Matthieu Arnold, Albert Schweitzer, Fayyad, 2024.
Matthieu Arnold, Albert Schweitzer, Fayyad, 2024.
Voici une véritable somme sur la personnalité et les œuvres de ce grand Alsacien né en 1875, Prix Nobel à 53 ans, devenu célèbre dans le monde entier , en raison de son dévouement humanitaire aux pauvres et aux laissés pour compte de la terre. Il mourut en 1965, la même année que Martin Buber. C’était l’époque où l’on devenait pasteur de père en fils en Alsace, une région attachée à une certaine culture éthique et religieuse... Cet aspect est indissociable de la personnalité d’Albert Schweitzer qui développa, dès son plus jeune âge, une incontestable sensibilité à la souffrance, à la fois humaine et animale. Il se confie sur la peine qu’il éprouva durant plusieurs jours après avoir assisté au mauvais traitement infligé à un vieux Chaval que l’on concluait à l’abattoir... Et même lorsqu’il constatait que ses petits camarades à l’école, issus de milieux miséreux, ne possédaient pas de chaussures ni de manteau, il se refusait d’accepter ce qui lui paraissait être un privilège immérité et presque illégitime. Ces faits font penser à de simples détails ou à des anecdotes, pourtant ils n’en constituent pas moins des indices constitutifs d’un caractère altruiste qui ira en se renforçant.
A huit ans, le petit Albert demande à son père un exemplaire du Nouveau Testament dont il va analyser les nombreuses narrations. Questionnant leur vraisemblance, il n’hésite pas à dire ses doutes lorsque les réponses à ses interrogations le liassent sur sa faim. Ce penchant pour la foi et la chose religieuse en général ne le quittera jamais, tout au contraire il ira en se renforçant au point de se faire lui-même pasteur. Les familles protestantes et en général, les milieux culturels de la Reforme se sont toujours distingués par une grande ouverture d’esprit et un amour de la vérité, notamment religieuse. La parole de Dieu a toujours eu une tonalité particulière pour cette Alsace où la tradition pastorale imprégnait la vie sociale. La pratique religieuse était dénuée de tout faux semblant et contribuait dans le cas précis de Schweitzer à réparer les injustices sociales.
Issus d’un milieu très modeste, le futur théologien faisait des économies sur tout afin d’aider ses parents à nourrir une famille nombreuse. Je suis admiratif de ces dames alsaciennes qui se disaient «fille, femme, sœur, épouse de pasteur».. A cette époque là, l’Alsace était partie intégrante du Reich allemand, ce qui poussait les habitants restés sur place à vivre à cheval sur deux cultures, allemande et française. Tel fut le cas de cet emblématique Alsacien qui a œuvré sa vie durant pour le dialogue des cultures et la tolérance religieuse.
Un homme qui avait plusieurs cordes à son arc mais dont la fonction principale a toujours été de relayer la parole divine : il vivait pleinement ses convictions religieuses tout en se gardant de tomber dans les travers de l’exégèse ou de céder au prosélytisme... Maintes familles juives vivant dans l’Europe occidentale au cours du XIXe siècle considéraient qu’il était moins grave de se convertir à la religion réformée qu’au catholicisme, inspirant à tort ou à raison, un aspect dogmatique peu attirant.. Et l’Alsace n’a pas été épargnée par ce phénomène... Le mieux était encore de rester sagement chez soi dans l’tente de jours meilleurs. Mais cet aspect des choses n’a pas concerné Schweitzer, il a été plutôt touché par une citrique politique de son activité humanitaire. S Schweitzer a épousé une femme juive convertie, de quarante ans sa cadette.
L’auteur de ce beau livre consacre d’ailleurs les premières pages de son épilogue à une présentation globale des activités humanitaires de ce grand docteur. Le secours apporté aux Africains n’était pas du goût de tous et certaines voix discordantes n’ont pas manqué de se faire entendre à l’heure du bilan. C’est-à-dire à la mort de Schweitzer.
Mais cet homme voyait les choses en grand, ce qui suscita des jalousies dans certains mielleux universitaires habitués au repli sur soi. Quand vous vous intéressez à la fois à la vie de Jésus et au philosophe Kant, (La religion dans strictes limites de la raison )vous n’est pas vraiment certain d’un accueil objectif. Et il n’ y avait pas que cela. On lui reprochait aussi le mélange des genres. Si vous ajoutez à cette critique de l’action humanitaire au profit des africains vous obtenez un mélange détonnant. On lui reprochait aussi une certaine forme de paternalisme . J.e rappelle que Schweitzer préparait une thèse d’habilitation en théologie dont quelques générations d’étudiants ont fait leur profit... Mais il restait l’opposition entre le Jésus de l’histoire et le Jésus de la tradition.
Une partie des activités humanitaires de Schweitzer peuvent être rangées dans la catégorie politique ; et c’est de là qu’est venu tout le mal. L’activité de notre homme en Afrique (l’hôpital de Lambaréné au Gabon), pouvait en gêner quelques uns. C’est ce qu’on pressent en passant en revue les messages de condoléances quand la mort du docteur fut connue. Certaines absences, certaines froideurs étonnent, et cela est justement dû à des divergences d’intérêts....
Nous avons affaire à un homme qui ne sépare pas hermétiquement la spéculation de l’action. Forcément, cela ne plaisait pas à tout le monde. Je rappelle que les premières velléités de la décolonisation n’en étaient qu’à leurs débuts. Une nouvelle fois, l’idéologie campait su les devants de la scène
L’étendue de ce compte-rendu est déjà importante et il faut dire un mot de la réception de ses études bibliques, d’aucuns allant jusqu’à lui reprocher d’aller à l’encontre des enseignements du magistère.
Difficile de conclure sans risquer d’être injuste ou complaisant ; seuls ceux qui ne font rien ne se trompent jamais.
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