Le Déluge et la prière
En écoutant égrener la liste interminable des villes et villages sinistrés de notre pays, en raison des intempéries, je me suis souvenu que le premier désastre dont l’humanité, dans son ensemble, eut à souffrir ne fut autre qu’un gigantesque dégât des eaux, le Déluge. On trouve ce mythe dans la littérature babylonienne ancienne d’où il s’est très probablement frayé un chemin dans la Bible hébraïque où il se métamorphosa en un passionnant récit, centré autour d’un personnage mythique, le fameux Noé, connu, en réalité, pour sa découverte du vin…
Donc, la crainte de l’eau, l’horreur éprouvée devant la montée des eaux, remonte (sans jeu de mots) à des périodes très anciennes. L’homme, qu’il ait vécu sur le littoral ou à l’intérieur des terre,s a toujours eu peur d’être englouti dans les profondeurs marines. La rivière, traditionnellement calme, qui quitte son lit, le petit ruisseau qui se transforme en un torrent impétueux emportant tout sur son passage, hommes, arbres et maisons, ce déchaînement de l’élément marin est profondément enfoui dans la mémoire collective de l’humanité. Au fond, la Bible s’est contentée de s’en faire l’écho.
Quand on voit qu’un pays aussi fort que la France, aussi évolué et aussi avancé dans tous les domaines, peine à juguler cette catastrophe, on se rend bien compte que la nature est la plus forte : comment agir sur la décrue pour l’accélérer ? Il faut laisser Dame nature s’autoréguler, elle prend son temps pour que le niveau des fleuves et des rivières baisse et pour que les rues de nos villes et de nos villages reprennent leur physionomie habituelle.
Un détail contemporain : quand on habite un nouvel appartement, la première police d’assurance qu’on est tenu de contracter est celle qui prémunit contre le dégât des eaux.
L’homme se révèle donc impuissant dans sa tentative de dicter sa loi à la Nature. C’est alors que je me sui souvenu d’une liturgie qui se récite au moment où l’on passe de l’été à l’hiver, et de l’hiver à l’été. Puisque, comme chacun sait, en Orient, deux grandes saisons dominent, l’hiver et l’été, le printemps et l’automne étant considérés comme des moments transitoires…
Le premier jour de la fête de Pâque marque le passage de l’hiver à l’été. La formule liturgique change donc. Pour l’hiver, la prière demande que souffle le vent et que tombe la pluie ; tandis que pour l’été la formule devient : Dieu qui fait tomber la rosée afin que la nature retrouve son éclat, étale sa joie des couleurs et stimule l’agriculture pour les récoltes. Faute de quoi l’humanité serait menacée de famine.
Mais il y a plus. Le jour du Nouvel An, la liturgie est nettement plus longue et plus fournie. Je ne vais pas la traduire ici mais simplement en résumer les grandes lignes : on prie pour que les pluies tombent au moment voulu, que leur volume soit approprié et constitue une bénédiction. La liturgie juive est probablement la seule qui accorde une telle attention à la pluviométrie. Il faut dire que les civilisations du Proche Orient, généralement éprouvées par de terribles sécheresses, considéraient ces dernières comme une véritable punition divine. Il suffit de jeter un rapide coup d’œil sur la littérature prophétique pour s’en convaincre…
Mais les recettes d’il y a deux millénaires peuvent elles aujourd’hui encore avoir une efficace ? Pour les gens qui y croient, oui, certainement, même si je recommande de placer aussi son espoir dans de robustes moyens techniques et matériels fabriqués par les hommes.
J’ai dit aussi mais pas exclusivement. Voici un hadith attribué au prophète de l’islam qui illustre bien notre propos : un jour, un chamelier lui a posé la question suivante= Envoyé du Seigneur, tu nous dis de toujours faire confiance à Dieu mais moi, la nuit, pour ne pas laisser ma chamelle s’enfuir durant mon sommeil, je l’attache à une borne… En agissant de le sorte, suis-je fidèle à tes enseignements ? Le prophète lui répondit : Oui, attache ta chamelle et prie Dieu pour que le lien tienne…
Je retrouve la même dialectique, sous une forme différente, chez Franz Rosenzweig qui disait ceci : la Révélation apporte un bon éclairage mais ne donne pas de recettes…
Maurice-Ruben HAYOUN