pour ce faire, une Haute Cour de justice fut constituée. On communiqua au principal accusé les charges retenues contre lui : atteinte à la sécurité intérieure de l’État et intelligence avec l’ennemi. Un tel acte d’accusations vous conduit tout droit devant un peloton d’exécution. Mais de Gaulle a eu l’intelligence de ne pas faire exécuter Pétain car on ne fusille pas un Maréchal de France.
Il est poignant de voir un vieil homme, soumis à des interrogatoires parfois violents, répondre vaguement à des questions précises ou dire que sa mémoire le trahit, qu’il n’a plus souvenir de tel ou tel fait. Dans ce dernier cas, Pétain obtient la permission de répondre par écrit, après avoir rassemblé ses souvenirs… La lecture de certaines pages font penser à un véritable naufrage, mais les juristes sont là pour administrer la justice et dire le droit. Les charges émotionnelles des uns et des autres n’intéressent pas la magistrature. Il faut aussi penser à celles et à ceux dont la vie a été brisée à cause de la politique de Vichy : les juifs, les communistes, les résistants et tant d’autres.
L’auteur de cette belle enquête consacre quelques brefs chapitres aux juifs dont aucun ne fut appelé à la barre pour témoigner lors du procès. Et il allègue deux citations, l’une de Robert Badinter, l’autre de Simonne Veil, d’où il appert que cela n’intéressait pas grand monde et que personne ne voulait les entendre .L’auteur ajoute très pertinemment que les juifs voulaient rester dans la discrétion et ne souhaitaient pas qu’on s’intéresse à eux dans de telles circonstances... Personne n’évoquait la Shoah. Pétain fut condamné à mort mais de Gaulle commua cette peine en emprisonnement à vie. Mais cela ne signifie pas que la France est désormais en paix avec son passé et avec elle-même.
Ce livre est une véritable mine car ses développements dépassent le cadre étroit du procès en lui-même/ Il va bien au-delà.