Jean-Jacques Goldman et sa chanson, J’irai au bout de mes rêves
Jean-Jacques Goldman et sa chanson, J’irai au bout de mes rêves...
Pour mon frère Salomon H.
à l’occasion de son anniversaire
Les déjeuners d’anniversaire ont du bon. On y retrouve des convives charmants et on en découvre bien d’autres qui gagnent à être connus. Ainsi est née la volonté de complaire à la demande d’une dame, membre d’un cénacle de captateurs et de cantatrices.
On m’a alors demandé ce que je pensais d’une très belle chanson du chanteur-compositeur Jean-Jacques Goldman, Au bout de mes rêves... Certaines harmoniques de cette chanson, si belle et si riche, ont aussitôt fait vibrer en moi une lointaine nostalgie, que je suppose avoir aussi fait vibrer l’âme du chanteur que je tiens à féliciter pour son immense talent de chanteur-compositeur.
Freud a écrit un épais traité sur la relation entre l’inconscient et les mots d’esprit ; je vous propose, en termes nettement plus humbles et plus modestes, des rapprochements entre les paroles d’une chanson et le rêve messianique (inconscient ?) d’un chanteur-compositeur comme Jean Jacques Goldman. On peut composer, chanter une chanson et parfois c’est la chanson qui chante en nous... Au Bout De Mes Rêves.
Cette transition, ce passage touche toutes les branches des sciences humaines, à preuve cette déclaration d’Ernest Renan qui dit, l’esprit a son propre agenda. Comprenez que nous ne maitrisons pas ce qu’on croit dicter ou chanter. La chanson de Jean-Jacques Goldman chante en nous. C’est presque une Révélation car le verbe humain est incomparablement moins expressif que la Parole, le Nom ; il en il est question à la fin de la chanson.
Certes, il faut une certaine dose de virtuosité exégétique pour mettre les choses cachées en évidence et une parfaite maîtrise de l’histoire artistique, intellectuelle et morale. Par contre, il ne s’agit pas de solliciter un texte, un folklore, une tradition qui existe par elle-même. Cependant, les paroles de cette magnifique chanson résonnent en écho dans l’âme de celles et de ceux qui savent lire... composer et chanter. Peut-être aussi réfléchir...
La délivrance, l’affranchissement des lois d’airain de ce bas monde, le temps qui nous est compté, les dangers ambiants, tout ce qui se ligue pour condamner à l’échec ce projet de renaissance. On a l’impression que notre artiste est en sursis, il dit que le temps lui est compté, mais il dit aussi la puissance des forces de l’esprit qui triomphent de tout. Quand je lis ce texte, quand j’étends cette chanson magnifique je me souviens de ce que disait Gershom Scholem, le fondateur des études sur la kabbale ; il parlait d’une vie en sursis (ein Leben im Ausfschub). Ce qui signifie que les juifs sont condamnés à repousser les choses à plus tard, sans jamais en être vraiment surs, cette procrastination éternelle régit l’historiographie du peuple juif. Comme a -t-il fait pour s’en sortir ? Par la prière et par une foi inébranlable en le miracle :
Il faut briser les murs en soufflant dans des trompettes
Ou à force de murmures...
L’allusion à la ville biblique de Jéricho et les murmures renvoient aux prières muettes qu’un peuple malheureux et persécuté, n’a cessé d’adresser au Dieu en lequel il a toujours cru. C’est un rêve de ce peuple qui n’a pas baissé les bras. Il a préservé l’indéfectible volonté de réaliser son rêve que tout semblait condamner. Il ira TOUT au bout de ses rêves. Il ne fléchira pas, même si tout semble condamner ses projets de renaissance... Même la saine raison semble annoncer le contraire. Après tout, le messianisme n’est rien d’autre que le rêve éveillé du peuple juif.
Et je rappelle que c’est le refrain qui revient inlassablement. On dépasse ici le cadre de la simple chanson pour rejoindre les harmoniques du Psaume, adresse religieuse que l’homme, dans sa vulnérabilité, dirige vers son Créateur. Le Psalmiste, on l’oublie souvent, est l’homme le plus religieux, le plus croyant que la terre ait jamais porté.
Pour finir, car il le faut bien, Je pense que l’âme du chanteur-poète, chanteur-compositeur, s’exprime le mieux, avec le plus d’ardeur que partout ailleurs, dans ces quelques lignes :
Tout au bout de mes rêves
Et même s’ ;il faut partir
Changer de terre ou de trace
S’il faut chercher dans l’exil
L’empreinte de mon espace
Et même si les tempêtes
Les dieux mauvais, les courants
Nous feront courber la tête
Plier genoux sous le vent
;j’irai au bout de mes rêves
L’exil, e mot-clé, le mot-valise, le maître-mot, l’exil, un terme qui résume à lui seul le vécu de tout un peuple, un peuple-monde qui est bloqué au creux des océans, contraint à un mauvais détour. Un tel groupe humain n’a pas d’histoire mais bien une martyrologie ... Qu’on se le dise !
Et ces réprouvés, ces laissés-pour-compte, testent au plus profond d’eux-mêmes la force de nos amours. Il gardera la blessure, celle de l’alliance, elle sera consubstantielle à son essence. S’il l’abandonnait, il se trahirait. Il parle même d’une blessure. Je garderai la blessure, c’est un serment, c’est une alliance contractée depuis les origines entre ce peuple doté pour le rêve, seule façon d’échapper au désespoir du réel.. Aussi difficile à interpréter que les textes de Franz Kafka qui luttent contre l’absurdité du monde et de l’existence.. Comme disait Emmanuel Levinas, cette Terre promise mais qui n’est toujours pas permise...
Après les rêves, l’exil, la fidélité à l’héritage, le Nom de Celui qui régit tout. Un nom invocable mais qui demeure imprononçable pour les plus fidèles de ses adeptes. .L e Nom, le seul qui soit. Et que le chanteur promet de suivre tout au bout de ses rêves.
Au fond de moi, tout au fond
Mais au-dessus, je te jure
que j’effacerai ton nom, oh-oh
j’irai au bout de mes rêves
Tout au bout de mes rêves