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Guillaume Le Blanc, Oser pleurer. Albin Michel, 2024.

Guillaume Le Blanc, Oser pleurer. Albin Michel, 2024.

Guillaume Le Blanc, Oser pleurer. Albin Michel, 2024.

 

Avant de prendre ce livre en main, j’ignorais qu’il existait une philosophie, une dialectique des larmes et des pleurs Voire une métaphysique. J’ignorais cette diélectrique de la présence au-delà de l’absence, cet échange assez mystérieux  entre deux perceptions assez éloignées l’une de l’autre. Toute disparition est-elle nécessairement une perte ? Comment s’ordonne le fait de pleurer, et le fait de verser des larmes ? C’est tout cela que l’auteur développe sur des pages et des pages, montrant avec une certaine virtuosité, que ce domaine doit être pris en considération par la philosophie.

 

J’ai été particulièrement sensible au commentaire accompagnant la séquence suivante : ma mère est morte... Qu’est ce qui a disparu, la mère en tant que telle ou e lien de possession qui m’unissait à elle ? Es- elle morte, au sens de disparue physiquement, ou bien dois je vivre cette séparation comme une disparition et non comme une perte ?

 

Pleurer est le propre de l’homme, écrit l’auteur en pastichant une phrase célèbre. Les larmes qui coulent soudainement sur nos joues peuvent le faire aussi spontanément. On rappelle que César, ayant franchi le Rubicon, parle devant ses soldats... On sait aussi , par contraste, que les garçons, les hommes, ne pleurent pas, on laisse aux femmes un tel privilège, sans être sûr qu’il en soit un... Ce sont nos meurs sociales qui en ont décidé ainsi car on peut pleurer de joie ou d’émotion.

 

Quelle soit de nature médicale, professionnelle ou amoureuse, une rupture provoque des pleurs ; tant la personne qui l’a décidée que celle qui l’a subi se trouve confrontée à une perte d’une partie de soi. Son identité est entamée, d’où son désarroi.  La conception que l’on se faisait de soi ne va plus car on est ou on se trouve amputé d’une partie de soi-même : d’où les larmes et les pleurs...

 

Le mal fait pleurer, qu’il soit purement physique, moral ou même métaphysique. Et les larmes que ce mal nous arrache signent aussi notre fragilité. Celui qui ne pleure jamais, ne ressent jamais rien, passe pour que quelqu’un qui n’a pas de cœur. Le mal sert parfois à découvrir à quel type d’homme nous avons affaire.

 

Ce livre contient aussi quelques néologismes comme la «nolonté» qui reste une volonté mais négative, paralysante et le terme impouvoir qui s’ordonne lui aussi dans le même registre négatif. Car ne pas vouloir demeure toujours un acte volitif bien que négatif. On peut aussi parler d’aboulie... Mais même si les larmes, les pleurs expriment l’impuissance face à une situation triste, elles n’en sont pas moins la manifestation d’une certaine forme de puissance et de pouvoir. C’est encore ce qui me reste de liberté dans les moments les plus durs ou les plus cruels. J’ai au moins la capacité de laisser couler mes larmes. Cela, rien ne peut m’en priver. Je reconnais que cette dialectique est très subtile mais elle se laisse défendre.

 

Il en va de même pour le couple vulnérabilité / fragilité. Les deux notions sont très proches tout en étant distinctes l’une de l’autre.  La première suggère que la blessure peut intervenir à tout instant de la vie alors que l’autre décrit un état, une façon d’être, une probabilité inhérente à l’être en question.

 

Le chapitre sur Bergson est très suggestif ; serait-il possible que l’auteur de cette petite phrase célèbre (le rire, du mécanique plaqué sur le vivant), fût aussi sessile aux pleurs ? Il est vrai que la langue française, et probablement d’autres langues, placent le rire aux côtés des  larmes : e.g.  je suis mort de e riree ou je ris aux larmes... Comme si les deux sensations étaient  situées très   l’une de l’autre.  Elles ne sont pas étrangères l’une à l’autre, et nullement exclusive l’une de l’autre. .

 

Finissons par des références à la religion ou à la Bible.

 

Je cite d’abord les Psaumes selon lesquels Ceux qui serment dans les larmes récolteront dans l’allégresse.... Dans le Talmud on peut lire le passage suivant : Dieu compte les larmes des femmes ; ce qui veut dire qu’il réclamera des comptes à ceux qui les font couler. C’est aussi une manière de prendre la défense des femmes faibles dans leur confrontation avec plus forts qu’elles..

 

Un autre passage talmudique évoque le courroux divin contre le peuple d’Israël. Les fautes sont si graves que Dieu a décidé de verrouiller  hermétiquement les cieux afin qu’aucune prière d’intercession ou de miséricorde ne puisse parvenir à Dieu. Toutes les portes du ciel sont fermées, une seule porte, un seul canal est resté ouvert, c’est celui des larmes : shaaré dim’a lo nin »alou. Ce qui signifie que le pouvoir intercesseur des larmes est absolument inégalé. Ni le carême, ni les oraisons, ni les prières pénitentielles, ni aucun autre acte de contrition n’y fait. Seules les larmes, symboles de l’authentique repentir, portent remède à la situation...

 

Puissance inégalée des larmes.

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