Oliver Zunz, Tocqueville. L’homme qui comprit la démocratie. Fayard
Oliver Zunz, Tocqueville. L’homme qui comprit la démocratie. Fayard
Un aristocrate tombé amoureux des idéaux de la démocratie, à rebours du milieu qui l’a produit. Un homme, né en 1805 et dont la quasi-totalité des membres de la famille ont été guillotinés sous la Terreur, et qui comptait parmi ses aïeux nul moindre que le fameux Malherbes, victime lui aussi de la haine des révolutionnaires. A l’âge de 25 ans, ce jeune prodige décide de se rendre en Amérique où il se fera l’observateur attentif de la vie politique. Il a d’ailleurs légué à la postérité ses sagaces réflexions, résumées dans un maître livre, De la démocratie en Amérique.
On n’attendre pas d’un simple compte rendu nécessairement succinct un exposé récapitulatif du contenu d’un ouvrage qui continuera d’être abondamment cité. A l’origine de ses idées politiques, on découvre les relations dialectiques entre les notions de liberté, d’égalité et de démocratie. Mais notre homme ne s’est pas limité à des réflexions abstraites ; il a cherché aussi à comprendre la nature politique de ses congénères. A côté de son œuvre théorique, il faut aussi un homme politique engagé puisqu’il devint ministre français des affaires étrangères. Mais il semble avoir manqué de jugement et suivi aveuglément les mœurs de son temps en soutenant la colonisation de l’Algérie... A ce moment là, la colonisation était pratiquée par toutes les grades puissances européennes. Nous avons affaire à un historien et à homme politique, pas à un prophète...
Certains spécialistes dont je ne suis pas, ont cru déceler dans ses écrits quelques contradictions portant sur sa réelle appréciation de la démocratie. Mais cette biographie prend largement la défense de ce brillant sujet. En onze chapitres, Oliver Zunz expose tout ce qu’on sait sur ce personnage, si fréquemment cité.
Nos lecteurs connaissent, grosso modo, les grands traits de cette vie qui n’a pas duré si longtemps, puisque l’auteur est mort à cinquante et un ans. Il serait donc inutile de revenir sur des choses bien connues. Je propose de me limiter à des réflexions sur le débat intérieur que ce grand intellectuel, engagé dans les affaires de ce bas monde, a dû vivre pour concilier l’élévation des idées et les préoccupations matérielles.
Tocqueville a été confronté à de telles préoccupations, notamment celle qui fut la plus lancinante : et si la démocratie, cette aventure à laquelle il avait consacré toute sa vie, se concluait par un échec... N’oublions pas que la vie de cet homme avait été précédée par un bain de sang de sa propre famille lors de la Terreur. Les tragédies publiques n’avaient pas de secret pour lui, il les avait ressenties dans sa chair et dans son sang.
Et quand on parle de l’Amérique, on pense aussitôt à la guerre de Sécession ainsi i qu’à ses dizaines de milliers de morts. Ce qui signifie que l’Union était menacée dans son existence même. Et avec elle l’incertitude quant à l’image de l’Amérique. Est-il nécessaire d’évoquer cette épineuse question de l’esclavage qui n’a pas épargné Tocqueville lui-même ? C’est le meilleur exemple des difficultés de l’engagement d’un intellectuel dans les affaires compliquées de ce bas monde. Même si l’auteur comptait des amis dans les deux camps, cela ne suffisait pas pour le tirer de cette mauvaise passe, sans dommage ni heurt. On peut se demander c e qu’eut été lé vie d’un tel homme s’il avait bénéficié d’une prolongation de son existence. Mais il s’est trouvé un nombre appréciable d’autorisés morales ou littéraires pour lui rendre justice, et notamment une personnalité comme Sainte-Beuve, ce qui n’est pas rien.