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Salomon Maimon et le hassidisme

Salomon Maimon et le hassidisme

       Salomon Maimon (1742-1800) et le hassidisme

 

                                                  Par Maurice-Ruben HAYOUN

 

On sait h que S. Maïmon s’était, à un certain moment de son évolution, passionné pour la kabbale qu’il a repensée par la suite en termes rationalistes, avant d’opter pour l’étude des sciences « sans voile fabuleux et dans leur naturel éclat ». Entre-temps, il y eut l’appartenance, éphémère mais réelle, au mouvement hassidique sur lequel l’auteur a fourni de nombreux détails historiques reconnus comme tels par des savants aussi éminents que Grätz et Dubnow. C’est aux réflexions que ce mouvement spirituel a inspiré à S. Maïmon que nos développements à venir seront consacrés.

Profondément intéressé par les courants spirituels qui enrichissaient le judaïsme de son temps, S. Maïmon ne pouvait que se sentir attiré par le mouvement hassidique. Mais nous n’étonnerons certainement pas nos lecteurs en notant d’emblée qu’ici, comme ailleurs, l’enthousiasme du néophyte se muera, avec le temps, en critique sévère d’un observateur qui se voudrait impartial.

Au début, la secte des dévots a bénéficié d’un incontestable préjugé favorable aux yeux de l’auteur. De plus, les nouveaux hassidim constituaient un indéniable progrès par rapport aux anciens hassidim rhénans et S. Maïmon enregistre ce fait avec satisfaction. « Leur enseignement était le suivant : la piété authentique ne commandait nullement de mortifier son corps, de tels actes ne pouvaient qu’affaiblir les facultés de l’âme et porter préjudice à la sérénité nécessaire pour l’amour et la connaissance de Dieu. Selon eux, il fallait au contraire goûter à tous les plaisirs sensibles dans la mesure où cela contribuait à l’épanouissement de la sensibilité, car Dieu avait tout créé pour sa propre gloire. À les suivre, le véritable culte de Dieu consistait à placer toutes ses forces au service de celui-ci et à devenir un véritable néant face à lui… Alors que les anciens hassidim vivaient retirés du monde et mortifiaient leur corps, les nouveaux croyaient agir en conformité avec la règle divine en développant leurs capacités autant que faire se pouvait et en accroissant sans cesse leur aire d’influence. 

Tout en déplorant le fait que les tenants de la nouvelle secte se soient laissés guider par des idées obscures et non par un savoir authentique, S. Maïmon reconnaît, cependant, que leurs concepts de la religion et de la morale étaient plus justes que ceux de leurs prédécesseurs. À la question de savoir comment S. Maïmon a été séduit par la secte des hassidim, l’auteur nous donne lui-même la réponse : Tout juif polonais est généralement destiné à embrasser la carrière rabbinique, nous explique-t-il et, comme la nouvelle secte était censée faciliter l’accès à la félicité en ce qu’elle tenait pour pernicieux les jeûnes, les veilles et l’étude du Talmud et les traitait comme des obstacles sur la voie de la piété authentique, il était normal que les adeptes fussent légion. En adhérant lui aussi à cette secte et en se rendant à Mesritz chez Dov Bär, S. Maïmon croyait pouvoir enfin trouver le judaïsme de ses vœux, celui qui permet de penser le vrai et de pratiquer le bien. Renseigné par un nouvel adhérent de la secte sur son mode d’interprétation des Écritures, S. Maïmon se déclara « ravi par l’élévation de ces pensées et l’excellence de cette exégèse. » « Mon imagination se trouva enflammée par de tels récits au point que je ne songeais plus qu’à une chose : devenir membre de la secte. Je pris la décision de me rendre à Mesritz où se trouvait le Grand Maître Dov Bär. »

L’entrevue publique que l’auteur devait avoir avec le successeur du besht n’allait pas tarder à envoûter l’assemblée des convives réunis autour de la table du chabbat. S. Maïmon note que Dov Bär parvint à bâtir une homélie remarquable en brodant sur les versets bibliques les plus disparates récités par l’assistance.

Toutefois Salomon Maïmon n’allait pas tarder à comprendre qu’il avait été victime d’une mystification : « Hormis les exégèses citées plus haut, les chefs de la secte n’avaient rien d’autre à proposer. Leurs prétendus miracles pouvaient s’expliquer rationnellement dans une certaine mesure. Ils faisaient croire aux âmes simples qu’ils avaient des dons prophétiques alors qu’en réalité ils savaient leur soutirer leurs secrets les plus intimes en scrutant attentivement leurs visages et en les interrogeant judicieusement ; par ailleurs, leur sens de la psychologie était complété utilement par les rapports de leurs correspondants et de leurs espions. »

Il n’y avait pas que cela. S. Maïmon s’accommodait mal des gesticulations, des cris, et des bizarreries qui émaillaient les offices religieux de la secte. L’esprit primitif de ses adhérents lui devint insupportable le jour où un homme fut fouetté sur l’ordre de Dov Bär parce que sa femme avait donné naissance… à une fille. Écœuré, l’auteur quitte les lieux sur-le-champ en se jurant de rompre tous liens avec la secte.

Le témoignage de S. Maïmon sur la secte des hassidim est-il fiable ? Il faut répondre à la question par l’affirmative puisque tant Grätz que Dubnow ont abondamment utilisé ce chapitre de l’Autobiographie dans leurs développements sur le hassidisme. Certes, S. Maïmon nous dit quelques mots sur l’organisation interne de la secte, mais il en limite lui-même sévèrement la portée puisqu’il reconnaît n’être jamais parvenu à une position dominante dans la secte et que son analyse repose plus sur des déductions que sur des faits réels vécus. L’auteur effleure ensuite les violentes oppositions entre la secte des hassidim et les mitnagedim conduits par le Gaon Elia de Vilna. Maïmon confirme les attitudes provocantes des membres de la secte : « Désireux de se faire passer pour des cyniques authentiques, certains d’entre eux péchaient contre les règles de la bienséance, couraient en tout sens dans leur plus simple appareil et satisfaisaient leurs besoins naturels en public… Du fait de leur comportement intempestif… leurs sermons étaient émaillés d’allusions insensées, incompréhensibles et désordonnées… Il y eut aussi l’orgueil et le mépris dont ils faisaient montre à l’égard de ceux qui ne faisaient pas partie de la secte… Les gens se mirent à dénoncer leurs faiblesses, à perturber leurs réunions et à les persécuter partout où ils se trouvaient.

Qu’a donc retenu S. Maïmon de son bref mais mémorable passage chez les hassidim ? Principalement qu’il ne parviendrait pas à étancher sa soif de connaissances ni à parfaire sa propre nature auprès d’eux. Il leur reproche assez durement leur prétendue auto-négation face à Dieu dont ils se voulaient les instruments dociles, n’hésitant pas à lui imputer leurs pires lubies. Pour S. Maïmon toutes ces erreurs s’expliquent par le fait que les maîtres de la secte tournaient le dos à la raison et à la vertu authentique. Ce passage dans une secte explique probablement que S. Maïmon ait jugé bon de consacrer tout un chapitre aux mystères en général et aux mystères religieux en particulier. C’est ce chapitre que nous analyserons brièvement dans les pages qui suivent.

 

 

Nous ne nous y attarderons guère, car ce chapitre est en fait un appendice des deux autres qui traitaient de la religion juive et de la secte des hassidim. S. Maïmon explique que le judaïsme, contrairement au paganisme a su, d’emblée, subordonner une foule de causes secondaires ou intermédiaires à une cause primordiale unique. Il n’a pas cherché à habiller le savoir et la connaissance d’un voile mythique qu’une exégèse allégorique aurait ensuite eu pour tâche d’extraire. Au contraire, il a dépeuplé la nature de toutes les fausses divinités qui l’habitaient. Ce sont des rapports mal compris de cause à effet qui ont permis la naissance et le développement du paganisme : « Pour sa part, le judaïsme s’est dès l’origine, constamment orienté vers un système et a toujours su que les causes naturelles formaient un tout : ceci lui conféra une unité pure et formelle à la fois… Toutefois, les Israélites semblent avoir totalement perdu de vue cette diversité en raison de leur attachement exagéré au système et du fait de leur crainte de voir leur système perdre de sa pureté. Le résultat fut qu’ils obtinrent, certes, une religion qui était pure, mais ô combien infructueuse tant pour ce qui est de l’élargissement des connaissances que pour la vie pratique… Au lieu d’assembler connaissances religieuses et connaissances rationnelles et de subordonner les premières aux secondes… le religieux prit le pas sur le naturel, dépouillant ainsi le peuple de toute utilité. » Par mystère religieux S. Maïmon entend des actions ou des objets adaptés à certains concepts dont le sens profond est très important mais dont la forme extérieure peut revêtir un aspect vulgaire, voire même répugnant. Commentant la signification du Nom mirifique de Dieu, S. Maïmon nous donne là encore, une interprétation rationaliste qui n’est pas sans rappeler l’enseignement du Guide des égarés de Moïse Maïmonide : « Le plus grand des mystères de la religion juive tient au nom de Jehowah qui connote l’idée d’existence simple, distincte de tous les autres types d’existence, lesquels sont impensables sans lui. La doctrine de l’unité de Dieu est la dépendance de tous les êtres par rapport à lui, tant en puissance qu’en acte… » Immédiatement après cela, S. Maïmon fait état d’un passage tiré du Contra Apionem de Flavius Josèphe où celui-ci met en évidence l’aspect primordial de l’unité divine dans la religion juive. Selon moi, commente l’auteur, ceci signifie que la religion juive place l’unité divine au fondement de l’existence de tout être. Mais en règle générale, la conception maïmonienne du judaïsme écarte les mystères proprement dits, ceux du christianisme par exemple, et préfère parler d’un dévoilement graduel de la vérité que la seule élite est à même de comprendre. Ce trait est lui aussi maïmonidien encore que Maïmon tente parfois de prêter à l’auteur du Guide des idées qui seraient à leur place chez les partisans de l’Aufklärung.

 

L’autobiographie de Salomon Maimon a été traduite de l’allemand en Fran çais par Maurice-Ruben HAYOUN et reprise par les éditions Univers pche.

 

 

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