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  • Histoire d'enfant de Peter Handke

    Peter Handke et son Histoire d’enfant (Gallimard)

     

    Jusqu’à la dernière minute, je me suis demandé si je devais vraiment rendre compte de cette nouvelle qui couvre tout juste cent pages ! A la fin de ma lecture la plus attentive possible de cette nouvelle, j’ai dû revenir en arrière et relire certains passages qui me parurent moins kafkaïens. Car, en fait, je considère que cette petite œuvre est une sorte de mélange de la Métamorphose de Kafka et de L’étranger de Camus. C’est dire, combien j’ai eu du mal à entrer dans le livre, je ne dis pas l’histoire ni l’intrigue, pour la bonne raison qu’il n’y en a pas.

     

    Alors, essayons de générer un sens hypothétique en tentant de mettre bout à bout différents passages. D’abord, le titre. Il s’agit bien de l’histoire d’un enfant, mais c’est tellement crypté que c’en devient très aléatoire : cet enfant dont on ne connaît le sexe et la langue d’origine, à savoir une petite fille qui parle allemand (il faut patienter jusqu’à la page 77 pour le découvrir enfin)… Mais nous ne connaîtrons jamais son nom, ni la couleur de ses yeux ou de ses cheveux. De temps en temps, on nous annonce qu’elle a deux ans, puis dix ans… Jamais aucun lieu n’est cité explicitement. Nous n’avons ni le nom de son père ni celui de sa mère, laquelle se sépare de son mari (ce n’est même pas sûr qu’il s’agisse d’un couple marié. Un couple oui, mais pas nécessairement uni par les liens du mariage. C’est aussi un couple qui voyage, le travail de l’un ou de l’autre, semble occuper une place importante dans leurs vies respectives. Et il semble que la naissance de l’enfant n’ait pas soulevé un très grand enthousiasme dans cette famille singulière

     

    Selon moi, il y a une césure irrémédiable entre l’enfant et ses géniteurs, surtout avec le père qui décide de vivre seul avec son enfant. C’est une totale incompréhension qui règne entre ces deux univers. On nous détaille les difficultés d’acclimation pour ce couple venu d’ailleurs, de l’autre côté du fleuve, le Rhin, peut-être ? La maman ne semble pas prête à sacrifier ses nuits pour calmer le bébé qui pleure, c’est l’homme qui s’en charge. Ce qui explique, qu’en fin de compte, le couple se sépare vraiment sans jamais divorcer puisque, l’enfant grandissant, il ira passer des mois dans le pays de sa mère.

     

    Ce qui frappe le plus le lecteur, c’est l’absence totale de sentiments, d’amour, de tendresse ou d’une simple affection. Un mur infranchissable est érigé, on ne sait comment ni pourquoi, entre ces deux êtres qui dérivent pourtant l’un de l’autre. J’ai cru reconnaître dans l’un des chapitres une idée développée par Emmanuel Levinas : cet enfant est de moi mais il est différentdifférent de moi. L’adulte (car c’est ainsi que Handke présente son personnage) ne ressent aucune fusion avec l’enfant, je ne dis même pas son enfant, mais simplement l’enfant !! C’est plus qu’étrange.

     

    On a l’impression qu’il n’existe plus d’évolution naturelle de l’enfant vers l’adolescence et ensuite vers l’âge adulte. C’est une voie devenue impraticable. Pourquoi ? C’est tout le dessein de cette énigmatique nouvelle.

     

    Mais peut être avons nous affaire à un récit autobiographique ?

     

    Doit on en conclure qu’il est difficile d’être des parents puisque cela met à rude épreuve même les relations au sein du couple… L’auteur, donc l’adulte anonyme, dit que cette union est la faute de sa vie, il ne sy est jamais si bien senti : ce fut une grave erreur. Son départ n’était plus qu’une question de temps, même s’il va, par la suite, se préoccuper du sort de l’enfant.

     

    Même si on ne dispose que de très peu de détails on nous parle de la banlieue parisienne, de différentes écoles où l’enfant a du mal à s’adapter à ce qui l’entoure. On lit même un échange ubuesque entre l’adulte et la maîtresse. On mentionne aussi un établissement confessionnel où l’enfant passera un court laps de temps. Ce qui permet à Handke de dire son scepticisme sur la possibilité pour des enfants de comprendre ou de vivre la foi, en tant que telle. En quoi, il n’a pas tort.

     

    Tout le monde connaît la cruauté, consciente ou inconsciente, des enfants. Et vers la fin du livre, la petite fille (nommons la ainsi, cela la rend plus humaine et plus proche de nous) n’en peut plus de garder son chagrin pour elle : elle hurle qu’on l’évite et l’isole, parce que je suis allemande ! En effet, les enfants n’envisagent nullement ce qui est différent d’eux-mêmes. L’altérité est considérée comme une perturbation de l’ordre, de l’univers connu et prévisible. Une autre langue, une autre tradition, un autre comportement ne trouvent pas toujours grâce à leurs yeux.

     

    Il me semble que c’est bien le fil rouge qui traverse tout le livre : la difficulté d’être père, la quasi impossibilité d’élever l’enfant, surtout pour un homme seul, difficulté aussi pour l’enfant d’être observé par un adulte, dût il être son propre géniteur… Et enfin, difficulté pour l’enfant lui-même de sortir de ce qu’il éprouve comme étant son lieu naturel. Arraché à l’amour maternel, il perd ses repères, ne se sent plus chez lui nulle part. Mais on décèle un léger mieux lorsqu’il séjourne auprès de sa maman.

     

    Donnons, pour finir, la parole à l’auteur :

     

    Le désespoir peut être dissimulé par les grands de bien des manières, mais celui d’un enfant, on le remarque de toute façon ; et voir un enfant désolé était insupportable (p 79)

  • Mais pourquoi tant de chiens dans les rues de Tel Aviv et d'ailleurs en Israël?

    Vingt et une heures à Tel Aviv hier. La nuit est tombée, tôt comme d’habitude dans ce pays du Moyen Orient. Nous sommes assis à la terrasse d’un restaurant italien sur le boulevard Ben Yehouda, l’un des plus étendus de cette ville. Le service est un peu long à cette heure d’affluence et les pizzas mettent du temps à arriver sur les tables des dineurs. Alors je prends mon temps et me livre à mon activité favorite, regarder les gens qui vont et qui viennent, m’arrêter sur leur mode vestimentaire, leurs chaussures, ce qu’ils disent à très haute voix sur leurs portables. Et bien sûr le premier élément qui me frappe par sa récurrence, ce sont les chiens tenus en laisse par leurs maîtres.

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  • Du don de la Torah au Sinaï à la politique israélienne actuelle.

    Du don de la Torah au Sinaï à la politique israélienne actuelle.

     

    Le débat autour de l’essence d’un Etat juif.

     

    Parfois, le hasard, si tant est qu’il existe, fait bien les choses. A moins d’une semaine de la fête de la Pentecôte juive (chavou’ot), où la tradition rabbinique veut voir le don de la Torah par Dieu et non pas une sorte de revelatio de son essence impénétrable, ressurgit un débat sur ce que doit ou devrait être un Etat juif… Ou un Etat des Juifs.

     

    Ce débat a été maladroitement déclenché par un élu de droite, partisan d’une certaine place du droit religieux dans l’institution judiciaire d’Israël, ce qui risque de lui coûter le poste qu’il convoite dans le prochain gouvernement, celui de la justice. En fait, comme c’est souvent le cas, il suffit que quelqu’un mette les pieds dans le plat pour que la presse locale déforme ses propos et suscite une polémique qui occupera les gazetiers durant quelques jours ou même quelques semaines…

     

    Mais le sujet est d’une actualité brûlante puisque, selon toute apparence, c’est la pomme de discorde qui a fait chuter la coalition montée par Benjamin Netanyahou et a provoqué cette grave crise, nécessitant de nouvelles élections.

     

    En tout état de cause, ce qui m’intéresse ici, alors que je me trouve in situ, c’est la concomitance entre cette fête de chavou’ot où la tradition juive commémore le don de la Torah, et le lancement de ce débat qui, pris de manière sérieuse et sans arrière-pensée polémique, vaut la peine d’être discuté.

     

    Qu’il me soit permis d’adopter ma démarche habituelle : plonger dans les profondeurs de la spiritualité judéo-hébraïque afin qu’elle éclaire de son mieux les ingrédients du débat actuel.

     

    Tous les familiers de l’exégèse biblique juive savent que la Bible instaure un espace de sept semaines (d’où le nom de chavou’ot en hébreu et de Pentecôte en français), où les sages du Talmud, et dans leur sillage, les rabbins ont voulu voir le passage symbolique du statut d’esclave à celui de l’homme libre, régi par une Loi, une Torah qui l’empêche d’être le jouet de ses sens et lui confère une dignité nouvelle, celle de la responsabilité de ses actes. Ce n’est plus un esclave, mais un homme libre. On passe donc de la libération à la liberté.

     

    Les sages ont résumé cette idée fondamentale dans une formule lapidaire dont ils ont le secret : al tikré harut ella hérout (ne nomme ce qui est gravé dans les Tables de la Loi que la liberté). Tout cela, un véritable massif de la philosophie politique, accroché à une simple substitution de deux voyelles, puisque la langue hébraïque est une langue essentiellement consonantique : du A au E…

     

    Cette idée d’obéissance à la la Loi divine, cette législation religieuse qui se trouve dans la plupart des livres du Pentateuque de Moïse, principalement dans l’Exode, le Lévitique, les Nombres, sans oublier le Deutéronome qui se veut un récapitulatif de la totalité de cette même législation.

     

    Pour donner un seule exemple du caractère précieux et indispensable que les sages accordent à la pratique religieuse, il suffit de se limiter à un seul exemple tiré des sources juives anciennes et qui est prêté à rabbi Akiba, contemporain de Bar Cochba : de même qu’un poisson ne peut pas vivre hors de l’eau, Israël ne saurait survivre sans la Torah. Et derrière ce vocable générique, le sage rabbi Akiba, l’homme le plus érudit de la tradition juive, plaçait évidemment la pratique des lois et des rites religieux. Aux yeux de la tradition multimillénaire, c’est l’exclsuive raison d’être de ce peuple.

     

    Je ne vois pas comment l’Etat d’Israël pourrait réinvestir intégralement le domaine dela législation religieuse, lui qui se veut à la fois juif et démocratique. Ce n’est pas une mince affaire que de muscler ses deux piliers à la fois et de les entretenir sans que cela se fasse au détriment de l’un ou de l’autre. Mais ce n’est pas, non plus, la quadrature du cercle. Or, pour avancer, il faut avancer sur deux jambes… Je ne crois pas que l’on pourrait, un jour, cocher les deux cases en même temps et dans une égale mesure.

     

    Il y a quelques décennies, un président de la Cour suprême israélienne, éminent juriste et peu suspect de sympathie excessive pour le parti religieux, s’était posé la question suivante : quelle part, quelle place pour la législation biblique dans l’Israël contemporain ? Le juriste a donné des réponses qui n’ont pas toujours été suivies d’effet. Si j’ai bien compris, ce qu’il voulait dire, il opte pour accorder à la tradition juive biblique mais aussi talmudique le statut de source législative insufflant un esprit juif dans une législation civile. Il faudrait que la légalité ne contredise jamais à l’éthique. En d’autres termes, Israël ne sera jamais un pays où la sharia juive fait la loi et détermine la vie quotidienne de tous ses citoyens.

     

    Les enjeux sont considérables : peut on paralyser le pays pour respecter à la lettre les lois du repos et de la solennité sabbatique ? Peut-on imposer les règles de la cacherout (les interdits alimentaires) dans l’ensemble du pays ?

     

    Le statut de la loi dans la vie juive a toujours posé problème et le cas le plus considérable n’est autre que l’apparition du christianisme avec un antinomisme dont saint Paul s’est fait l’inimitable champion, comme on peut le voir dans l’épître aux Galates, au sujet du maintien ou de l’abolition de la circoncision. Cette contestation remonte jusqu’ à la manière d’interpréter les chapitre XV et XVII du livre de la Genèse, lorsque l’oracle divin s’est adressé au patriarche Abraham : l’a t il avant ou après la circoncision du noble patriarche ? Dans le premier cas on penche en faveur du christianisme et dans le second pour le judaïsme rabbinique…

     

    Il est normal que les fêtes juives soient promues au rang de fêtes nationales en Israël car les origines de cet état sont religieuses. C’est la tradition juive religieuse qui l’a porté sur les fonts baptismaux, mais en plus de trois millénaires d’histoire, bien des choses ont changé. Il convient d’agir sans rien renier. La tradition doit savoir s’adapter sans se remettre en cause fondamentalement. Mais ce n’est pas chose aisée. Il faut réussir à combiner, je n’ose pas dire, panacher philosophie et théologie, tradition et histoire. Ce que le grand philosophe hégélien Franz Rosenzweig (mort en 1929) nommait le Nouveau Penser…

     

    Il faut un Nouveau Penser.