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François Dosse, La saga des intellectuels français I.   I. A l’épreuve de l’histoire 1944-1968.  II.  Tome II.  L’avenir en miettes  1968-1989.

François Dosse, La saga des intellectuels français I.   I. A l’épreuve de l’histoire 1944-1968.  II.  Tome II.  L’avenir en miettes  1968-1989.

François Dosse, La saga des intellectuels français I.   I. A l’épreuve de l’histoire 1944-1968.  II.  Tome II.  L’avenir en miettes  1968-1989.

 

Nous avons là une véritable somme sur un sujet que certains considèrent comme révélateur de l’esprit et de la tradition culturelle française. L’idée même d’intellectuel pesant sur la philosophie politique du pouvoir est presque une spécificité hexagonale. Une telle situation n’est pas reproduite dans les pays voisins où l’on ne compte pas vraiment avec une telle fonction pour celles et ceux, censés penser pour eux-mêmes et pour les autres. Cette réalité, cette exception française est peut-être  due  à la Révolution et au centralisme jacobin. La notion d’intellectuel présuppose un centre culturel puissant, apte  à nourrir les provinces moins bien dotées que le centre ou la capitale. L’Allemagne, par exemple, en vertu de son histoire politique ne connait pas ce souci prédictif puisque l’on parlait d’un émiettement en petits états (Kleinstaaterei) : Goethe, Schiller  n’avaient pas cette dénomination d’intellectuel, au sens français du terme, dans leur pays. Car le système politique n ’était pas similaire. Et puis Weimlar et Iéna ne sont pas Paris...

 

Quelle est, quelle fut la fonction de l’intellectuel en France ? Principalement prendre la parole pour éclairer (ou encombrer)  l’esprit du peuple. Par exemple l’affaire Dreyfus avec le J’accuse d’Émile Zola au XIXe siècle, ou Jean-Paul Sartre (sans oublier Simonne de Beauvoir) avec l’existentialisme. Ce célèbre couple d’intellectuels a marqué son époque d’une empreinte quasi indélébile. On peut parler du siècle de Sartre qui a épousé les grandes causes de son époque. Quant à Simone de Beauvoir, on peut dire qu’elle fut la fondatrice  du féminisme moderne. Ces écrits figurent en bonne place dans toutes les bibliothèques de femmes qui se targuent d’être cultivées... Au plan de la libéralisation des mœurs, on peut dire que cette femme-philosophe a joué un rôle de premier plan dans l’émancipation des femmes. Une anecdote historique : au cours d’une conversation avec un collaborateur de Simone de Beauvoir, François aurait dit ceci : depuis que j’ai lu le livre de votre patronne (le Deuxième sexe)e, je sais tout sur sa sexualité... C’est dire !

 

Dans la préface du premier tome de ce livre, Fr. Dosse parle de la fonction prophétique de l’intellectuel  qui voit plus vite et surtout plus loin que le petit peuple. Cela m’a fait penser aux vieux prophètes hébreux du VIIIe siècle avant l’ère chrétienne. Il suffit de relire les premiers versets du prophète Isaïe pour mesurer la violence de ses diatribes, notamment sociales. Il prédit même l’avenir, notamment la triste fin de la royauté judéenne et pour finir, l’exil de tout le peuple.  Les intellectuels incarnent cette vocation de dire l’avenir sans être une diseuse de bonne aventure. Leur observation rigoureuse des mœurs contemporaines, jusques et y compris le comportement de la famille royale régnante, jointe à l’inspiration divine, les mettaient en situation de déchiffrer les carnets de la Providence, donc de condamner les mauvaises pratiques et de prédire aux monarques indignes la fin prochaine de leur règne.

 

Ce pays, la France, a tours été féru d’histoire, accompagnée d’une profonde culture politique. D’où la grande acuité du regard de tous les observateurs. Pour leur part, les intellectuels contemporains ne disposent pas de pouvoirs aussi élargis ; mais il arrive parfois qu’ils chassent un usurpateur du pouvoir ou fassent condamner un tyrans anguinaire. Ils jouent alors un rôle de vigie, ils sont aux avant-postes... Les Lacan, les Deleuze, les Sartre, les Aron, les Lévi-Strauss et tant d’autres, sans oublier l’unique dame, Simone de Beauvoir.

 

On peut affirmer que depuis la fin de la guerre jusqu’au soulèvement de mai 68, le communisme, d’une part, et le gaullisme, d’autre part, se sont partagés le pouvoir en France. Et assez souvent, ces deux pôles extrêmes servaient de couveuse ou d’incubateurs à de futures élites qui les soutenaient de leurs idées et de leurs théories. Les joutes oratoires pouvaient être d’une grande violence, tant les deux camps étaient persuadés de posséder la Vérité. Aucune voie médiane n’était envisageable. Et les transfuges risquaient gros : il suffit de relire les attaques entre  les idéologues de  deux camps  à l’époque stalinienne pour s’en faire une idée.

 

Ce qui a favorisé le développement et l’épanouissement de la classe des intellectuels n’est autre que la réforme de l’université devenue un champ clos pour mandarins  largement opposés à l’ouverture, aux sciences humaines et à une recherche allant bien au-delà des considérations  traditionnelles. Lorsque la jeune génération prendra le pouvoir, elle accordera une grande importance aux sciences humaines, et plus singulièrement à l’histoire. Mais elle n’oubliera pas la psychanalyse, la linguistique, la philosophie, notamment allemande. Bref, la France intellectuelle changeait d’air et exploitait  des territoires nouveaux.   Mais toutes ces transformations s’effectuèrent dans un cadre politique tendu. La France affrontait les  partisans de la décolonisation et menait une guerre qui ne disait pas son nom. Il était convenu de parler des événements d’Algérie, sans préciser que tout un peuple, ou presque, se soulevait contre la métropole au nom de valeurs  fortes comme l’’autodétermination.  Comme cela allait arriver dans les universités outre-Atlantique, la guerre quittait le champ de bataille pour enavhir le cœur et l’esprit de la jeunesse américaine. Et c’est là que les intellectuels s’illustrèrent en condamnant les pratiques de certaines unités sur le champ de bataille : l’armée,  occupée sur place à défendre l’ordre établi, avait eu recours à la torture. Lorsque la chose fut portée sur la place publique, les intellectuels montèrent  au créneau et le pays se divisa  en deux : il y avait ceux qui soutenaient les partisans de la torture et ceux, plus sensibles à l’esprit et aux   valeurs de la république qui la rejetaient absolument. On peut dire que la guerre d’Algérie a vraiment scellé la victoire des  intellectuels, qu’ils fussent des partisans ou des adversaires de la politique menée par le gouvernement.

 

Ce fut un douloureux après-guerre et cela dura de nombreuses années, de 1954 à 1962, date de l’indépendance de l’ancienne colonie. Mais les intellectuels avaient encore de beaux jours devant eux : car il leur restait la confrontation avec la gauche en général et le communisme en particulier. Le mur de Berlin ne tomba qu’en 1989, presque quatre décennies après le rapatriement des Français de l’autre côté de la Méditerranée...

 

Les manœuvres de Charles de Gaulle, ayant décidé de se séparer de l’Algérie tout en affirmant le contraire, achevèrent de ruiner la confiance que la population faisait à l’homme du 18 juin. La philosophie politique avait perdu du terrain. Faire de la politique était devenu une expression désignant le mensonge et la duplicité... Les jeunes générations s’en détournaient.

 

Il ne faut pas oublier la floraison des sciences sociales, la sociologie en général, qui parachevait son indépendance par rapport à la philosophie qui lui servait de tremplin et d’observatoire. Encore un mot sur l’évolution des universités et surtout le développement exponentiel du nombre d’étudiants. Il fallut, dès lors, procéder à de grands recrutements  d’enseignants du supérieur. Cela ressemblait à une sorte de révolution culturelle à l’occidentale. N’oublions pas l’influence moins visible mais tout aussi efficace de l’anthropologie dans le sillage des travaux de Lévi-Strauss.

 

Une autre spécificité française, le développement de la presse, dune part, et des maisons d’édition, d’autre part. C’était le temps où l’on parlait ouvertement du magistère moral du journal Le Monde qui passait pour être la voix de la France. Lorsqu’on pouvait publier des tribunes dans le grand quotidien du soir, on bénéficiait alors d’un très large public... Un intellectuel qui eut son quart d’heure de gloire avait disposé ainsi les fonctions de l’intellectuel : enseigner dans le supérieur, écrire dans la presse quotidienne ou hebdomadaire, et enfin publier des livres ; avoir un trépied : l’université, la presse et l’édition...

 

Ce fut aussi l’époque au cours de laquelle on abordait de  grandes questions, publiées sous l’autorité scientifique des meilleurs spécialistes du Collège de France ; je pense aux trois volumes de La France rurale, projet auquel participa entre autres, Emmanuel  Leroy-Ladurie. Sans une médiatisation forcenée, Son  livre Montaillou, village occitan n’aurait jamais connu un tel succès. D’ailleurs, la plupart de ces professeurs ont fini par entrer à l’Académie française, ce qui confirme  l’esprit de cette époque. Jusqu’ici, les professeurs étaient des vénérables, des mandarins qui ne quittaient l’institution universitaire qu’après avoir installé leur dauphin, d’où une impression d’étouffante reproduction sociale. C’est à l’aune de ces changements qu’on peut mesurer l’évolution de la société et de la vie politique. Charles de Gaulle n’avait pas hésité à priver de sa chaire de professeur un homme comme Louis Le prince-Ringuet ,pour dissections    politiques. Aujourd’hui, ce serait inimaginable.... L’autoritarisme politique n’existe plus.

 

Comment se présente l’avenir ? Un certain pessimisme se fraie un chemin devant nous. Mais il nous  prend pour cible et non pour allié ou combattant pour les mêmes valeurs. Je parle des mouvements woke qui ne jurent que par la culpabilité de l l’homme blanc, responsable  du colonialisme et de l’esclavage. On a donc l’impression que l’Occident, au sens large du terme, a mangé son pain blanc. Le monde qui a émergé après  la Deuxième Guerre mondiale prend l’eau de toutes parts. Un nouvel ordre émerge au sein duquel le judéo-christianisme ferait figure de séquelle de l’ancien monde. Les mouvements migratoires ont contrainte les démocraties occidentales à recueillir d’innombrables embarcations se rendant en Europe comme jadis les Hébreux en route vers la Terre promise. Le problème n’est pas seulement la présence de telles populations en Europe, mais leur rejet, plus ou moins  affiché, de leurs valeurs (statut de la femme, tolérance religieuse, humanisme de la tradition européenne) : l’Europe n’est pas seulement un continent, c’est tout d’abord une culture nimbée de judéo-christianisme. Or, la grande majorité des migrants sont des adeptes d’une autre religion...

 

On doit aussi tenir compte d’un déplacement du centre de gravité vers le sud-est asiatique qui sera, selon les prévisions et les statistiques, le nouveau cœur battant du monde. C’était prévisible depuis un certain temps déjà, mais aujourd’hui, cette situation est indéniable : La Chine affiche clairement ses ambitions et fait peser un danger croissant sur Taïwan... Et n’oublions pas la Russie de V. Poutine qui s’est donné pour objectif de reconstituer autour d’elle l’ancien lacis de l’a défunte URSS. Et les USA sont dirigés par un vieillard cacochyme .

 

Au Proche Orient, la situation n’est guère plus rassurante. Le 7 octobre 2023, , un samedi noir pour Israël, plusieurs milliers d’assaillants palestiniens téléguidés par le Hamas ont violé la frontière, exécuté plusieurs centaines de soldats et de civiles israéliens. Le grand état-major n’a rien vu venir, ce qui a porté un coup terrible à la capacité de dissuasion de Tsahal. Ce jour là, le mythe de l’invincibilité de l’armée juive a volé en éclats. Coupable négligence ou mutation obligatoire, dictée par l’évolution des armées arabes ? Par ailleurs, le danger incarné par l’Iran des mollahs est devenu la menace la plus grande pour la survie de l’État hébreu.

 

O dispose de peu de raisons de se réjouir, même si Israël en a vu d’autres. Et a fini par en sortir vainqueur.

 

 

 

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