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Du don de la Torah au Sinaï à la politique israélienne actuelle.

Du don de la Torah au Sinaï à la politique israélienne actuelle.

 

Le débat autour de l’essence d’un Etat juif.

 

Parfois, le hasard, si tant est qu’il existe, fait bien les choses. A moins d’une semaine de la fête de la Pentecôte juive (chavou’ot), où la tradition rabbinique veut voir le don de la Torah par Dieu et non pas une sorte de revelatio de son essence impénétrable, ressurgit un débat sur ce que doit ou devrait être un Etat juif… Ou un Etat des Juifs.

 

Ce débat a été maladroitement déclenché par un élu de droite, partisan d’une certaine place du droit religieux dans l’institution judiciaire d’Israël, ce qui risque de lui coûter le poste qu’il convoite dans le prochain gouvernement, celui de la justice. En fait, comme c’est souvent le cas, il suffit que quelqu’un mette les pieds dans le plat pour que la presse locale déforme ses propos et suscite une polémique qui occupera les gazetiers durant quelques jours ou même quelques semaines…

 

Mais le sujet est d’une actualité brûlante puisque, selon toute apparence, c’est la pomme de discorde qui a fait chuter la coalition montée par Benjamin Netanyahou et a provoqué cette grave crise, nécessitant de nouvelles élections.

 

En tout état de cause, ce qui m’intéresse ici, alors que je me trouve in situ, c’est la concomitance entre cette fête de chavou’ot où la tradition juive commémore le don de la Torah, et le lancement de ce débat qui, pris de manière sérieuse et sans arrière-pensée polémique, vaut la peine d’être discuté.

 

Qu’il me soit permis d’adopter ma démarche habituelle : plonger dans les profondeurs de la spiritualité judéo-hébraïque afin qu’elle éclaire de son mieux les ingrédients du débat actuel.

 

Tous les familiers de l’exégèse biblique juive savent que la Bible instaure un espace de sept semaines (d’où le nom de chavou’ot en hébreu et de Pentecôte en français), où les sages du Talmud, et dans leur sillage, les rabbins ont voulu voir le passage symbolique du statut d’esclave à celui de l’homme libre, régi par une Loi, une Torah qui l’empêche d’être le jouet de ses sens et lui confère une dignité nouvelle, celle de la responsabilité de ses actes. Ce n’est plus un esclave, mais un homme libre. On passe donc de la libération à la liberté.

 

Les sages ont résumé cette idée fondamentale dans une formule lapidaire dont ils ont le secret : al tikré harut ella hérout (ne nomme ce qui est gravé dans les Tables de la Loi que la liberté). Tout cela, un véritable massif de la philosophie politique, accroché à une simple substitution de deux voyelles, puisque la langue hébraïque est une langue essentiellement consonantique : du A au E…

 

Cette idée d’obéissance à la la Loi divine, cette législation religieuse qui se trouve dans la plupart des livres du Pentateuque de Moïse, principalement dans l’Exode, le Lévitique, les Nombres, sans oublier le Deutéronome qui se veut un récapitulatif de la totalité de cette même législation.

 

Pour donner un seule exemple du caractère précieux et indispensable que les sages accordent à la pratique religieuse, il suffit de se limiter à un seul exemple tiré des sources juives anciennes et qui est prêté à rabbi Akiba, contemporain de Bar Cochba : de même qu’un poisson ne peut pas vivre hors de l’eau, Israël ne saurait survivre sans la Torah. Et derrière ce vocable générique, le sage rabbi Akiba, l’homme le plus érudit de la tradition juive, plaçait évidemment la pratique des lois et des rites religieux. Aux yeux de la tradition multimillénaire, c’est l’exclsuive raison d’être de ce peuple.

 

Je ne vois pas comment l’Etat d’Israël pourrait réinvestir intégralement le domaine dela législation religieuse, lui qui se veut à la fois juif et démocratique. Ce n’est pas une mince affaire que de muscler ses deux piliers à la fois et de les entretenir sans que cela se fasse au détriment de l’un ou de l’autre. Mais ce n’est pas, non plus, la quadrature du cercle. Or, pour avancer, il faut avancer sur deux jambes… Je ne crois pas que l’on pourrait, un jour, cocher les deux cases en même temps et dans une égale mesure.

 

Il y a quelques décennies, un président de la Cour suprême israélienne, éminent juriste et peu suspect de sympathie excessive pour le parti religieux, s’était posé la question suivante : quelle part, quelle place pour la législation biblique dans l’Israël contemporain ? Le juriste a donné des réponses qui n’ont pas toujours été suivies d’effet. Si j’ai bien compris, ce qu’il voulait dire, il opte pour accorder à la tradition juive biblique mais aussi talmudique le statut de source législative insufflant un esprit juif dans une législation civile. Il faudrait que la légalité ne contredise jamais à l’éthique. En d’autres termes, Israël ne sera jamais un pays où la sharia juive fait la loi et détermine la vie quotidienne de tous ses citoyens.

 

Les enjeux sont considérables : peut on paralyser le pays pour respecter à la lettre les lois du repos et de la solennité sabbatique ? Peut-on imposer les règles de la cacherout (les interdits alimentaires) dans l’ensemble du pays ?

 

Le statut de la loi dans la vie juive a toujours posé problème et le cas le plus considérable n’est autre que l’apparition du christianisme avec un antinomisme dont saint Paul s’est fait l’inimitable champion, comme on peut le voir dans l’épître aux Galates, au sujet du maintien ou de l’abolition de la circoncision. Cette contestation remonte jusqu’ à la manière d’interpréter les chapitre XV et XVII du livre de la Genèse, lorsque l’oracle divin s’est adressé au patriarche Abraham : l’a t il avant ou après la circoncision du noble patriarche ? Dans le premier cas on penche en faveur du christianisme et dans le second pour le judaïsme rabbinique…

 

Il est normal que les fêtes juives soient promues au rang de fêtes nationales en Israël car les origines de cet état sont religieuses. C’est la tradition juive religieuse qui l’a porté sur les fonts baptismaux, mais en plus de trois millénaires d’histoire, bien des choses ont changé. Il convient d’agir sans rien renier. La tradition doit savoir s’adapter sans se remettre en cause fondamentalement. Mais ce n’est pas chose aisée. Il faut réussir à combiner, je n’ose pas dire, panacher philosophie et théologie, tradition et histoire. Ce que le grand philosophe hégélien Franz Rosenzweig (mort en 1929) nommait le Nouveau Penser…

 

Il faut un Nouveau Penser.

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